REFORME DU DROIT DES NEGOCIATIONS COMMERCIALES
En application de l’article 17 de la loi EGalim du 30 octobre 2018, l’Ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 portant refonte du titre IV du code de commerce relatif à la transparence, aux pratiques restrictives de concurrence et aux autres pratiques prohibées a été publiée le 25 avril 2019. Elle procède à une réorganisation complète et à de nombreuses modifications du droit des négociations commerciales et des pratiques restrictives de concurrence.
Les entreprises devront se mettre en conformité avec certaines de ces dispositions immédiatement, et d’autres ne concerneront que les négociations 2020.
A. Règles encadrant la transparence tarifaire
1. Les conditions générales de vente (CGV)
Le contenu obligatoire des CGV a été allégé, et de facto le champ de l’obligation de communication y afférent. Désormais, elles doivent simplement comprendre les conditions de règlement ainsi que les éléments de détermination du prix tels que les barèmes des prix unitaires ou les réductions de prix. Les conditions de vente sont donc réduites à leurs dispositions tarifaires, la partie contenant les dispositions juridiques (dispositions relatives aux commandes, aux livraisons, au transfert de propriété et des risques, etc.) ne fait donc plus partie du contenu imposé.
Cet allègement touche aussi l’obligation de communication des CGV qui ne s’applique qu’en cas de CGV « établies ». En effet, excepté le cas des fournisseurs contraints à la conclusion d’une convention récapitulative de la négociation commerciale, la loi reconnait implicitement l’absence d’obligation d’établir des CGV.
Cet assouplissement doit être nuancé : la non-communication des CGV est désormais sanctionnée par une amende administrative, dont le montant ne peut excéder 15.000 euros pour une personne physique et 75.000 euros pour une personne morale, et non plus par une sanction civile. Les pouvoirs de sanction de l’autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation sont donc considérablement renforcés, le contrôle du juge n’intervenant qu’une fois l’amende prononcée et alors même que les décisions de l’administration bénéficient de l’exécution provisoire de plein droit.
2. La convention récapitulative de la négociation commerciale
L’Ordonnance instaure deux régimes de conventions : une convention de droit commun, et une convention spécifique aux produits de grande consommation.
2.1 Convention de droit commun (article L. 441-3 du Code de commerce)
La convention de droit commun pourra définir, à l’instar de l’ancienne convention grossiste, « les types de situation dans lesquelles et les modalités selon lesquelles des conditions dérogatoires de l’opération de vente sont susceptibles d’être appliquées ». Cet ajout apportera de la souplesse quant à l’évolution du « prix convenu ».
Le « prix convenu » est désormais défini par rapport au « triple net ».
Il est déterminé en comprenant :
· le tarif fournisseur diminué des réductions de prix afférentes à l’opération d’achat/vente ;
· les rémunérations des services de coopération commerciale ;
· les rémunérations ou réductions de prix relevant des « autres obligations ».
Une nouvelle formalité destinée à permettre un meilleur contrôle des « marges arrière » constituées par les services de coopération commerciale sera de préciser au sein de la convention « la rémunération globale afférente à l’ensemble des services de coopération commerciale ». Les entreprises concernées devront donc, pour celles stipulant des services de coopération commerciale rémunérés sur des assiettes de chiffre d’affaires distinctes, selon les produits, à effectuer un calcul permettant de définir un taux global.
Enfin, l’Ordonnance vient consacrer la pratique de la CEPC qui reconnait la possibilité de conclure des avenants à la convention, sous réserve qu’ils soient écrits, stipulent un élément nouveau en justifiant, et ne remettent pas en cause l’économie générale du contrat.
Cette convention s’applique aux fournisseurs et distributeurs ou prestataires de services, à l’exception des grossistes, de produits de grande consommation. Ces derniers sont définis comme des produits non durables à forte fréquence et récurrence de consommation.
Ce régime est plus contraignant que le précédent et est soumis à un formalisme plus lourd :
· la date butoir du 1er décembre est maintenue pour la communication des CGV ;
· la convention doit contenir l’ensemble des stipulations obligatoires de la convention de droit commun, et les dispositions spécifiques du nouvel article L 441-4 du Code de commerce, à savoir :
o le barème des prix unitaires,
o le chiffre d’affaires prévisionnel annuel.
