Si la lutte contre les retards de paiement est depuis la loi LME n° 2008-776 du 4 août 2008, une préoccupation majeure des gouvernements successifs, force est de constater que la complexité des textes en présence et le peu de jurisprudence en la matière participent d’un certain obscurantisme que les opérateurs économiques tentent de dissiper en interrogeant la Commission d’examen des pratiques commerciales (CEPC). Les avis sous commentaire se sont attachés, directement et indirectement, à éclaircir la question délicate de l’aménagement contractuel du point de départ des délais de paiement ; question d’importance dans la mesure où l’obtention de délais de paiement supérieur aux plafonds légaux est lourdement sanctionnée (75 000 € pour une personne physique/ deux millions d'euros pour une personne morale depuis la loi n° 2016-1691 dite « Sapin 2 », article L441-6 VI C.Com) et pourrait, de surcroit, caractériser un déséquilibre significatif (article L442-6 I 2° C.Com.). Dans le premier avis sous-commentaire, le demandeur a souhaité savoir si un délai de paiement de 60 jours à compter de la « date de réception de la facture » peut être licitement pratiqué avec des fournisseurs de marchandises situés hors de France. En effet, la question intéresse le commerce international dès lors que, dans un avis récent, la CEPC a timidement penché en faveur de la qualification de loi de police du dispositif dans les rapports vendeur français / acheteur étranger (avis CEPC, n°16-1, LD mars 2016) et a précisé que le plafonnement des délais de paiement s’applique également lorsque les produits étrangers sont destinés au marché français (CEPC, avis n°16-1, LD mars 2016 ; CEPC avis n°13-07 du 27 mai 2013), la DGCCRF veillant à « ce que les débiteurs établis en France règlent leurs créanciers résidant à l’étranger sans entraîner de distorsion de concurrence vis à vis d’opérateurs résidant en France » (CEPC, avis n°09-06 du 20 mai 2009). Pour répondre à la question posée, la CEPC suit, en premier lieu, une analyse pratique : la computation des délais à compter de la réception de la facture, si elle n’est pas concomitante à la date de livraison de la marchandise poserait d’importantes difficultés probatoires : pour prouver le respect du délai, il conviendrait de donner une date certaine à la réception de la facture et les outils pour ce faire (LRAR notamment) n’apparaissent pas adaptés aux factures (coûts, lourdeur). En second lieu et d’un point de vue juridique, la CEPC procède à une analyse des règles en présence. Pour rappel, en l’absence de clause contractuelle relative aux délais de paiement, le délai de règlement des sommes dues est fixé au trentième jour suivant la date de réception des marchandises ou d'exécution de la prestation demandée (article L441-6 I, al. 8 C.Com). En présence d’une clause encadrant les délais de paiement, l’article L441-6, alinéa 9 du code de commerce plafonnent ces derniers à 60 jours ou quarante-cinq jours fin de mois (ce délai devant être expressément stipulé et ne doit pas constituer un abus manifeste du créancier) à compter de la date d'émission de la facture. Enfin, pour les factures périodiques, ce délai est de quarante-cinq jours à compter de la date d'émission de la facture. Ainsi le point de départ du délai de paiement conventionnel est par principe la date de « l’émission de la facture » qui se distingue du point de départ des délais de paiement supplétifs. La CEPC rappelle également qu’au titre de l’article L441-6 al 10, les parties peuvent prévoir contractuellement de retenir, comme point de départ du décompte des délais de paiement, « la date de réception de la marchandise ou de l’exécution de la prestation de service demandée » (article L441-6 I, al. 10, Note d’Information DGCCRF n°2014-185). La CEPC en déduit que, ces dispositions étant d’ordre public et seule la date de la réception des marchandises étant visée par le législateur, il n’est pas possible contractuellement de prévoir le choix d’une date de réception de la facture comme délai de paiement (dans le même sens, CA Douai, 27 Octobre 2016, n° 14/03437). Cette logique, imparable sur un plan juridique est en outre conforme à l’esprit du dispositif conçu pour protéger le fournisseur. En effet, les parlementaires se sont montrés hostiles à « un paiement à la réception de la facture qui allongerait le délai et priverait le fournisseur de la maitrise du point de départ de ce délai » (Assemblée nationale, question écrite n°39004). Si le raisonnement nous semble