Agent commercial : être ou ne pas être soumis au statut ne vaut pas estoppel
Cass. com. 10 février 2015, pourvoi n° 13-28262
Le principe de l’estoppel, d’origine anglo-saxonne, est un argument de procédure issu de l’arbitrage, qui est fréquemment invoqué par les parties dans le contentieux civil. Ce principe repose sur celui de la loyauté des débats judiciaire et peut se définir ainsi « nul ne peut se contredire au détriment d’autrui ». La Cour de cassation a conféré à l’argument de l’estoppel dans le procès civil un champ d’application restreint, à l’occasion d’un arrêt d’Assemblée plénière de 2009, jugeant que « la seule circonstance qu’une partie se contredise au détriment d’autrui n’emporte pas nécessairement fin de non-recevoir » (Cass. ass. plén., 27 févr. 2009, n° 07-19841).
Les parties ont conclu un contrat dénommé « contrat d’agent commercial », pour donner mandat de promouvoir, diffuser et prendre des commandes d’éditions et d’ouvrages dans le département des Deux-Sèvres ; la société mandante ayant résilié le contrat, le tribunal l’a condamnée à verser à l’agent commercial diverses sommes à titre d’indemnités de rupture et de préavis. En cause d’appel, la société mandante a soutenu, pour la première fois, que le contrat n’était pas un contrat d’agent commercial. La Cour d’appel déclare irrecevable ce moyen, se fondant sur « la règle de l’estoppel, selon laquelle nul ne peut se contredire au détriment d’autrui, est le corollaire du principe de loyauté qui doit présider aux débats judiciaires et que le droit pour une partie d’invoquer un moyen nouveau ne l’autorise cependant pas à se contredire, puis relevé que la société a fondé sur une faute grave commise dans l’exercice du contrat d’agent commercial la rupture de celui-ci et revendiqué l’application de ce statut devant les premiers juges pour ensuite, en cause d’appel, contester la qualification d’agence commerciale de ce contrat, retient qu’il existe une véritable contradiction entre les deux positions adoptées successivement par la société, que ce changement a causé un préjudice à l’agent commercial en ce qu’il a agi en fonction de la position initialement adoptée par son adversaire et, qu’en conséquence, le comportement procédural de la société constitue un estoppel rendant irrecevable son moyen de défense relatif à la qualification du contrat ».
La Cour de cassation casse et annule d’arrêt d’appel, décidant que « en statuant ainsi, alors que les défenses au fond peuvent être invoquées en tout état de cause et que, pour justifier les prétentions qu’elles ont soumises au premier juge, les parties peuvent, en cause d’appel, invoquer des moyens nouveaux, la cour d’appel a violé les articles 72 et 563 du Code de procédure civile ».
Pour dénier à l’agent son droit à indemnité de fin de contrat, le mandant invoquait l’application de l’article L134-13 C. com. en première instance, puis, se voyant débouter, contestait l’application du statut en appel, s’appuyant, on le suppose, sur la jurisprudence nourrie refusant le statut d’agent commercial en l’absence de tout pouvoir de négociation (cf. par ex. Cass. com 27 avr. 2011, n° 10-14851). Il nous semble que cette stratégie ne remet pas en cause la loyauté des débats, aucune contradiction ne ressortant de ces deux arguments, qui sont subsidiaire l’un par rapport à l’autre : l’un porte sur la qualification de la faute, dans l’hypothèse de l’application du statut, et l’autre, sur le champ d’application du statut.
Karine BIANCONE