C. Com. Cass. 16 novembre 2022 n°21-10.126
Julien Ferran est agent commercial (ou plus précisément sous-agent) et représente, auprès du secteur traditionnel et pour le compte de la société SBA Vins, des vins et alcools. Cette dernière est elle-même agent commercial pour le compte de producteurs et dispose donc d’un réseau de sous-agent.
Après quatre années de relations commerciales, le sous-agent met fin au contrat aux torts exclusifs de la société SBA et lui reproche à cet effet des commissions impayées et des ventes de vins par son mandant via vente-privée.com ; ventes qu’il considère comme déloyales dès lors qu’elles permettent aux clients d’acheter les vins à un prix moindre que le tarif dont il dispose.
Classiquement l’agent sollicite deux années de commissions à titre d’indemnité.
Pour rappel, cette indemnité n’est pas due lorsque l’agent est lui-même à l’initiative de cette cessation des relations (démission) sauf à justifier de circonstances imputables au mandant qui l’auraient contraint à y mettre un terme (fondement ici retenu par l’agent).
De son côté, la société SBA considère que l’agent a été fautif en représentant des concurrents ainsi que ses propres mandants. La faute lui serait donc imputable et aucune indemnité ne serait due.
Cet argument ne convainc pas la Cour d’Appel qui, après avoir analysé chacune de ces fautes, les écarte en l’absence de preuve suffisante. Autrement dit, la Cour d’appel analyse les fautes réciproques et s’attache à déterminer l’imputabilité de la rupture. Ici rupture imputable selon elle au mandant, raison pour laquelle l’indemnité est due.
La Cour de cassation confirme cette décision mais emprunte un chemin – en apparence – inédit.
Cette dernière précise en effet que la cessation du contrat intervenue à l’initiative de M. Ferran « était justifiée par des circonstances imputables [à la société], l’éventuelle commission d’une faute grave par l’agent commercial était sans incidence sur son droit à réparation prévue par l’article L134-12 C. com ».
La Cour de cassation semble donc considérer qu’il n’est pas nécessaire d’examiner les manquements de l’agent dès lors que les fautes du mandant sont prouvées et justifient la rupture du contrat à l’initiative de ce dernier.
Ce faisant, l’indemnité réparatrice serait due à l’agent, quand bien même il aurait commis une faute grave dans l’exécution de son contrat.
Cette décision est difficilement compréhensible au regard de l’arrêt d’appel et des décisions de jurisprudence qui s’attachent en effet habituellement à déterminer qui de l’agent ou du mandant est à l’origine de la rupture. Relevant parfois une rupture aux torts partagés.
Espérons pour les mandants (et donc pour les producteurs, négociants et fournisseurs de la filière amont) qu’il s’agisse d’une solution guidée par les fautes ici en balance (manquements du mandant dénoncés à de multiples reprises par l’agent et justifiés ; fautes graves de l’agent découvertes par le mandant postérieurement à la rupture et jamais invoquées) et non une décision de principe.
Et puisqu’il était dit que l’agent serait gâté cette année pour les fêtes de Noël, l’indemnité de deux années de commissions lui est accordée.
Là aussi, pourtant, les arguments du mandant pour limiter ce montant était sérieux. Celui-ci démontrait en effet que l’agent avait conservé, suite à la rupture des relations, une bonne partie de 3 sa clientèle ainsi que des commissions y afférentes. Autrement dit, il conviendrait de tenir compte du maintien d’une partie de ces commissions dès lors que l’indemnité répare la perte des commissions pour l’avenir.
La Cour de Cassation ne l’entend pas ainsi et précise au contraire qu’il « n’y a pas lieu d’en déduire [de l’indemnité] les commissions perçues par l’agent, postérieurement à la cessation du contrat, au titre de la prospection de tout ou partie de cette même clientèle pour un autre mandant ».
En pratique, cette décision doit inciter les mandants :
- à sécuriser contractuellement les contrats d’agents commerciaux au regard de l’organisation de leur distribution (canal physique/internet et plateforme) ;
- à documenter la relation et réagir sans tarder en cas de faute de l’agent ;
- à repenser l’intérêt de la clause de non-concurrence post-contractuelle qui, contrairement au statut de salarié, ne nécessite pas de contrepartie financière pour être licite.