CA Paris, pôle 5, 1re ch., 21 juin 2023, RG n° 21/08929, BAAN c/ M [B] [K] sous la dénomination CHERIE SHERIFF (Affaire 1)
CA Paris, pôle 5, 2ème ch., 15 décembre 2023, RG n° 22/09295, PRINCIPE LOLA c/ESPRIT MALIN (Affaire 2)
Entrepreneurs, pensez à réserver la preuve des investissements caractérisant la valeur économique singulière de vos produits ! Même en l’absence de droits d’auteur sur vos créations, ces preuves peuvent en effet permettre de faire condamner un concurrent déloyal et/ou parasitaire.
Deux affaires récentes, à l’issue contraire, appréhendent ces situations : dans l’une, l’entreprise victime a obtenu réparation de ce préjudice grâce à la documentation de ses campagnes de communication notamment (Affaire 1) ; dans l’autre, la démonstration n’a pas été concluante et la victime n’est pas indemnisée (Affaire 2).
- La présomption de titularité de droits d’auteur : Il n’est pas nécessaire de prouver la transmission des droits d’auteur, au profit de la société exploitante, relatifs aux produits. Si cette dernière commercialise de manière paisible et continue ces produits, depuis son immatriculation, elle bénéficie de la présomption de titularité (Affaire 1).
- Le responsable du contenu éditorial : Il s’agit du responsable désigné dans les Conditions Générales de Vente du site Internet commercialisant les produits déloyaux, ici par la société à l’encontre de laquelle les actes sont reprochés et non son représentant physique (Affaire 2).
- L’originalité d’une création : L’originalité est reconnue, et donc les droits d’auteur attachés à la création également, s’il y a un partie pris esthétique qui manifeste une rupture avec l’existant. La création doit s’en dégager de manière nette et significative. La reprise d’éléments banals et usuels relatifs au fond commun de la bijouterie ne permet pas de rompre avec l’existant et donc d’obtenir la reconnaissance de droits d’auteur.
- La reconnaissance d’actes de concurrence déloyale : Celle-ci nécessite de démontrer des faits de reproduction ou d’imitation pour la concurrence déloyale. Échec dès lors que les produits en cause reprennent seulement des caractéristiques communes et usuelles au secteur d’activité (Affaire 2), succès lorsque les preuves rapportées permettent de démontrer le caractère servile de la copie, l’identité d’une présentation promotionnelle non justifiée par une tendance ou une nécessité, les mêmes gammes et coloris (Affaire 1). Pour le parasitisme, cela nécessite de prouver que les investissements réalisés par la société exploitante ont conféré une valeur significative aux produits au regard desquels des actes parasitaires sont relevés. Démonstration positive lorsque sont communiquées des preuves démontrant la part des investissements réalisés assignables aux produits pour lesquels une valeur économique singulière est revendiquée (Affaire 1), échec de l’action lorsqu’est communiquée l’attestation d’un expert-comptable sur les dépenses de communication et d’image de marque ne permettant pas d’identifier la part des investissements relatifs aux produits objets du litige (Affaire 2).
Faits : La société BAAN a pour activité la création, la fabrication et la commercialisation notamment de bijoux.
Considérant que certains des bijoux commercialisés par une société reproduisaient servilement ses bracelets «jonc» et l’une de ses bagues, la société BAAN, après mises en demeure restées vaines, l’a fait assigner en contrefaçon de droits d’auteur et concurrence déloyale et parasitaire.
Par jugement du 26 février 2021, Tribunal judiciaire de Paris a notamment :
· dit que les bracelets et la bague invoqués ne bénéficiaient pas de la protection au titre des droits d’auteur ;
· rejeté en conséquence les prétentions au titre de la contrefaçon ;
· dit que Mme [B] [K] a commis des actes de parasitisme et de concurrence déloyale.
Le 10 mai 2021, la société BAAN a interjeté appel de ce jugement.
1. Présomption de titularité en l’absence de revendication par le créateur
La Cour d’Appel est venu confirmer le jugement du Tribunal Judiciaire sur la présomption de titularité de la société BAAN en ce qu’il résultait des pièces produites par celle-ci (extraits de revue de presse, catalogues, corroborés par des factures émises à son nom) « que cette dernière commercialise depuis son immatriculation […] de manière paisible et continue, les bijoux opposés au titre de la contrefaçon, de sorte qu’en l’absence de revendication […] toute (autre) personne se revendiquant comme leur auteur, et en l’absence d’éléments contraires [...] la société BAAN bénéficie de la présomption de titularité, sans qu’il soit nécessaire qu’elle établisse en conséquence les circonstances dans lesquelles la cession est intervenue à son profit, ni les conditions de leur création ».
