La Cour de Cassation vient confirmer en tous points l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris le 18 décembre 2014 (RG n° 2013/12 370) dans l’affaire du « Plavix® ».
En l’espèce, la société Sanofi Aventis France (ci-après « Sanofi- Aventis ») commercialisait le Plavix®, dont le principe actif est le clopidogrel. Après la fin de la protection du princeps par le brevet, en juillet 2008, la société Sanofi – Aventis bénéficiait de deux certificats complémentaires de protection (ci-après « CCP »), l’un protégeant le type de sel utilisé dans ce médicament, l’autre concernant son indication thérapeutique en traitement du SCA (complications liées à l’athérothrombose) en bithérapie avec l’aspirine. En dépit de ces CCP, le médicament pouvait donc être « génériqué ». Sanofi – Aventis a ainsi inscrit et commercialisé son auto-générique du Plavix®.
Face à la concurrence de nombreux génériques vendus deux fois moins cher que le princeps, Sanofi-Aventis avait mis en place une communication large et structurée auprès des professionnels de santé sur la différence de sel, et d’indication thérapeutique, entre le Plavix® et ses génériques, sans préciser que ces différences ne résultaient que des CCP subsistants et non pas d’une absence de bioéquivalence. En effet, l’agence française de sécurité sanitaire des produits de santé avait estimé que, concernant les génériques du Plavix®, l’inhomogénéité des indications thérapeutiques ne constituait pas un risque pour les patients et ne nécessitait pas d’insérer une mention spécifique dans le répertoire des groupes génériques.
Saisie par la société Téva-Santé (3ème fabricant de médicaments génériques en France), l’Autorité de la concurrence dans sa décision n° 13-D-11 du 14 mai 2013 avaient sanctionné Sanofi–Aventis à hauteur de 40,6 millions d’euros sur le fondement de l’abus de position dominante (L420-2 du Code de commerce et 102 du Traité FUE) pour avoir mis en place une stratégie de dénigrement entre mai 2009 et janvier 2010, à l’encontre des génériques de Plavix® sur le marché du clopidrogel commercialisé en ville sur le territoire français.
En effet, la domination du marché par Sanofi-Aventis se caractérisait par une part de marché cumulée du princeps et de l’auto-générique autour de 60 % en volume et 70 % en valeur entre janvier 2010 et août 2011.
L’exploitation abusive de cette position dominante consistait en une « communication globale et structurée » qui « tendait intrinsèquement à discréditer les spécialités concurrentes, en soulignant l’existence de différences entre celles-ci et ses propres spécialités […] que cette communication revêtait un caractère trompeur en ce qu’elle omettait de manière délibérée deux informations essentielles, la première sur le fait que ces différences ne résultaient que des certificats de protection complémentaire subsistants, et la seconde sur l’absence d’incidence qu’elles revêtaient sur la bioéquivalence et la substituabilité de ces médicaments », « que dans un contexte de réticence généralisée à l’égard des génériques, toute remise en cause de l’efficacité de l’innocuité des spécialités concurrentes du Plavix ne pouvait avoir qu’un effet sensible sur les professionnels de santé, et il incombait à Sanofi Aventis, en sa qualité de laboratoire princeps, une responsabilité particulière de veiller à ne pas abuser de la position dominante qu’elle détenait sur le marché lorsqu’elle communiquait sur les médicaments génériques dans le cadre notamment de la promotion de son auto générique » (arrêt de la Cour d’appel, page 6)
Le discours de Sanofi-Aventis aurait eu pour effet une forte augmentation du nombre de mentions « non substituable » par les médecins, et une réticence des pharmaciens à substituer le princeps au générique.
Le pourvoi formé par Sanofi-Aventis, aux termes du premier moyen, reposait sur le caractère objectif des informations communiquées auprès des professionnels de santé, que l’existence de CCP serait « une information juridique et non pas médicale », qu’au demeurant l’existence d’un dénigrement suppose de démontrer l’accomplissement d’actes positifs et caractérisés ce qui exclurait toute possibilité de dénigrement par omission. En outre, les requérantes estimaient que les effets anticoncurrentiels de la pratique de dénigrement n’avaient pas été démontrés à suffisance.
La Cour de Cassation rejette ce premier moyen estimant que la « Cour d’appel n’a pas méconnu le droit du laboratoire de communiquer sur le principe actif et les indications thérapeutiques de son produit mais en a rappelé les limites, a caractérisé une pratique de dénigrement ».
Une entreprise en position dominante a une responsabilité particulière. En outre, dans le secteur pharmaceutique les obstacles au développement des médicaments génériques sont particulièrement dommageables à l’économie comme impactant les dépenses de santé. Si bien que la frontière entre les pratiques de dénigrement constitutives d’un abus de position dominante et l’information du public est ténue.
Est constitutif d’un abus de position dominante le fait de tenir des propos dénués de sérieux et d’objectivité sur les produits concurrents (affaire France Telecom n°07-D-33 du 15 octobre 2007) : dans le secteur pharmaceutique il avait été jugé que Janssen-Cilag « ne s'est (...) pas contentée de reproduire la mise en garde de l'autorité de santé : elle l'a utilisée et rapportée de manière tronquée et ambiguë au bénéfice de son produit pour souligner auprès des pharmaciens le seul risque de substitution du princeps vers le générique » (Cons. conc., déc. n° 09-D-28, 31 juill. 2009 relative à des pratiques de Janssen-Cilag France dans le secteur pharmaceutique ).
En l’espèce, les propos tenus par Sanofi-Aventis concernant les différences objectives de sel et d’indications thérapeutiques était exacts.
La Cour de cassation, validant le raisonnement de la Cour d’appel, a estimé toutefois que Sanofi-Aventis « a exploité le brevet de fabrication du Plavix en monopole pendant 10 ans et appartient à un groupe important, a acquis de ce fait une réputation de référence, renforcée par un retour d’expérience qu’elle a fait valoir auprès des professionnels de santé à l’occasion de sa stratégie de communication […] que les professionnels de santé avaient peu de connaissances en matière de pharmacologie, comme en matière de réglementation des spécialités génériques, et souligner leur aversion pour toute prise de risque […] l’arrêt précise que, dans un tel contexte, la diffusion d’une information négative, voire l’instillation d’un doute sur les qualités intrinsèques d’un médicament, peut le discréditer immédiatement auprès de ces professionnels ».
En conséquence, la diffusion d’une information négative sur les produits concurrents, même exacte, est une pratique abusive. La solution parait sévère mais elle est sans doute à relativiser eu égard au caractère particulièrement sensible du secteur de la santé et à l’impact financier représenté par le décrochage du prix du Plavix® quatrième médicament vendu dans le monde, suite au développement des génériques.