Un agent commercial, qui intervient pour le compte d’un fournisseur d’arts de la table auprès d’enseignes de la grande distribution, est rémunéré aussi bien sur les ventes directes qu’indirectes réalisées sur son secteur. Sont toutefois exclues « les actions centrales » et « les livraisons entrepôt ». Confronté en cours de contrat à des demandes de produits sous marques de distributeur par les enseignes et de promotions fortes, le mandant informe son agent par courrier que ces opérations spécifiques, à très faible marge, ne seront pas commissionnées et lui demande de retourner ce courrier signé ; ce que l’agent ne fera jamais. La Cour est ainsi saisie, dans un premier temps, de la question de l’imputabilité de la rupture du contrat. Le mandant, se fondant sur le contrat, considère que la rupture est imputable à l’agent aux motifs que : ces opérations spécifiques n’ont pas à être commissionnées conformément aux stipulations contractuelles ; l’agent n'intervenait pas dans la commercialisation des produits MDD ; les commandes émanaient directement des centrales d'achat de sorte qu’il ne proposait pas les produits MDD à la vente aux magasins. La Cour d’appel rejette l’ensemble ces arguments. Il est tout d’abord relevé que l’agent n’a pas expressément accepté la modification du contrat. Analysant ensuite les termes du contrat, la Cour constate le flou des notions utilisées – «aucune définition n’est donnée sur les « actions centrales » et « livraison entrepôt » – et interprète ces dernières en faveur de l’agent. Ainsi, la Cour considère que l’opération « 25 jours Auchan » devait être commissionnée dès lors qu’aucune clause ne « prévoyait une absence de commission pour des opérations ponctuelles ». Interprétation discutable au regard de l’exception au droit à commission pour les « actions centrales » mais qui peut paraître conforme aux dispositions de l’article L 134-7 du Code de commerce. Interprétation défavorable au mandant concernant par ailleurs le périmètre des produits contractuels dès lors qu’« il n’est nullement mentionné que les produits « marque de distributeur » (MDD) étaient exclus du périmètre de vente ». Au contraire, le terme général utilisé au contrat – « nos produits » – engloberait la totalité des produits du mandant y compris ceux à marque de distributeur. En l’absence d’éléments factuels plus précis, nous ne savons pas si cette notion renvoyait à une annexe détaillant les produits contractuels sous marque de fournisseur. Si tel avait été le cas, la commercialisation auprès de ces enseignes de produits MDD aurait-elle caractérisé une violation par le mandant de ses obligations ? Réponse affirmative dans l’hypothèse d’une exclusivité concédée à l’agent ; exclusivité que la Cour a consacré en l’espèce au motif – erroné – que les commissions étaient dues sur les ventes directes et indirectes. En revanche, en l’absence d’exclusivité, rien n’est moins sûr. Il a ainsi été jugé que la proposition d’un nouveau produit à un taux de commission inférieur à celui prévu dans le contrat initial ne peut en effet être analysée comme une modification unilatérale du contrat mais comme la proposition d’un nouveau contrat (CA Aix-en-Provence 21/03/2012 n°2012/137). La commercialisation de ce produit, lorsqu’elle répond à des impératifs commerciaux, et non à une volonté de nuire à l’agent, ne caractérise donc pas une faute du mandant (CA Montpellier 06/06/2017 n°14/05046). La liberté du mandant sera toutefois limitée si ces ventes affectent la mission de l’agent. Il s’agit en effet dans ce cas d’une violation de l’obligation de loyauté lui incombant (art.L134-4 du Code de commerce), peu important qu’une exclusivité ait été concédée à l’agent (CA Versailles 07/07/1999, RJDA 99 n°1203), dès lors que le mandant ne met pas l’agent en mesure d’exécuter son mandat (Cass Com. 24/11/1998 n°96-18.357). Autrement dit, ce sont les effets d’une telle décision sur la situation de l’agent qui auraient été pris en considération. Enfin, l’argument relatif à l’absence de livraison directe des produits par le mandant aux magasins dévolus à l’agent n’est pas directement abordé par la Cour. L’on sait néanmoins, depuis la décision Chevassus Marche, que les commissions ne sont pas dues lorsque les opérations sont conclues avec des tiers sans l’intervention directe ou indirecte du mandant (Cass.comm 01/07/2008 n°03-12.724 ; CJCE 17/01/2008 aff.C-19/07). Or, il paraît difficile en l’espèce pour le mandant de se réfugier derrière la vente de ces produits MDD à la centrale et non aux magasins, alors même qu’il livre directement ces derniers. Pour l’ensemble de ces raisons, la rupture du contrat est imputable au mandant. Les conséquences financières de cette imputabilité, abordées dans un second temps par la Cour, sont lourdes pour le mandant. La Cour condamne en effet celui-ci à un rappel de commissions pour les produits à marque fournisseur sous opération promotionnelle et à une perte de chance d’obtenir les commissions sur les ventes de produits MDD. Classiquement les premières sont prises en compte pour le calcul de l’indemnité de fin de contrat, les secondes en sont exclues mais sont réparées sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun. Cette décision rappelle, au regard des différents niveaux de négociation, de la multiplicité des produits livrés, de la complexité des opérations promotionnelles négociées et de l’hétérogénéité des organisations logistiques par enseigne, la nécessité pour les mandants d’être attentifs à la rédaction de la clause rémunération. L’équilibre est néanmoins difficile à trouver entre cadre strict ancré sur une définition précise et limitative des notions utilisées (gamme de produits, localisation du client, assiette des commissions sur le net, double net ou triple net, etc.) et souplesse permettant au mandant d’appréhender les demandes évolutives de ses clients ; demandes parfois impulsées par les évolutions législatives nombreuses en matière de négociations commerciales...
Aymeric Louvet