📢 La présomption de titularité de droits d’auteur d’une personne morale sur une création est reconnue dès lors que celle-ci a fait l’objet d’une exploitation paisible et continue sans revendication de tiers.
2. Absence d’originalité en l’absence de choix créatifs
Cet arrêt réaffirme le jugement entrepris en première instance sur l’absence d’originalité des bijoux en cause à savoir que « la combinaison d’éléments qui en eux-mêmes ne présentent pas d’originalité peut manifester un effort créatif si elle confère à l’œuvre revendiquée une physionomie propre la distinguant de celles appartenant au même genre et traduisant un parti pris esthétique du créateur » et que « l’originalité doit être appréciée au regard d’œuvres déjà connues afin de déterminer si la création revendiquée s’en dégage d’une manière suffisamment nette et significative ». En l’espèce, la société BAAN n’explicite pas en quoi la réalisation de torsades ou de tressages avec ses joncs en plastique découlerait de choix créatifs, ces techniques appartenant au fonds commun de la bijouterie.
📢 En matière de bijoux, pour obtenir la reconnaissance de droits d’auteur sur une création, il convient d’en définir ses éléments caractéristiques et de démontrer qu’ils rompent avec l’existant. De plus, il peut résulter un effort créatif, dont il découlerait des droits d’auteur, de la combinaison d’éléments non originaux si celle-ci s éloigne de manière nette et significative avec l’existant.
3. Actes de promotion reproduits, gammes de couleurs et déclinaisons identiques, prix moindre suffisent à caractériser le fondement de la concurrence déloyale et parasitaire dès lors que celui qui se prévaut d’actes de concurrence déloyale et parasitaire à son encontre prouve la réalisation d’investissements conférent une valeur singulière ces produits.
Le jugement de première instance est maintenu au regard des actes de concurrence déloyale et parasitaire.
L’arrêt rappelle que la concurrence déloyale et le parasitisme sont pareillement fondés sur l'article 1240 du code civil mais caractérisés par l’application de critères distincts. En effet :
· la concurrence déloyale se qualifie par rapport à un risque de confusion ; alors que
· le parasitisme requiert la circonstance selon laquelle, à titre lucratif et de façon injustifiée, une personne morale ou physique copie une valeur économique d'autrui, individualisée et procurant un avantage concurrentiel, fruit d`un savoir-faire, d’un travail intellectuel et d`investissements. Dès lors, cela nécessite de prouver cette valeur économique.
La faute, en matière de concurrence déloyale, tient au risque de confusion qui s’apprécie par rapport au « caractère plus ou moins servile, systématique ou répétitif de la reproduction ou de l’imitation, l’ancienneté d’usage, l’originalité, la notoriété de la prestation copiée ».
En l’espèce, la demanderesse rapporte la preuve que les bijoux litigieux :
- sont une copie servile des bijoux de la société BAAN, quand bien même ils ne sont pas éligibles à la protection par le droit d’auteur ;
- sont offerts à la vente selon les mêmes gammes de coloris, selon les mêmes déclinaisons ;
- font l'objet d'une présentation promotionnelle identique, et, notamment, la mise en scène spécifique et singulière des bijoux, empilés dans des coupelles ou sur des matériaux bruts, sans aucune nécessité, ni même tendance de mode ; et
- sont proposés à la vente à un prix moindre que ceux de sa concurrente et à un tarif dégressif selon le nombre d'exemplaires commandés.
De plus, au cas d’espèce, il est constaté que la Défenderesse mentionnait sur son blog le terme BAAN créant ainsi un lien avec les bijoux de sa concurrente qui n’est pas fortuit.
→ Le risque de confusion et donc les actes de concurrence déloyales sont caractérisés.
Qui plus est, la société BAAN réussit à prouver qu’elle a réalisé des investissements pour conférer à ses bijoux une valeur économique singulière. Elle le justifie au travers de justificatifs prouvant qu’elle :
- a procédé à une large campagne de communication pour faire connaître ses bijoux,
- les a mis en valeur dans de très nombreux magazines,
- a assuré leur commercialisation dans des enseignes prestigieuses démontrant ainsi une valeur économique individualisée et une notoriété.
→ Les actes parasitaires sont dès lors aussi caractérisés.
📢 La reprise de mêmes gammes de coloris, de déclinaisons, la reproduction d’une présentation promotionnelle identique, sans nécessité ou tendance de mode, caractérise un acte de concurrence déloyale.
Les actes parasitaires sont retenus si les preuves permettent de démontrer la réalisation d’investissements pour conférer à ses produits une valeur économique singulière.
