Les sociétés Castel Frères et Shanaï Panati Wine Co Ltd se sont déjà opposées dans un précédent litige s’agissant de l’utilisation par la seconde de la marque « Ka Si Té » qui correspondait à la forme chinoise la plus proche de la marque « Castel » (Cass., Com., 17 janvier 2018, n°15-29276) - https://www.vinseo.com/contrefacon-de-castel-ka-te-chinois/.
Dans cette nouvelle affaire, c’est la société de droit Chinois qui est à la manœuvre judiciaire et qui demande la déchéance pour défaut d’usage en France des deux marques françaises suivantes de la société Castel Frères :
·
Marque figurative
de 2006 pour des « boissons alcoolisées, à l’exception des bières »;
·
Marque figurative
de 2008 pour des « vins tranquilles ».
En première instance, le Tribunal Judiciaire de Bordeaux rejette ces demandes.
Devant la Cour d’Appel, la société Castel Frères questionne d’abord l’intérêt à agir de la société Shangaï Panati Wine. Argument rapidement rejeté par la Cour : dès lors que Shangaï Panati Wine et Castel Frères sont concurrentes, la première peut agir en déchéance des droits de la seconde.
S’agissant de la question de fond, le Tribunal judiciaire avait retenu les preuves produites par la société Castel Frères, pour justifier de l’usage en France, à savoir notamment : des étiquettes de bouteilles ; des fiches d’information du produit ; un extrait de catalogue de vin ; des brochures imprimées ; des menus de restaurant chinois ; un barème des tarifs ; des factures de vente ; une attestation du commissaire aux comptes quant au chiffre d’affaires de vente du vin référencé.
Le Tribunal avait par ailleurs été convaincu par l’argument relatif au public cible. A savoir un public sinophile du fait de la nature du produit et du réseau de distribution spécifique dont les restaurants chinois.
Donc un public en capacité de comprendre et percevoir ce signe
comme une marque.
La Cour écarte ces arguments et infirme le jugement.
Pour ce faire, elle relève d’abord que ces vins sont disponibles dans les restaurants, cafés mais également aux rayons d’alimentation de grandes surfaces.
Donc des vins disponibles pour le grand public qui n’est pas en mesure de prononcer ou mémoriser cette marque figurative. Il ne peut en effet ni la comprendre, ni l’interpréter faute d’en saisir le sens.
Par ailleurs, ce signe est toujours accompagné d’autres éléments verbaux dont « Dragon de chine » -accompagnés du dessin d’un dragon - et souvent ’Kasite’.
Ce faisant, ces éléments additionnels, qui accompagnent l’idéogramme et que l’on retrouve dans les preuves d’usage, sont finalement plus parlants pour le consommateur.
La Cour en conclut qu’il résulte une altération du caractère distinctif de la marque déposée.
Ce d’autant qu’il n’est pas rapporté la preuve :
·
du lien que pourrait faire le public entre le signe et la mention « Kasite ». ;
·
de la perception par le public en cause de la marque « comme un caractère de fantaisie uniquement destiné à souligner l’origine du vin ».
→ En conséquence, la déchéance des droits sur les marques de 2006 et 2008 est prononcée.
Toutefois, le litige n’en reste pas là puisque trois autres marques sont déposées juste avant et juste après les décisions françaises et européennes relatives à la validité des marques :
-
deux marques françaises
dont les dépôts sont complétés par l’information suivante : « Marque composée de trois caractères chinois. Le premier caractère chinois est la translittération de « KA », le second caractère chinois est la translittération de « SI », le troisième caractère chinois est la translittération de « TE », les trois caractères forment « KASITE » qui se traduit par CASTEL ».
-
marque de l’Union européenne
.
Une façon pour Castel Frères d’anticiper les décisions – éventuellement – défavorables sur les marques querellées.
Stratégie qui ne plaît guère à la société de droit Chinois qui oppose la mauvaise foi de cette dernière et sollicite leur nullité pour dépôt frauduleux.
Sur ce point, la Cour ne suit pas l’argumentaire de la société Shanaï Panati Wine Co Ltd et considère au contraire que ces dépôts « ne sauraient avoir été effectués de mauvaise foi par la société Castel Frères, celle-ci pouvant se prévaloir d'une part de la décision des premiers juges [qui écartait la déchéance] et, d'autre part, de ce que le dépôt au niveau européen tentait de répondre aux exigences de la décision précitée du Tribunal de l'Union Européenne ».
→ La mauvaise foi n’est pas retenue et ces dépôts sont valides.
La société Castel Frères sauve en conséquence ses marques grâce à cette stratégie de dépôts complémentaires.
Du moins, pour l’instant.
La fureur du Dragon laisse en effet augurer d’autres saisons à cette saga judiciaire…
Aymeric Louvet Joséphine SZAFARCZYK
Avocat Associé Avocate Collaboratrice