CA Bordeaux 14 septembre 2022 n°19/04793, Gourmet food export / Confitures et traditions
Les faits – La société Confitures et traditions confie en exclusivité la commercialisation de ses produits à l’export à la société Gourmet Food export. Un contrat d’agent commercial est conclu à cet effet. Après quelques années de relations, l’agent sollicite la résolution judiciaire de son contrat aux torts de son mandant arguant de manquements graves.
Problème – Gourmet Food export soutient principalement que le mandant a brutalement augmenté les prix des produits à l'export et changé de stratégie commerciale. Décision qui aurait déstabilisé le bon fonctionnement du contrat, lui aurait préjudicié et justifierait à elle seule la rupture aux torts du mandant. Ce que conteste le mandant.
Solution – Appréciant les preuves qui sont communiquées par l’agent, la Cour écarte ces demandes. Ainsi, le courriel dans lequel le mandant adresse à son mandataire la grille des nouveaux tarifs applicables « ne justifie cependant que cette augmentation serait anormale, brutale et massive. Elle n'apparaît pas en outre imprévisible compte tenu de l'évolution du prix de vente des fruits nécessaires à la fabrication des confitures, contrainte inhérente au produit, et connue par les professionnels de la branche ». Au contraire « l'intimée justifie […] avoir déjà adressé à son mandant, ainsi qu'à ses autres clients et agents, la nouvelle grille tarifaire […] ainsi qu'un courrier expliquant que les prix des fruits avaient fortement augmenté en raison notamment des gelées tardives ». En outre, « il n'est pas en outre démontré de lien entre cette augmentation des prix et la baisse importante du chiffre d'affaires du mandant […] la société Gourmet food export était fragile puisque les commandes d'un seul client, la société TJX, constituait 80% de son chiffre d'affaires ».
Observations – L'article L. 134-4 de l’alinéa 3 du code de commerce dispose que « lemandantdoitmettrel'agentcommercialenmesured'exécutersonmandat ». Sans y faire explicitement référence, la Cour considère en l’espèce que le mandant n’a pas violé cette obligation en augmentant ses prix. Pour ce faire, cette dernière s’intéresse au niveau de l’augmentation tarifaire concernée (qui n’est ni anormale, ni brutale, ni massive), au contexte concurrentiel et sectoriel dans lequel s’inscrit cette hausse (augmentation connue des professionnels ; évènements climatiques expliquant la hausse des matières premières), au comportement du mandant (information et transparence vis-à-vis de l’agent) ainsi qu’à la clientèle à l’origine de la rémunération de l’agent (80% du chiffre d’affaires généré par un seul client). Et la Cour de rejeter les demandes de l’agent, de prononcer la rupture du contrat à ses torts (critiques systématiques de la politique du mandant) et de le condamner à verser 10.000 euros au mandant en indemnisation du préjudice constitué « par une perte de chance de maintenir son activité à l'export » (le mandant était en effet tenu par une clause d’exclusivité au bénéfice de l’agent). D’autres décisions vont en ce sens : tarifs supérieurs de 10 à 15 % par rapport aux prix du marché justifiés ; possibilités pour le mandat de modifier à son gré les prix; résultats du mandant déficitaires; aucune discrimination à l’égard de l’agent ( CA Dijon, 12/11/2009, n° 09/00887) ; mandant confronté aux fluctuations du marché, aux prix de ses propres fournisseurs, à la variation des taux de change (CA Reims, 1/07/2014, n° 13/01402).
Mais cette solution reste incertaine. L’évolution de la politique commerciale et tarifaire du mandant est en effet parfois appréciée à l’aune de ses seules conséquences économiques pour l’agent. Ainsi, les conséquences néfastes de l’augmentation du prix des produits sur le chiffre d’affaires de l’agent caractérisent la faute du mandant peu important les nouveaux produits confiés à l’agent si ces derniers ne compensent pas ce manque à gagner (CA Aix-en-Provence 5/09/ 2012 – n° 11/19255). Encore récemment, la rupture a été jugé imputable au mandant qui avait mis un terme aux relations avec l’un de ses clients dès lors que cette décision avait eu pour effet une réduction drastique des commissions d'agence (LD mai 2022, CA Rennes 26 avril 2022, n° 21/03494). Ce faisant, les causes importeraient peu, et le mandant devrait automatiquement réparer les conséquences de ces décisions en réglant à l’agent l’indemnité.
Cette insécurité juridique s’accorde mal au contexte actuel – économique, politique et écologique – incertain ; contexte qui nécessite pour les mandants l’adaptation rapide de leur politique commerciale et tarifaire. Ces derniers devront donc : expliciter leurs décisions par renvoi à des paramètres économiques, concurrentiels et financiers objectifs ; appliquer en transparence et de façon non discriminatoire ces dernières ; essayer, dans la mesure du possible, d’identifier et de proposer des leviers alternatifs de développement. Et, en cas de contentieux avec l’agent, espérer que l’interprétation du tribunal soit clémente. Il ne faudrait pas en effet que « la situation en vienne à s'inverser radicalement et que ce soit le mandant dont les intérêts soient sacrifiés, au motif que le contrat doit être à tout prix rentable pour son partenaire […] Ou alors, plus personne n'y comprendra plus rien et ce sera l'impressionnisme absolu ».(« L'obligation de loyauté du mandant poussée trop loin ? … », P-Y Gautier, RTD Civ. 1999 p.646).