Application du déséquilibre significatif à un groupe de contrats constitué par un contrat de concession et un contrat de maintenance
Cour d’appel de Paris, 7 avril 2021, n°19/13527 :
Faits :
Suite à l’évolution du réseau de distribution des produits Xerox, copieurs multifonctions destinés à une clientèle de professionnels, d’un système de concession exclusive vers la distribution sélective monomarque, ses concessionnaires se sont organisés en association pour contester les pratiques contractuelles de la société Xerox. En effet, le réseau de concessionnaires monomarques coexistait avec une dizaine de distributeur multimarques, qui, selon eux, portaient atteinte à leur compétitivité. En outre, ils reprochaient à Xerox de leur imposer de lui confier la sous-traitance des prestations de maintenance des copieurs, en pratiquant des tarifs ne leur permettant pas d’être compétitifs.
Ils avaient préalablement saisi l’Autorité de la concurrence de ces pratiques pour un abus de position dominante, mais l’Autorité avait prononcé un non-lieu, ne retenant pas l’existence d’un marché distinct des prestations de maintenance des produits Xerox mais un marché global de la vente et de la maintenance de copieurs (Adlc, décision n° 16-D-29)
Dans ce prolongement, de nombreux concessionnaires ont saisi le Tribunal de commerce de Paris, de deux instances distinctes, arguant notamment de déséquilibres significatifs sur le fondement de l’ancien article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce (L442-1 I 2° nouveau), dans le contrat de concession d’une part et dans le contrat de maintenance d’autre part. Cette saisine portait notamment sur la demande de nullité des clauses suivantes : d’une part la clause de non-concurrence contractuelle insérée dans le contrat de concession ; et d’autre part les clauses d’exception d’inexécution, de non contestation des créances, d’augmentation unilatérale du prix de maintenance, et la clause réservant la possibilité au concédant de ne pas fournir les consommables à sa discrétion, dans les contrats de maintenance (conditions générales). En vertu de l'article L. 442-6, I, 2º du code de commerce devenu l'article L. 442-1 I, 2º suite à l'ordonnance nº 2019-359 du 24 avril 2019, la démonstration du déséquilibre significatif impose la réunion de deux critères cumulatifs : (i) l'existence d'une soumission ou d'une tentative de soumission du cocontractant ; (ii) l'existence d'obligations créant un déséquilibre dans les droits et obligations des parties.
Probléme 1 :
Les clauses des contrats liant Xerox à ses concessionnaires ont-elles été imposées dans le cadre d’un rapport de soumission au sens de l’article L 442-1 I 2°) du Code de commerce ?
Solution :
S’agissant de la clause de non concurrence,
La Cour rappelle que la soumission ou la tentative de soumission suppose notamment « l’existence d’un rapport de force entre les cocontractants » et « l’insertion de clauses dans une convention type ou contrat d’adhésion qui ne donne lieu à aucune négociation effective » desdites clauses. La Cour constate l’absence de soumission ou de tentative de soumission, considérant que « les concessionnaires peuvent résilier les contrats les liant avec la société Xerox ou ne pas reconduire les contrats de concession et ils peuvent immédiatement réorienter leur activité avec d'autres marques de copieurs multifonctions, dès lors que rien ne l'interdit aux termes de la clause de non-concurrence litigeuse. ». Elle précise ensuite que, « les concessionnaires ne sont nullement dépendants de la société Xerox pour apprécier leur intérêt à rester ou sortir du réseau de cette marque, sachant que cette appréciation leur est offerte régulièrement de par la périodicité des contrats qui leur permet de s'adapter, le cas échéant, au défaut de compétitivité qu'ils dénoncent s'agissant de l'offre Xerox, y compris en tenant compte de la dégradation de la qualité du service après-vente qu'ils déplorent. »
S’agissant de la clause d’exception d’inexécution concernant la suspension des services sur l’ensemble des contrats, y compris ceux dont les échéances ont été payées, en cas d’un seul impayé :
« Si les concessionnaires peuvent résilier les contrats les liant avec la société Xerox, ou ne pas reconduire les contrats de concession, il n’en demeure pas moins qu’en pratique, les concessionnaires sont dépendants de la société concédante, car dès lors qu’ils ont déterminé que leur intérêt était de rester dans le réseau, ils ont besoin de faire perdurer leur activité, étant revendeurs exclusifs de produits Xerox et doivent, pour ce faire, souscrire auprès de la société Xerox le contrat de sous-traitance, qui forme un tout indivisible avec le contrat de concession. […] les concessionnaires sont dépendants de la société concédante » et « même une action groupée des concessionnaires, contestant le régime des prestations de maintenance XEROX (…), n’a pu déboucher que sur une action en justice, sans que la société XEROX ait essayé de négocier pour permettre la modification des clauses. ».
Analyse : La soumission ou la tentative de soumission résulte de l’absence de négociation effective. A cet égard, la jurisprudence a précisé que la soumission prévue par l'ancien article L. 442-6, I, 2° (L. 442-1, I, nouveau) du Code de commerce « consiste à faire peser ou tenter de faire peser sur un partenaire commercial, du fait du déséquilibre du rapport de force existant entre les parties, des obligations injustifiées et non réciproques » (CA Paris, 1er oct. 2014, no 13/16336 ; Lettre distrib. Oct. 2014, obs. N. Eréséo). Ainsi, la soumission à une clause, doit être appréciée lors de la conclusion du contrat, à travers le contexte de négociation (CA Paris 19 avril 2019, n° 16/14293 ; Lettre distrib. Mai. 2019, obs. S. Chaudouet).