· la date d’entrée en vigueur de l’ensemble des avantages consentis au titre des conditions de vente, des services de coopération commerciale et des autres obligations doit être concomitante au prix convenu : l’entrée en vigueur du nouveau tarif du fournisseur ne pourra donc pas être postérieure aux nouveaux avantages consentis.
Enfin, les nouveaux instruments promotionnels par lesquels le fournisseur s’engage à accorder des avantages aux consommateurs ne peuvent dépasser 30% de la valeur du barème des prix unitaires, frais de gestion compris, pour certains produits agricoles, le lait et les produits laitiers.
2.3 Sanction
L’amende de 75.000 euros pour une personne physique et 375.000 euros pour une personne morale sanctionne désormais « tout manquement » et non pas seulement « le fait de ne pas pouvoir justifier avoir conclu dans les délais prévus une convention satisfaisant aux exigences de l’article L.441-7 ».
3. La facturation
Les règles de facturation font aussi l’objet de modification.
L’Ordonnance procède à une harmonisation avec le Code général des impôts en ce qui concerne la date d’émission de la facture qui devient celle de la date de réalisation de la livraison (et non plus de la vente) ou de la prestation de service.
Deux nouvelles mentions obligatoires sont aussi ajoutées : l’adresse de facturation de l’acheteur et du vendeur si celle-ci est différente de leur adresse, ainsi que le numéro de bon de commande s’il a été préalablement établi par l’acheteur.
Enfin, à nouveau, l’Ordonnance vient substituer une amende administrative à une amende pénale. Le rapport au Président de la République est très clair, ce changement répond au besoin d’accroître le caractère dissuasif de la sanction et d’éviter la pratique de transactions. Les contrôles du respect des règles de facturation risquent de s’accroitre et déboucher sur des sanctions systématiques en cas de violation.
Les factures émises à compter du 1er octobre 2019 devront respecter les nouvelles mentions obligatoires.
4. Les délais de paiement
Dans un souci de clarté et de simplification, les dispositions relatives aux délais de paiement sont réunies sous une nouvelle sous-section (articles L.441-10 à L.441-16 du Code de commerce), et les délais de plafond dérogatoires autorisés pour certains produits à caractère saisonnier sont désormais intégrés à l’article L. 441.11 nouveau du Code de commerce.
Le rapport au Président de la République indique qu’aucune modification de fond n’est apportée.
Cependant on peut souligner les points suivants :
· le taux légal applicable chaque semestre est précisé : il s’agit pour le taux du premier semestre de l'année concernée du taux en vigueur au 1er janvier de l'année en question, et pour le second semestre de l'année concernée du taux en vigueur au 1er juillet de l'année ;
· lorsque les frais de recouvrement exposés sont supérieurs au montant de l’indemnité forfaitaire, le créancier peut demander une indemnisation complémentaire, sur justification ;
· la dérogation export s’applique à la fois aux délais convenus et aux délais réglementés applicables à certaines catégories de produits ;
5. La prise en compte des indicateurs permettant de fixer les critères et détermination du prix en matière de produits agricoles et alimentaires (L 443-4 nouveau du Code de commerce)
Les opérateurs intervenant sur la chaîne contractuelle portant sur des produits agricoles et alimentaires, de l’agriculteur au distributeur, doivent faire figurer et expliquer l’application, dans les CGV et les diverses conventions récapitulatives de la négociation commerciale, des « indicateurs énumérés au neuvième alinea du III de l’article L 631-24 et aux articles L 631-24-1 et L 631-24-3 du code rural et de la pêche maritime ou, le cas échéant, [de] tous autres indicateurs disponibles dont ceux établis par l’Observatoire de la formation des prix et des marges de produits alimentaires » permettant de fixer les critères et modalités de détermination du prix.
Cette obligation sera très lourde à mettre en place en pratique, eu égard à la largeur des gammes de produits revendus par les opérateurs de la chaîne.
B. Règles encadrant les pratiques restrictives de concurrence
D’importants changements sont apportés au droit des pratiques restrictives de concurrence.
