Ce n’est pas parce que la mère est riche que la fille doit payer plus cher !
Cass. com., 18 février 2014, pourvois n° 12-27643, 12-27697,12-27698, 12-27700, 12-28026
Dans l’affaire concernant des ententes dans le cadre de marchés publics relatifs au secteur de la restauration de monuments historiques, une filiale d’un grand groupe de BTP s’est vue infliger une sanction particulièrement sévère par rapport à sa participation aux pratiques et malgré le bénéfice d’un taux de réfaction à hauteur de 20 % en contrepartie d’une non-contestation des griefs, eu égard à son appartenance à un groupe présentant un chiffre d’affaires important.
Malgré l’imputabilité des pratiques à la seule filiale jugée autonome, la Cour d’appel (Paris, 11 oct. 2012, n° 2011/03298) avait considéré qu’il importait, quand l’entreprise appartenait à un groupe, de prendre en compte le chiffre d’affaires du groupe comme indicateur pertinent de sa puissance économique, afin d’assurer le caractère à la fois dissuasif et proportionné de la sanction, peu important que ce groupe n’ait pas lui-même participé aux pratiques.
L’arrêt est cassé sur ce point, au visa de l’article L 464-2 C. com., au motif que « les sanctions pécuniaires sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction » que la seule constatation de « l’appartenance de la société à un groupe puissant » ne pouvait suffire à adapter la sanction à la hausse sans établir que le groupe « [ait joué] un rôle dans la mise en œuvre des pratiques anticoncurrentielles ou était de nature à influer sur l'appréciation de la gravité de ces pratiques ».
Répondant au pourvoi d’une autre filiale qui évoquait sa faible capacité contributive et avait vu son argument rejeté en appel au seul motif de son appartenance à un groupe susceptible de contribuer, la Cour de cassation reproche à la Cour d’appel de n’avoir pas recherché si « cette société avait la faculté de mobiliser les fonds nécessaires au règlement de la sanction auprès du groupe auquel elle appartient ».
La considération du chiffre d’affaires du groupe dans la détermination de la sanction pécuniaire relative à une pratique anticoncurrentielle peut s’effectuer :
- au stade de l’appréciation de l’imputabilité de la pratique : si la filiale ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique pour l’essentiel les instructions qui lui sont données par la société mère, eu égard en particulier aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent ces deux entités juridiques, la société mère se voit imputer la responsabilité de la pratique et son chiffre d’affaires est pris en compte dans le calcul de la sanction. La jurisprudence tant nationale que communautaire considère que lorsque la société mère détient 100 % du capital de sa filiale, il existe une présomption réfragable qu’elle exerce une influence déterminante sur les décisions de celle-ci. Il appartient alors à l’entreprise poursuivie de renverser cette présomption en démontrant l’autonomie de la filiale, mais cette preuve est très difficile à apporter (Cons. Conc. n° 09-D-56 ; CJCE, 10 sept. 2009, Akzo e.a. c/ Commission, aff. C -97/08) ;
- si la pratique n’est pas imputable à la société mère, le chiffre d’affaires du groupe peut être pris en compte au stade de l’individualisation de la sanction : l’article L 462-4 C. com. dispose que « les sanctions pécuniaires sont proportionnées (…) à la situation de l’organisme ou de l’entreprise sanctionnée ou du groupe auquel l’entreprise appartient […] » (nous soulignons).
La Cour de cassation applique ici strictement le principe de personnalisation des peines, considérant que la seule appartenance à un groupe de l’entreprise incriminée ne saurait suffire à motiver la hausse du montant de la sanction ou à rejeter les éléments tenant à la capacité contributive de la filiale. Il convient pour cela que l’Autorité démontre que le groupe a joué un rôle dans la mise en œuvre des pratiques ou était de nature à influer sur la gravité des pratiques, ou même que la société pouvait faire contribuer le groupe au paiement de l’amende.
Il apparait toutefois difficile de faire la différence entre la notion d’imputabilité de la pratique au groupe et celle de son « rôle joué dans la mise en œuvre des pratiques », si bien qu’il pourrait être à redouter de la part de l’ADLC un recours plus large à l’imputabilité des pratiques au groupe, en rendant la preuve de l’autonomie de la filiale de plus en plus ardue à l’instar des juridictions communautaires (voir par ex. TUE, 13 sept. 2013, aff. T-548/08 à mettre en perspective avec T-566/08 et TUE 13 déc. 2013, aff. T-399/09).
Les praticiens pourront toutefois retenir précieusement cette décision au stade de l’individualisation des sanctions pour s’opposer à toute majoration ou rejet des arguments tenant à la capacité contributive de l’entreprise, du seul fait de l’appartenance de l’entreprise poursuivie à un groupe. L’Autorité devra en effet établir un lien entre l’appartenance à un groupe et la mise en œuvre ou la gravité des pratiques anticoncurrentielles.
Karine BIANCONE