Cour d’Appel de Paris, pôle 5 , 2ème ch., 15 décembre 2023 - n° 22/09295
Faits : La société Principe Lola est spécialisée dans la création, la fabrication de bijoux fins faits main, haut de gamme, commercialisés sous la marque [G] [U]. Selon elle, la société Esprit Malin et M. [T] reproduisent sur les réseaux sociaux et commercialisent sur internet ainsi que par le biais de revendeurs, des modèles de bijoux reprenant les caractéristiques essentielles de ses bijoux [G] [U].
Par jugement du 4 avril 2022, le Tribunal de Commerce de Paris a notamment :
• condamné in solidum la société Esprit Malin et M. [T] à payer à la société Principe Lola une somme de 5 000 euros au titre de dommages et intérêts en réparation des actes de parasitisme,
• ordonné le retrait par la société Esprit Malin de tous les circuits de distribution
• ordonné la destruction de tous stocks desdits produits.
Discussion :
1. Le responsable du contenu éditorial est celui désigné dans les Conditions Générales de Vente du site offrant les produits litigieux.
Dans cet arrêt, se pose la question de savoir si M [T], « propriétaire-gérant » de la société Esprit Malin, soit son représentant, peut voir sa responsabilité à titre personnel engagée au regard des actes déloyaux possiblement commis au travers du site Internet exploité par la société Esprit Malin.
La réponse est non.
En effet, le « propriétaire-gérant » n’est nullement responsable du contenu éditorial du site exploité par la société Esprit Malin. C’est cette dernière qui est responsable puisqu’elle est mentionnée à ce titre dans les conditions générales de vente.
Aucune faute personnelle de M. [T] dans la réalisation des actes de concurrence déloyale et parasitaire n’étant établie, il est mis hors de cause.
2. Concurrence déloyale et parasitisme : même fondement mais critères distincts
Cet arrêt, comme dans l’Affaire 1, rappelle que « la concurrence déloyale et le parasitisme sont pareillement fondés sur l’article 1240 du code civil mais sont caractérisés par application de critères distincts, la concurrence déloyale l’étant au regard du risque de confusion, considération étrangère au parasitisme qui requiert la circonstance selon laquelle, à titre lucratif et de façon injustifiée, une personne morale ou physique copie une valeur économique d’autrui, individualisée et procurant un avantage concurrentiel, fruit d‘un savoir-faire, d‘un travail intellectuel et d‘investissements ».
3. La concurrence déloyale est retenue si le risque de confusion est caractérisé
L’appréciation de la faute au regard du risque de confusion « doit résulter d’une approche concrète et circonstanciée des faits de la cause prenant en compte notamment le caractère plus ou moins servile, systématique ou répétitif de la reproduction ou de l’imitation, l’ancienneté d’usage, l’originalité, la notoriété de la prestation copiée ».
En l’espèce, « le seul fait de commercialiser des produits identiques ou similaires à ceux, qui ne font pas l’objet de droits de propriété intellectuelle, distribués par un concurrent relève de la liberté du commerce et n’est pas fautif, dès lors que cela n’est pas accompagné de manœuvres déloyales constitutives d’une faute telle que la création d’un risque de confusion dans l’esprit de la clientèle sur l’origine du produit, circonstance attentatoire à l’exercice paisible et loyal du commerce ».
L’arrêt confirme que la simple reprise de caractéristiques communes et usuelles dans le domaine de la bijouterie n’est pas fautive, d’une part ; et que le fait de commercialiser une gamme de produits se rapprochant dans leur composition d’une gamme de produits concurrents ne permet pas plus de caractériser un acte de concurrence déloyale en l’absence de faute, d’autre part.
En l’espèce, la société Principe Lola est sanctionnée pour ne pas avoir démontrer la faute. La concurrence déloyale n’est pas prouvée et le jugement confirmé de ce chef.
📢 La faute , qui se caractérise par l’établissement du risque de confusion ou l’imitation, en matière de concurrence déloyale doit être démontrée. A défaut, la concurrence déloyale ne peut être sanctionnée.
4. Le parasitisme est retenu si la valeur économique individualisée du produit litigieux est démontrée La société Principe Lola ne démontre pas que les bijoux en cause constituent une valeur économique individualisée.
Les attestations de son expert-comptable sur les dépenses de communication et de développement de l’image de marque ne précisent pas la part de ces investissements qui se rapporterait spécifiquement aux bijoux objets du litige.
Aucun des éléments apportés par la société Principe Lola n’établit l’importance des investissements consacrés à la réalisation et la promotion des bijoux opposés, pas plus qu’ils ne démontrent qu’il s’agirait de produits phares de la collection « [G] [U] » bénéficiant d’une notoriété particulière dont la société Esprit Malin aurait cherché à bénéficier sans bourse délier.
Le parasitisme n’est donc pas caractérisé.
📢 Pour faire sanctionner le parasitisme, il convient que les documents fournis permettant de rapporter les investissements réalisés aux produits dont on souhaite démontrer la valeur économique individualisée.