CA Paris, 6 janvier 2022 n°18/04210, Laboratoires Meyssol - Orapi/ Adys
Contexte –Les Laboratoires Meyssol – devenus ORAPI – spécialisés dans la fabrication/vente de produits chimiques pour le nettoyage, ont développé une relation commerciale avec la société Adys – grossiste. Au sein du contrat de collaboration conclu à cet effet, le fabricant s’est engagé « à ne pas démarcher directement ou indirectement les clients de la société Adys ». Sur le fondement de cette clause, le grossiste reproche à son partenaire d’approvisionner directement l’un de ses clients – la société Passat.
Problème n°1 –Afin de s’opposer aux effets de cette clause, ORAPI prétend que cette dernière doit être qualifiée de clause de non-concurrence ; clause qui doit être annulée dès lors qu’elle était prévue pour une durée indéterminée, n’identifiait pas précisément les clients concernés et était disproportionnée.
Solution – La Cour retient effectivement cette qualification dès lors que la clause de non-sollicitation de clients « s’apparente à une clause de non-concurrence et doit en suivre le régime ».
Et la Cour d’analyser les conditions cumulatives de limitation dans le temps, l’espace ainsi que le critère de proportionnalité. Conditions ici justifiées dès lors que cette clause est limitée : à la durée des relations contractuelles entretenues ; à une liste de clients déterminés. La Cour précisant à cet effet que Adys ne réalisant aucune activité à l’export et les clients ayant une activité essentiellement nationale, « la clause était nécessairement limitée au territoire national ». Intérêt légitime et proportionné enfin justifié dès lors qu’Adys devait protéger ses clients vis-à-vis de son partenaire fabricant par ailleurs concurrent sur le marché de la revente. En conséquence, « la clause litigieuse, délimitée, légitime et proportionnée, n'encourt aucune nullité ».
Observations – La clause de non-sollicitation de clients diffère, de prime abord, de la clause de non-concurrence dès lors que son objet paraît plus étroit. Seul en effet le démarchage actif de la clientèle est prohibé. La jurisprudence majoritaire requalifie néanmoins – comme en l’espèce (« s’apparente à ») – en clause de non-concurrence cette dernière et lui applique la grille d’analyse stricte des conditions de validité. Et ce, qu’il s’agisse d’ailleurs d’une obligation imposée à un opérateur économique indépendant ou à un salarié (nécessitant en outre une contrepartie financière pour le salarié ; Cass. Soc. 27/10/2009 n°08–41. 501). D’autres décisions – apparemment plus minoritaires – considèrent néanmoins que cette clause « ne peut être assimilée à une clause de non-concurrence ». Autrement dit, il s’agirait d’une clause autonome non soumise auxdites conditions cumulatives de validité de la clause de non-concurrence (CA Toulouse 28/07/2017, n°15/03759). Autonomie de la clause de non-sollicitation consacrée, non pas pour les clients, mais pour les salariés. Cet engagement contractuel ne concerne donc pas l’interdiction de démarcher des clients mais de recruter les collaborateurs (salariés ou non) de son partenaire contractuel ou de son concurrent. La jurisprudence considère dans cette hypothèse que cette clause, proche de la clause de non-concurrence, « n’est ni une variante, ni une précision de celle-ci » (Cass. Com. 11/07/2006, n°04-10.149). Néanmoins, même si les conditions de validité sont moins strictes, l’autonomie de cette clause ne dispense pas le juge de s’assurer que les atteintes à la liberté du travail ainsi qu’à la liberté d’entreprendre sont proportionnées aux intérêts légitimes de la clause (Cass. Com. 27/05/2021 n°18-23.261).
Problème n°2 – ORAPI soutenait en outre – pour mieux s’en défaire – que cette clause est « constitutive d'un déséquilibre significatif à son détriment ».
Solution – Sur le fondement de l’article L 442-6-2° du Code de commerce (rédaction antérieure à l’Ordonnance du 24 avril 2019), la Cour écarte cet argument et rappelle la nécessité de démontrer la tentative de soumission ou la soumission du partenaire commercial ainsi que l’existence d’une obligation créant un déséquilibre significatif.
Or, en l’espèce « l'existence d'un contrat d'adhésion ne suffit pas à caractériser la preuve de l'absence de pouvoir réel de négociation ». Ainsi, le fait que les Laboratoires Meyssol « ait rencontré des difficultés financières au moment de la conclusion du 'contrat de collaboration' du 18 avril 2016 ne démontre aucune soumission ou tentative de soumission de la part de la société Adys ». Aucun déséquilibre significatif n'est donc caractérisé.
Observations – Si la clause de non-concurrence ne respecte pas les conditions de validité dégagées par la jurisprudence, elle peut effectivement être à l’origine d’un déséquilibre significatif (CEPC, avis n°16–9 du 12/05/2016). Pour autant, même si ces conditions sont réunies – ce qui était apparemment le cas en l’espèce – le défendeur a toujours la possibilité de démontrer que cette clause, valable au regard des critères jurisprudentiels, génère un déséquilibre significatif au sein des droits et obligations du contrat (Aff. Subway LD 11/2020, obs. K. Biancone). Preuve qu’ORAPI n’a pu ici apporter.
Problème n°3 – ORAPI se défendait enfin sur le terrain de l’interprétation et de l’exécution de cette clause. Celle-ci soutenait en effet que « l'interdiction mise à sa charge portait sur du démarchage, soit une sollicitation de la clientèle à son domicile ». Or, dès lors que le client – Passat – l’avait démarchée, elle n’avait pas violé cette clause.
Solution – La Cour, après une analyse factuelle précise des contacts et relations entre ce client et le fabricant, retient en effet que le contrat conclu avec ce client « ne permet pas de démontrer que la société Orapi a pris l'initiative de ce contrat et en a dicté les conditions d'autant plus qu'il ressort de ce qui précède que c'est la société Passat qui a sollicité la société Orapi pour bénéficier d'une exclusivité pour la distribution de ce produit. Dans ces conditions, aucun élément ne démontre un démarchage de la part de la société Orapi à l'égard de la société Passat ».
Observations – Cette solution fondée sur une interprétation stricte du périmètre de la clause de non-concurrence doit être approuvée. En l’absence de sollicitation des clients par le débiteur de l’obligation, pas de violation de l’obligation. Il a par exemple été jugé qu’une société débitrice de l’obligation de non-démarchage ne violait pas cette dernière en répondant à un appel d’offres et ce d’autant que ce client avait rompu ses relations cinq mois avant avec le créancier de ladite obligation (CA Montpellier, 10/12/2019, n°17/02263). Enfin, quand bien même l’inexécution de cette obligation de ne pas faire aurait été démontrée, la preuve du principe et du montant du préjudice devait être apportée (Cass. Com 7/05/2019 n°18-11128).