Cass. Com. 22 juin 2022, n° 20-19.025
La société Taittinger élabore et commercialise des champagnes sous la marque éponyme. Les membres de la famille Taittinger, regroupés au sein de cette société, ont cédé leurs parts sociales, en s’engageant à ne pas faire usage de leur nom pour désigner des produits concurrents.
Après avoir pendant près de 20 ans exercé différentes fonctions salariées dont celle de directrice marketing et communication, Virginie Taittinger est licenciée en 2006.
Celle-ci dépose la marque « Virginie T. », enregistre des noms de domaine sous cette dénomination et développe une activité de distribution de champagne sous cette marque.
Lui reprochant d’utiliser, dans le cadre de sa nouvelle activité, ce nom patronymique à des fins commerciales, la société Taittinger initie un contentieux ; contentieux qui va durer 8 ans et dont l’épilogue est marqué par la décision en référence.
En synthèse, il est reproché à Virginie Taittinger trois arguments principaux : la violation de son engagement ne pas utiliser le nom Taittinger; l’atteinte à la renommée de la marque ; les actes parasitaires et déloyaux.
Concernant d’abord la violation de son engagement contractuel au sein de la cession des titres et au titre duquel Virginie Taittinger s’interdisait (comme l’ensemble des membres de la famille actionnaires) de faire usage du nom Taittinger dans le monde entier.
Après avoir été condamnée sur ce fondement (CA Paris, 1 er Juillet 2016, n° 15/07856), Virginie Taittinger obtient gain de cause devant la Cour de cassation (Cass. Com. 10 juillet 2018, n° 16-23.694).
La motivation est la suivante : lors de la cession de ses titres, elle avait donné mandat à son père de souscrire tout engagement ou garantie au titre de la vente. Il s’agissait donc d’un mandat général qui ne permettait pas de consentir une interdiction ou une limitation de l’usage de son nom de famille.
La Cour d’appel de renvoi (CA Paris, 3 mars 2020, n° 18/28501), va dans le même sens et ajoute que « cette restriction est d’autant plus considérable que [Virginie Taittinger], qui a le droit, comme tout individu, de faire usage de son nom patronymique en toutes occasions, avait, au jour de la cession, une compétence et une expérience professionnelles acquises quasi exclusivement dans le domaine du champagne et au service des sociétés [Taittinger]. Il doit par conséquent être exclu qu’elle ait accepté, prévu ou même seulement envisagé que son père consentirait à la stipulation d’une telle clause. »
La Cour de cassation, en 2022, n’était pas saisie de cette question qui est donc définitivement tranchée.
→ Cette solution rappelle la nécessité de sécuriser contractuellement toute exploitation dans la vie des affaires d’un nom patronymique, et ce qu’il s’agisse d’une interdiction pour les titulaires du nom de l’exploiter, d’une concession voire d’une cession. Le contenu et la portée de ces contrats font en effet l’objet d’une attention particulière des tribunaux (cf. notamment affaires récentes « Gustave Eiffel » et « Christian Lacroix »)
Concernant ensuite l’atteinte à la renommée de la marque du fait de cette communication.
Au fil des épisodes judiciaires, la Maison de champagne a pu entrevoir une lueur d’espoir à la lecture du premier arrêt de cassation. Cette décision a en effet cassé l’arrêt d’appel – qui écartait toute atteinte – dès lors que le juste motif invoqué par Virginie Taittinger (l’utilisation légitime de son nm au regard de ses 3 origines et de son expérience) n’aurait pas dû être intégré dans l’appréciation du profit indûment perçu du fait de cette atteinte.
Courte victoire néanmoins.
L’arrêt d’appel de renvoi ainsi que la décision sous commentaire excluent en effet toute atteinte à la renommée de la marque au motif que les extraits des sites Internet et noms de domaine font ressortir que Virginie Taittinger, dans le cadre de la promotion de sa nouvelle activité professionnelle, a mis en avant à la fois son nom patronymique, son origine familiale et son expérience passée.
Cette communication est donc légitime, sauf à priver cette dernière de la possibilité d’user de son nom de famille dans le cadre de son activité et d’évoquer son parcours professionnel.
De même, le fait que le nom Taittinger soit systématiquement associé à son prénom dans les noms de domaine réservés, de sorte que référence est faite à une personne et non à une marque, est retenu comme un facteur excluant une telle atteinte.
Concernant enfin les actes parasitaires et déloyaux dont Virginie Taittinger serait à l’origine.
Le premier arrêt de cassation (2018) laissait un espoir à la Maison de champagne en sanctionnant les juges d’appel qui n’avaient pas pris en compte « le prestige et la notoriété acquises » de ce patronyme pour trancher cette question.
Victoire là aussi de courte durée.
La Cour d’appel de renvoi (2020), dont la décision devient définitive suite à la décision ici commentée, considère en effet que : « si le nom de famille de [Taittinger] a été certainement un atout dans le lancement de son champagne et l’a dispensée en partie des investissements qui auraient incombé à un concurrent inconnu, cet avantage a trouvé sa cause exclusive dans sa naissance et ses activités passées et non dans la captation de la renommée de la marque [Taittinger] ou des investissements opérés pour valoriser cette marque. »
Il est en outre relevé que Virginie Taittinger justifie des efforts d’investissement qui ont été consacrés par sa société, à la promotion du champagne VIRGINIE Taittinger, en frais de publicité, d’annonces et d’insertions, de catalogues et d’imprimés.
Après 8 années de procédure, Virginie Taittinger peut donc poursuivre la commercialisation du champagne éponyme en maintenant les références à ses origines et expériences.