Alors que l’article L 442-6 ancien du Code de commerce énumérait 13 pratiques restrictives de concurrences, leur nombre est réduit considérablement. Le nouvel article L. 442-1 I. ne sanctionne plus que deux pratiques « chapeaux » : l’avantage sans contrepartie ou manifestement disproportionné et le déséquilibre significatif.
Ces pratiques « chapeaux » sont destinées à englober les nombreuses situations précédemment couvertes par les pratiques supprimées et bénéficient d’un champ d’application élargi.
En effet, ces dispositions s’appliquent dorénavant à toute « personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services ». Par ailleurs, la notion de « l’autre partie » vient remplacer celle de « partenaire commercial », il sera donc possible de se prévaloir de ces dispositions même en l’absence d’une relation suivie.
En faisant référence à la notion d’ « avantage sans contrepartie », l’Ordonnance écarte tout risque d’interprétation strict de la notion de « service commercial effectivement rendu », conformément à la pratique jurisprudentielle qui ne s’est pas limitée aux opérations de coopérations commerciales.
La rupture brutale des relations établies est maintenue. Toutefois, l’article L 442-1 II. prévoit désormais que l’auteur d’une rupture d’une relation commerciale ne puisse voir sa responsabilité engagée du chef d’une durée insuffisante, dès lors qu’un préavis de 18 mois aurait été accordé.
En outre, le doublement du préavis en cas de marque de distributeur ou en cas de mise en concurrence par enchère à distance est supprimé.
De même, les cinq anciennes clauses ou contrats frappés de nullités sont maintenant recentrés autour de deux :
· le fait de bénéficier rétroactivement de remises, de ristournes ou d’accords de coopération commerciale et,
· le fait d’obtenir automatiquement des conditions plus favorables consenties aux entreprises concurrentes par le cocontractant.
En outre, la pratique relative à la violation de l’interdiction de revente hors réseau faite au distributeur lié par un accord de distribution sélective ou exclusive est réintroduite à l’article L.442-3 du Code de commerce.
Enfin, les règles de mise en œuvre de l’action en responsabilité sont détaillées dans un article distinct : désormais, toute personne justifiant d’un intérêt peut demander à la juridiction saisie d’ordonner la cessation des pratiques ainsi que la réparation de son préjudice, et seule la victime, le ministère public et le ministre peuvent agir en nullité des clauses et en répétition de l’indu. Le plafond de l’amende civile fait aussi l’objet d’une modification : il est fixé au plus élevé des trois montants suivants : 5 millions, d’euros, 5% du chiffre d’affaires HT réalisé en France ou le triple des sommes indûment perçues ou obtenues.
C. Entrée en vigueur de l’ordonnance.
L’Ordonnance est d’application immédiate à tous les contrats conclus postérieurement à son entrée en vigueur, le 26 avril 2019, sous réserve de trois dispositions transitoires :
· les avenants se rapportant à une convention conclue antérieurement à cette date doivent respecter les nouvelles dispositions ;
· la mise en conformité des contrats pluriannuels en cours d’exécution le 26 avril 2019 doit être réalisée à la date du 1er mars 2020.
· les dispositions relatives à la facturation devront être respectées à compter du 1er octobre.
Des incertitudes demeurent :
Sera-t-il possible de poursuivre, pour des faits antérieurs au 26 avril 2019, des pratiques relevant de l’ancien article 442-6 du Code de commerce ? La Cour d’appel de Paris a pu affirmer dans une décision relative à l’ancienne faute civile de discrimination qu’une pratique ne pouvait être poursuivie « dès lors que cette disposition a été abrogée par la loi […] et ne peut désormais recevoir application et ce, que les faits en cause soient antérieurs ou postérieurs à son abrogation » (CA Paris, 29 février 2012, n°08/16771).
Par ailleurs, des faits antérieurs pourraient-ils se voir appliquer les nouvelles dispositions et notamment celles relatives aux sanctions ou au préavis exonératoire de 18 mois en cas de rupture des relations commerciales établies ?
Il reste à espérer que la loi de ratification de l’ordonnance réponde à ces interrogations.