La démonstration de la soumission ou tentative de soumission s’effectue clause par clause. En effet, la Cour de cassation, suivant le raisonnement de la cour d’appel de Paris dans le secteur de la grande distribution, énonce que « l’élément de soumission ou de tentative de soumission de la pratique de déséquilibre significatif implique la démonstration de l’absence de négociation effective des clauses incriminées» (Cass. Com., 20 nov. 2019, n°18-12823 ; Lettre distrib. Déc. 2019, obs. S. Chaudouet).
En l’espèce, s’agissant de la clause de non-concurrence contenue dans le contrat de concession, la Cour considère qu’elle n’a pas été privée de négociation effective dans la mesure où les concessionnaires pouvaient tous les trois ans sortir du contrat et pouvoir librement distribuer des produits concurrents. Alors que pour la clause d’exception d’inexécution, la Cour qualifie le rapport de soumission, considérant qu’une fois ayant adhéré sans soumission au réseau, les concessionnaires se trouvent privés de la possibilité de négocier les clauses relevant des contrats de sous-traitance de la maintenance.
Problématique 2 :
Les clauses analysées par la Cour sont-elles déséquilibrées au sens de l’article L 442-2 I 2°) du Code de commerce ?
Solution :
« L’existence d’obligations créant un déséquilibre significatif peut notamment se déduire d’une absence totale de réciprocité ou de contrepartie à une obligation, ou encore d’une disproportion importante entre les obligations respectives des parties. Les clauses sont appréciées dans leur contexte, au regard de l’économie du contrat et in concreto. La preuve du rééquilibrage du contrat par une autre clause incombe à l’entreprise mise en cause, sans que l’on puisse considérer qu’il y a inversion de la charge de la preuve ».
Les clauses ci-après ne seront pas jugées comme déséquilibrées :
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La clause de non-concurrence, stipulant, aux cessionnaires, un droit de résiliation sans difficulté excessive, leur permettant « de réorienter leur activité avec d’autres marques » et prévoyant des contreparties telles que des ristournes du seul fait de la situation de monomarque, ou du droit de commercialiser les produits et d’utiliser les signes distinctifs du concédant. ;
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La clause autorisant à augmenter unilatéralement le prix de la maintenance qui prévoit que celui-ci « peut être révisé tout au long de la durée du contrat, après notification au revendeur 45 jours avant la prise d’effet », le concessionnaire « pouvant, en cas de refus du nouveau prix, dénoncer le contrat de maintenance par écrit en respectant un préavis de 30 jours. ». ;
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La clause réservant la possibilité, au concédant, de ne pas fournir les consommables à sa discrétion « en ce qu'une telle prévision de la consommation normale d'un client n'est pas disproportionnée par rapport aux obligations du concessionnaire, alors qu'il est légitime pour la société Xerox de chercher à prévoir le mieux possible les volumes de consommables qu'elle doit fournir en les corrélant à chaque contrat de maintenance et en procédant à des calculs de moyenne. »
Les clauses ci-après seront considérées déséquilibrées :
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La clause d’exception d’inexécution insérée dans les conditions générales (contrats de maintenance) annexées au contrat de concession qui « a pour objet de sanctionner un impayé par la suspension du service sur l'ensemble des contrats, y compris ceux dont les échéances ont été payées » et qui impose aux concessionnaires « pendant l'interruption de service » d’assurer « eux-mêmes les prestations de maintenance pour leurs clients » et « néanmoins s'acquitter auprès de Xerox de prestations inexistantes. » ;
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La clause de non contestation des créances qui prévoit que le concessionnaire « a 10 jours suivant la date d’une facture pour la contester » mais qui lui impose « un délai de 2 jours ouvrés pour apporter » au concédant « tous les éléments nécessaires pour résoudre la contestation » ;
Analyse :
S’agissant de la clause d’exception d’inexécution, un relèvera un arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris qui concernant le même concédant, a estimé, s’agissant de clauses l’autorisant à suspendre ses prestations de maintenance auprès du concessionnaire, en cas de retard de paiement de ses factures malgré mise en demeure ou en l’absence de régularisation de ces retards, que « le taux de marge dont bénéficiait le concessionnaire ainsi que l’avantage en terme de trésorerie qui lui permettait d'être payé par son client utilisateur, pour un service qu'il n'assure pas lui-même, avant d'avoir à le payer au concédant dans les trente jours de l'émission de sa facture, au-delà de l'encours de crédit dont il bénéficie au terme du contrat de concession» étaient autant d’éléments qui permettaient de rééquilibrer les clauses litigieuses. (CA, Paris, 17 Juin 2020 n° 18/23452). Les mêmes arguments ont été avancés par le concédant en l’espèce, sans que la Cour les accueille puisque selon elle, le concédant « ne démontre pas que les clauses litigieuses relatives à la maintenance, en elles-mêmes disproportionnées, seraient rééquilibrées par d’autres stipulations du contrat de concession. »