La société héraultaise Nicolas International – qui accompagne les producteurs de vins français dans la mise en relation et le développement de leur activité sur le marché russe – est en relation depuis une dizaine d’années avec la société Joseph Verdier, propriétaire et négociant en vins du Val de Loire. Aucun contrat écrit n’a été conclu.
Le fournisseur, reprochant certaines fautes à l’un des clients russes présenté par son partenaire, met fin aux relations commerciales. La société Nicolas International considère que cette décision la prive de commissions substantielles, prend acte de la rupture et sollicite le règlement de l’indemnité de fin de contrat applicable aux agents commerciaux.
La société Joseph Verdier conteste d’abord l’application de ce statut considérant que son partenaire ne disposait pas du pouvoir de négociation.
Pour écarter cet argument, la Cour s’intéresse aux tâches principales de l'agent commercial qui doivent viser « à apporter de nouveaux clients à son commettant ainsi qu'à développer les opérations avec les clients existants ». Et de relever que : les ventes ont débuté avec ce client à partir de l'ouverture du bureau moscovite de l’agent ; celui-ci n'a cessé de favoriser le développement de ces ventes dont le chiffre d’affaires a progressé de façon quasi-ininterrompue ; l’agent participait lui-même aux négociations soit seul, soit à deux voix en présence du mandant. Ainsi, pour la Cour, il est établi que la mission dévolue à la société Nicolas International excédait la simple présentation des vins Verdier sur le marché russe, ou encore celle d'apporteur d'affaires. Le statut d’agent commercial est donc applicable
La Cour fait directement référence à la décision de la CJUE du 4/06/2020, dont a retenu qu’elle consacrait l’application du statut peu important que l'agent dispose de la faculté de modifier les prix ou les contrats. Mais la Cour ne se contente pas ici de relever l’apport de clients nouveaux par l’intermédiaire, cette dernière analyse précisément les moyens d’action, de conseils ainsi que les discussions dont il était en charge pour favoriser la conclusion des ventes. On ne peut que saluer cette démarche visant à identifier le pouvoir de représentation et son caractère permanent, s’éloignant ainsi du contrat de courtage dont d’autres décisions ont tendance à se rapprocher dangereusement.
Le mandant considérait ensuite que sa décision de rompre les relations avec le client russe était justifiée par des inexécutions contractuelles ce qui n’excluait pas la poursuite des relations avec l’agent. Ce faisant, en prenant acte de la rupture, cette dernière ne lui était pas imputable. L’indemnité n’était donc pas due. Pour l’agent en revanche, la rupture était imputable au mandant dès lors que sa décision le privait des commissions afférentes à ces ventes.
La Cour fait droit aux demandes de l’agent au motif que ces dernières représentaient 95 % du chiffre d'affaires de l'agent commercial avec le mandant. Et d’en conclure qu’ «une réduction aussi drastique des commissions d'agence décidée unilatéralement par le mandant constitue une circonstance imputable à ce dernier, qui justifie que le mandataire puisse prendre acte de la rupture qui, de fait, lui est imposée. A cet égard, il est indifférent que la cessation des ventes entre la société Joseph Verdier et la société Luding [client] ait été justifiée ou non ». Le mandant est donc condamné au versement de l'indemnité.
Le mandant est donc condamné à régler à l’agent deux années de commissions calculées sur les deux dernières années d’activité.
→ A retenir au plan pratique :
• Développer une relation commerciale sans contrat écrit avec un agent n’exclut pas l’application du statut spécifique aux agents commerciaux. Au contraire, cette absence de contrat met en risque le mandant et permet à l’agent de bénéficier des dispositions légales les plus favorables (attention par exemple aux commissions directes et indirectes).
• Optimiser et sécuriser commercialement et financièrement cette relation nécessite donc de conclure un contrat écrit.
• Rompre les relations avec un client qui ne respecte pas ses obligations (retard de paiement par exemple) nécessite au préalable de s’assurer du rôle de l’agent et du niveau de commissions que l’agent est susceptible de perdre suite à cette décision.
Sans remettre en cause la liberté pour le fournisseur de faire respecter sa politique commerciale et tarifaire, il est donc préférable d’associer en amont l’agent au respect des obligations du client (aide au recouvrement des factures dues), l’informer des conséquences possibles en l’absence d’exécution, voire réfléchir à des solutions alternatives si les conséquences économiques liées à cette rupture sont, pour l’agent, lourdes