CA Paris 27/10/2022, n° 19/01229
Faits – L’éditeur des guides de voyage Petit Futé (« NEU ») confie la commercialisation des espaces publicitaires du guide dédié à l’Ile de la Réunion à un entrepreneur individuel. Chaque année pendant sept ans, un « protocole » est ainsi conclu pour la parution dudit guide. Après cinq ans de relations commerciales, cet indépendant saisit le Tribunal de Commerce de Paris afin d’obtenir : l’application du statut d'agent commercial, la résiliation du contrat en cours aux torts exclusifs de la société NEU et le versement des indemnités de cessation des relations et de préavis. Le jugement de première instance écarte ces demandes au motif que le statut d’agent commercial n’est pas applicable, le pouvoir de négociation n’étant pas démontré. Profitant de cette décision, l’éditeur décide de ne pas renouveler le contrat annuel et rompt les relations.
A titre liminaire, relevons que la Cour d’appel retient l’application du statut et s’inscrit, pour ce faire, dans la droite ligne de la décision de la CJUE du 4 juin 2020 dès lors « qu’il importe peu que l'agent commercial ne conclut pas lui-même les contrats qu'il est chargé de négocier. En outre, la mission de négociation ne s'entend pas exclusivement du pouvoir de modifier les prix des produits ou services mais consiste à faire en sorte que l'offre du mandant reçoive une acceptation du client, ce qui peut être caractérisé par le démarchage de la clientèle, l'orientation de son choix en fonction de ses besoins, sa fidélisation par des actions commerciales ».
Outre la question de la qualification des relations, cette décision s’intéresse aux fautes reprochées par l’agent à son mandant ainsi qu’aux répercutions et conséquences de la procédure judiciaire sur le lien contractuel.
Problème 1 – Parmi les fautes reprochées au mandant, l’agent soutient notamment – et principalement – que ce dernier a violé l’exclusivité territoriale qui lui était concédée. Ce à quoi le mandant oppose la clause du contrat excluant au contraire toute exclusivité.
Solution – La Cour écarte la demande de l’agent dès lors que « l'exclusivité territoriale ne résulte pas du statut d'agent commercial, les parties pouvant prévoir des clauses contraires […] La zone de prospection du régisseur est sur le territoire de la REUNION […] Le Régisseur n'est pas habilité à signer pour cette édition des ordres d'insertion avec des annonceurs dont le siège est situé en dehors de la REUNION sauf accord préalable de l'Editeur. Par ailleurs, des ordres de publicité, signés dans le cadre d'accords internationaux, nationaux ou extra-locaux, par une autre personne que le Régisseur pourront être insérés dans le guide par l'Editeur, sans que le Régisseur puisse prétendre à une quelconque rémunération sur ces ordres ». Cette rédaction « signifie qu'il ne bénéficie d'aucune exclusivité sur ce territoire. Cette absence d'exclusivité est confirmée par le fait que le Régisseur ne peut prétendre à une quelconque rémunération des ordres de publicité, signés dans le cadre d'accords internationaux, nationaux ou extra-locaux, par une autre personne ».
Observations – Cette solution est classique. Le statut légal ne fait nullement référence à l’exclusivité au bénéfice de l’agent et s’intéresse uniquement à la question du droit à rémunération (commissions directes et indirectes) lorsqu’un territoire ou une catégorie de clients est accordé (art. L 134-6 C.com) ; disposition légale supplétive de la volonté des parties. L’exclusivité, si elle est par ailleurs accordée, résulte donc, de la volonté des parties et non de la loi. La sécurisation contractuelle du mandant impose de définir le périmètre – et donc les limites et exclusions – de ce monopole ; monopole qui interdit au mandant de prospecter le territoire de l’agent sauf à se mettre en faute et à devoir l’indemnité. Ici, l’agent reprochait principalement au mandant le non-respect de cette exclusivité territoriale dès lors qu’un autre agent collaborait avec Air Austral, compagnie aérienne réunionnaise. Mais c’était faire fî des exclusions prévues par le contrat.
Problème 2 – Le mandant affirme de son côté que la procédure judiciaire a eu des répercussions négatives justifiant le non-renouvellement du contrat du fait de l’agent. Mais ce non-renouvellement du contrat d’agent commercial ouvre en principe droit à l’indemnité pour l’agent.
Solution – Pour la Cour « il y a [effectivement] lieu de constater que la procédure judiciaire a porté atteinte au mandat d'intérêt commun et a entraîné, à l'initiative de M. [N] une perte de confiance entre les cocontractants. Cette attitude caractérise une faute grave de l'agent commercial justifiant que le contrat ne soit pas renouvelé et exclut tout droit à indemnisation pour ce dernier ».
Observations – Ce n’est donc pas le simple fait d’initier l’action en résiliation judiciaire du contrat aux torts du mandant qui est reproché à l’agent mais son attitude pendant la durée de la procédure, alors même que le contrat était en cours. La Cour relève ainsi que l’agent a souhaité imposer ses vues contractuelles alors même que le tribunal saisi n’avait pas encore tranché le litige. Par exemple, s’adressant à l’autre agent qui intervenait sur un client qu’il considérait exclusif « je suis parfaitement habilité à vendre des prestations à Air Austral, comme l'indique mon contrat, mais aussi les affirmations du conseil de JPL dans ses Conclusions en Défense […] ce n'est alors certainement pas toi qui m'empêchera de le faire. Je te prie de cesser d'interférer dans ma prospection sur la zone géographique qui m'a été attribuée et me réserve le droit d'utiliser tous les moyens légaux pour mettre un terme à ce détournement de clientèle ». De même, vis-à-vis des salariés du mandant, l’agent refusait de remplir certaines tâches au motif qu’il ne ferait « plus aucun cadeau » voire confirmait qu’il n’avait « pas de meilleur choix que de récolter le maximum de faits et d'écrits démontrant les défaillances du Petit Futé me portant préjudice, afin de sauvegarder mes propres intérêts… » Solliciter la rupture du contrat en cours aux torts de l’autre partie est envisageable mais nécessite de poursuivre les relations comme si de rien n’était pour faire vitre l’intérêt commun. Et donc d’être un minimum « fûté ». Pas évident néanmoins…