Faits. Après avoir assuré la commercialisation pendant un peu plus de quatre ans de fauteuils et canapés de relaxation auprès d’une clientèle de particuliers, un agent commercial informe son mandant de la cessation de leurs relations au terme d’un préavis de trois mois. Quelques jours après l’envoi de ce courrier de rupture, l’agent sollicite – sans succès – la communication de documents comptables pour vérifier les commissions dues ainsi que le paiement de l’indemnité compensatrice de fin de contrat au motif qu’il prend sa retraite. Parmi les questions soumises à la Cour d’appel, seules celles relatives aux commissions de retour sur échantillonnage et au droit à indemnité en cas de départ à la retraite seront ici traitées.
Problème 1. L’agent peut-il prétendre à des commissions indirectes de retour sur échantillonnage pour des affaires conclues un an après la cessation du contrat ?
Solution. La Cour rappelle d’abord que, conformément aux dispositions de l’article L 134-7 du code de commerce, l’agent peut prétendre à des commissions « sur toutes les ventes effectuées en magasin alors qu’il exerçait son mandat ou dans un délai raisonnable après la cessation d’activité dès lors que ces ventes résultent d’un travail de prospection réalisé par lui ».
Or, s’agissant des affaires conclues postérieurement à la rupture, la Cour considère que le travail de prospection antérieur à la rupture est démontré par les attestations de clients et par les justificatifs de déplacement professionnels.
Néanmoins, la demande de l’agent est rejetée au motif que « lorsque les ventes interviennent à distance de la date de la prospection, et particulièrement plus d’un an après celle-ci, il n’est plus possible, comme l’ont retenu à juste titre les premiers juges, de considérer qu’elles auraient été déclenchées par la visite et les démonstrations réalisées par [l’agent »]
Observations. Les dispositions de l’article L134-7 ne fournissent aucun indice permettant de déterminer le « délai raisonnable à compter de la cessation du contrat » dans lequel une vente a été conclue, la tâche incombe donc au juge saisi. Or, en l’espèce, si la Cour précise ce qui parait déraisonnable (plus d’un an après la prospection), elle ne dit rien du délai raisonnable. La décision est donc critiquable sur ce point et pourrait certainement faire l’objet d’une cassation.
Ce d’autant que cette durée varie d’un litige à l’autre parfois sans motif quelque fois en référence aux pratiques du secteur concerné (CA Douai 13/06/2019 n° 16/04635 : période de 25 mois déraisonnable, délai fixé à 3 mois ; CA Versailles 25/05/2023, RG nº 21/01305, délai raisonnable fixé à 18 mois).
Afin d’éviter (ou du moins orienter) ce type de discussion, les mandants auront tout intérêt à traiter contractuellement la question : soit en écartant le droit à ces commissions post-contractuelles (dès lors qu’il ne s’agit pas de dispositions d’ordre public au sens de l’art. L134-16) ; soit en définissant (notamment) par avance ce « délai raisonnable » (même si le juge aura une droit de regard sur ce délai contractuel).
Enfin, si des commissions de retour sur échantillonnage sont effectivement dues, le mandant pourra toujours en discuter le montant en démontrant l’intervention du nouvel agent pour parvenir à la conclusion de l’opération initiée par l’ancien. Objectif : éviter de payer deux fois (art. L. 134-8).
Problème 2. L’agent peut-il prétendre à l’indemnité de fin de contrat, si le motif de son âge ainsi que les circonstances rendant impossible la poursuite de l’activité ne figurent pas au sein de son courrier de rupture ?
Solution. Pour répondre par l’affirmative, la Cour analyse les pièces produites par l’agent et en conclut qu’il : pouvait être amené à transporter occasionnellement un fauteuil de 40 kg pour le présenter au client ; effectuait des trajets professionnels de près de 200 km par jour pour démarcher ses prospects.
Or, le certificat médical relève que l’agent « présente des problèmes de colonne vertébrale qui contre- indiquent le port de charges lourdes et les longs parcours automobiles ».
Ce faisant, « si ce certificat est postérieur d’un mois et demi à la notification [par l’agent] de la cessation de son activité d’agent commercial, il n’en demeure pas moins que les problèmes de discarthrose dont il justifie souffrir ne sont pas apparus subitement en novembre 2018, mais qu’ils évoluaient depuis plusieurs années, ayant justifié des consultations médicales dès 2013 ».
En conséquence, il résulte ainsi des pièces médicales produites que l’état de santé de [l’agent] M. [W] au 30 septembre 2018 [date de la rupture], ainsi que le fait qu’il avait largement dépassé à cette date l’âge légal de départ à la retraite, ne permettaient plus d’exiger raisonnablement de lui la poursuite de son activité, laquelle pouvait nécessiter le port de charges lourdes et impliquait l’accomplissement habituel de longs trajets automobiles ».
L’indemnité compensatrice de fin de contrat est donc due.
Observations. D’abord, relevons que pour obtenir l’indemnité en cas de départ à la retraite, l’agent ne saurait se fonder uniquement sur son âge mais doit également démontrer les circonstances rendant impossible ou difficile la poursuite de l’activité (Cass. Com. 25/06/2013, n° 12-30.162). C’est ce que l’agent avait pris soin de justifier et que la Cour analyse.
Quant à l’acceptation de la justification postérieure à la rupture du contrat par l’agent, cette solution s’inscrit dans la droite ligne de décisions plus anciennes (CA Douai, 2/06/2011, n° 2011-031169 – agent de 61 ans et justification postérieurement à la rupture d’une lombalgie rendant impossible la poursuite des relations ; Cass. com. 8/02/2011, n°10-12876 qui casse l’arrêt d’appel ayant considéré que l’agent aurait dû mentionner l’existence des problèmes de santé lors de sa demande d’indemnité et qui n’a pas recherché si l’âge et les circonstances particulières de la situation personnelle de l’agent étaient susceptibles de ne plus lui permettre raisonnablement de poursuivre son activité).
A la différence de la faute grave invoquée par le mandant qui, pour exclure l’indemnité, doit provoquer la rupture et donc figurer sur le courrier de rupture, la cessation par l’agent du contrat en raison de son âge, son infirmité ou sa maladie doit simplement être « justifiée » donc possiblement une fois le courrier de rupture envoyé.
C’est en revanche à la date de la rupture que le juge doit analyser précisément si l’âge ainsi que les problèmes de santé de l’agent ne lui permettent plus raisonnablement de poursuivre son activité (Cass. Com. 23/06/2015, n° 14-14.856, cassation de l’arrêt se référant à l’âge et aux problèmes de santé rencontrés deux ans avant la cessation du contrat). Ce qui est ici démontré par la Cour.
Quant au montant de l’indemnité, la Cour se réfère – pour déterminer la réalité du préjudice – « à l’ancienneté des relations commerciales (ici 4 ans), l’âge de l’agent, le travail de prospection réalisé, le chiffre d’affaires et son évolution ». La Cour est également sensible au mode de prospection spécifique de l’agent qui dépendait principalement « de campagnes publicitaires et mailings réalisés [par le mandant] ». Autrement dit le travail de prospection initié par l’agent était relativement limité. L’indemnité est donc limitée à quinze mois de commissions. L’agent indemnisé, à lui de profiter des fauteuils et canapés relaxant…
A. Louvet
Cet article a fait l'objet d'une publication au sein de la Lettre de la distribution et de la revue Concurrences