jusque-là respecter les textes et leur esprit, la CEPC asserte en revanche que quand bien même la date de réception de la marchandise ou d’exécution de la prestation de services serait choisie sur le terrain de l’article L441-6 al 10 du Code de commerce, ce ne serait qu’à condition que « ce mode de computation ne conduise pas à un délai de paiement effectif supérieur aux plafonds légaux prévus à l’alinéa 9 » et donc « uniquement pour les cas où réception de marchandise/exécution de prestations sont antérieures à la date d’émission de la facture, qui est de principe, émise dès la réalisation de la vente (ou de l’exécution de la prestation de services) ». Ce n’est pourtant pas la lettre du texte adopté par la loi de modernisation de l’économie n° 2008-776, qui est venue autoriser les opérateurs à « également proposer de retenir la date de réception des marchandises ou d’exécution de la prestation de services demandée comme point de départ de ce délai » (nous soulignons), sans inscrire cette disposition « dans le cadre » celle, précédente, prévoyant la possibilité de réduction des délais de paiement. La DGCCRF précise d’ailleurs dans la note n° 2014-185 que « l’article L.441-6 10ème alinéa permet aux acteurs économiques de décider de fixer un délai de paiement inférieur […] ou proposer de faire courir le délai à compter de la date de réception des marchandises ou d’exécution de la prestation de services » (nous soulignons). Il nous semble donc que la date de réception des marchandises peut constituer le point de départ du délai de paiement, en lieu et place de celle de l’émission de la facture, sans condition liée à une émission postérieure de la facture.
Dans le second avis, c’est la date d’émission de la facture, et non pas directement la question du point de départ des délais de paiement, qui intéresse le cabinet d’avocats à l’origine de la demande. En effet, L’article L441-3 du Code de Commerce dispose que « le vendeur est tenu de délivrer la facture dès la réalisation de la vente». En conséquence, la question posée était de savoir si des opérateurs économiques peuvent prévoir, dans leurs accords contractuels, que la date de réalisation de la vente est la date de « livraison » définie par l’Incoterm. Si la notion de réalisation de la vente peut renvoyer d’un point de vue opérationnel à celle de livraison des marchandises, il n’en demeure pas moins que d’un point de vue strictement juridique elle pourrait se rattacher au transfert de propriété qui intervient, sauf stipulation contraire, au moment de l’échange des consentements (1196 C. civ. nouveau). Pour autant, telle ne semble pas la position retenue par la DGCRRF précisant que « par analogie avec la prestation de services qui ne se trouve réalisée qu’un fois exécutée, il peut être affirmée que la vente est réalisée par la livraison ou la prise en charge de la marchandise » (Note de service n°5322 du 3 février 1988). En matière fiscale, le fait générateur de la facturation, « la réalisation de la livraison » (289-I-3° CGI) définie comme « le pouvoir de disposer d’un bien corporel comme propriétaire » (256 CGI) renvoie, in fine, à la date du transfert de propriété. Néanmoins, il existe une tolérance fiscale validant l’émission de la facture au moment de la livraison si cette dernière intervient « dans le mois suivant la date où le transfert du pouvoir de disposer de ces biens comme un propriétaire est intervenue ». Pour la CEPC, sous réserve de l’interprétation prétorienne de la notion de « réalisation de la vente » les parties peuvent prévoir contractuellement qu’en application des dispositions de l’article L. 441-3 du code de commerce la facture doive être émise à la date de livraison définie par l’Incoterm, c’est-à-dire à la date de la remise de la marchandise à bord du navire au port du départ dans le cadre de l’Incoterm FOB. Si cette réponse ne va pas dans le sens d’une plus grande sécurité juridique, elle a le mérite de proposer au vendeur, sujet de la protection, une alternative contractuelle pour l’émission de la facture, fait générateur des délais de paiement : la date de l’échange des consentements ou de la livraison des marchandises. Afin de sécuriser les relations commerciales, il semble donc opportun, pour les entreprises souhaitant facturer au moment de la livraison, de différer contractuellement le transfert de propriété au moment de la livraison afin d’éviter tout débat, sous réserve des contraintes fiscales précitées (livraison dans le mois du transfert de propriété).