Les contentieux contrefaçon initiés par la société Converse participent grandement à délimiter les contours de l’épuisement du droit et de l’aménagement de la preuve relative au risque réel de cloisonnement du marché. Tel est le cas de l’arrêt sous commentaires. Après avoir vainement tenté d’obtenir des juridictions qu’elles imposent au défendeur d’apporter la preuve de l’authenticité des produits pour pouvoir alléguer du risque de cloisonnement du marché, et renverser ainsi la charge de la preuve (Cour de Cassation Ch. Com. 10/11/2015, n°14-11.479 ; Cour de Cassation Ch. Com. 08/11/2016 n°15-12.229), la société Converse entendait, grâce à un système de traçabilité géré par le prestataire leader du marquage de l’identification des produits, démontrer que les produits non répertoriés au sein de la base de donnée n’étaient pas authentiques, qu’elle n’avait donc pas donné son consentement à leur mise dans le commerce et que l’analyse de l’épuisement des droits et du risque de cloisonnement de marché n’avait pas à être menée. Tel était le cas pour certains modèles saisis au sein de magasins Auchan. Le contrefacteur devait donc être condamné sans avoir à débattre du risque de cloisonnement. La Cour d’Appel de Paris fait droit à cette demande et considère que la question de l’authenticité doit précéder celle de l’épuisement des droits et du risque de cloisonnement des marchés. Ce faisant, la 1ère Chambre de la Cour d’Appel adopte une solution contraire à celle de la 2ème Chambre qui, là-aussi dans une affaire Converse / Auchan, avait précisé que « le processus de sécurisation des produits Converse, quand bien même constituerait-il une preuve infaillible, ne saurait précéder la question soulevée du risque de cloisonnement des marchés et l’obligation pour la Cour de déterminer à quelle partie incombe la charge de la preuve » (CA Paris 26/05/2017 n°16/04716). Les supposés contrefacteurs dénonçaient par ailleurs l’opacité de la technologie invoquée, sa manipulation possible par le titulaire de la marque et plus généralement l’absence de fiabilité de ce système. La Cour écarte de tels arguments considérant que les attestations très circonstanciées provenant du prestataire et relatives à la fiabilité, la sécurité du système et les possibilités pour la société Converse d’accéder à ce dernier « établissent suffisamment que les chaussures litigieuses ne sont pas des chaussures Converse authentiques ». Relevons que quelques mois auparavant ce processus de sécurisation avait été jugé insuffisant dès lors qu’il n’excluait pas que la société Converse fasse fabriquer des chaussures non répertoriées par le prestataire (cf. décision précitée). Concernant les produits ne disposant pas de ce système d’authentification, et dont la question de l’authenticité n’était pas tranchée, Auchan et son fournisseur se plaçaient sur le terrain de l’épuisement des droits et arguaient du risque réel de cloisonnement des marchés au sens de l’arrêt Van Doren (CJCE 8/04/2013). L’objectif était d’éviter d’avoir à révéler leurs sources d’approvisionnement de peur qu’elles se tarissent. Ce risque réel de cloisonnement de marché serait ainsi justifié par : la segmentation territoriale du marché européen fondée sur le système de distribution exclusive, la pratique de prix différenciés sur les territoires, le refus des distributeurs de répondre à des sollicitations de clients situés en dehors de leur territoire, le refus par Converse de communiquer ses contrats de distribution exclusive. Indices qui semblaient pouvoir caractériser ce risque réel de cloisonnement et justifier ainsi le renversement de la charge de la preuve. L’analyse in concreto réalisée par la Cour écarte toutefois ce risque apparent. Pour ce faire, la Cour rappelle tout d’abord de façon classique, que la simple exclusivité territoriale de distribution n’emporte pas « en soi un risque réel de cloisonnement des marchés ». Il ne s’agit en effet que d’un « indice ». De même, l’existence de prix différents selon les territoires ne peut, selon la Cour, « établir l’existence d’un risque de cloisonnement » dès lors qu’il est nécessaire de démontrer que le titulaire des marques « aurait pour objectif d’empêcher ses importations parallèles ». Il convient de noter néanmoins que la combinaison de cette répartition territoriale et de cette politique tarifaire différenciée peut constituer, si ce n’est un risque réel, du moins un facteur de cloisonnement des marchés (CA Paris Pôle 5, Ch. 2, 26/05/2017 n°16/04716). Quant aux réponses de certains distributeurs exclusifs refusant toute revente hors territoire, ces dernières sont aussi écartées dès lors qu’elles sont jugées trop antérieures à la période de référence. La Cour va ensuite considérer que le refus par la société Converse de produire ses contrats de distribution exclusive n’a pas à être retenu comme « un indice d’existence d’un cloisonnement de marchés » même si ce refus « ne manque pas de questionner ». En réalité, la société Converse emporte la conviction des magistrats en produisant des factures de différents distributeurs agréés censées démontrer la réalité des ventes passives à destination de sites Internet et de réseaux physiques ; ventes passives que la Cour qualifie de « quantitativement significatives pendant les années en référence ». Pour l’ensemble de ces raisons la Cour d’Appel écarte l’existence d’un risque réel de cloisonnement des marchés. Ce faisant, il appartenait à Auchan et son fournisseur de démontrer que les produits litigieux avaient été mis dans le commerce par Converse ; preuve qui n’est pas rapportée dès lors qu’il n’est pas possible de démontrer que les produits litigieux proviendraient du même lot que celui identifié au sein des documents produits (procès-verbaux d’huissier, factures d’achat). Cette solution stricte fait écho à d’autres décisions appréciant sévèrement les indices et facteurs de risque réel de cloisonnement (C. Cass 26/05/2009 n°08-11.520 ; CA Paris 17/12/2010 n°08/23955) parfois même pour des litiges quasi-identiques initiées par Converse (CA Paris 25/10/2016 n°015/05739). L’insécurité juridique est néanmoins notable lorsque cette décision est appréhendée à l’aune d’arrêts très récents rendus là-aussi pour des faits quasi identiques et dans des procédures initiées par Converse. Ces décisions semblent en effet plus accueillantes concernant la preuve de ce risque de cloisonnement et moins sensibles à la stratégie visant à produire des factures censées justifier des ventes passives (CA Paris, Pôle 5, 1ère Ch. 16/01/2018 n°16/04377 ; CA Paris, Pôle 5, 2ème Ch. 02/02/2018 n°15/18069). L’analyse in concreto menée par les juridictions de fond laisse libre cours à l’imagination probatoire des parties et génère donc une insécurité juridique forte : les uns souhaitant garder le silence sur l’identité de leur source d’approvisionnement, les autres divulguer le moins possible leurs accords contractuels et tarifaires. Mais peut-il véritablement en aller autrement tant la tension est permanente entre monopole sur droit de propriété industrielle et droit de la concurrence ? Ces décisions ne manquent pas de susciter nombre de questions que les contentieux prochains ne manqueront pas d’aborder (glissement d’un risque réel de cloisonnement vers la preuve d’un cloisonnement absolu ? Notion de quantités significatives concernant les ventes passives, etc.). AL