Cass. Crim., 22 février 2022, n° 21-83.226
Faits. Un contrôle de l’administration lors des soldes d’hiver 2018 fait apparaître que les deux tiers de références vendues par un magasin affilié ont fait l’objet d’un réapprovisionnement auprès du fournisseur-commettant dans les 30 jours précédant les soldes. Sur le fondement des articles L.310-3 -I-al.3 et L.310-5-3° du Code de commerce, le Tribunal puis la chambre correctionnelle de la Cour d’appel condamnent la société affiliée à 10.000€ d’amende pénale pour avoir vendu en solde des marchandises détenues depuis moins d’un mois.
Problème. La société commissionnaire-affiliée affirme, au soutien de son pourvoi, qu’il n’y a pas eu réapprovisionnement au sens de ces textes dès lors qu’elle est étroitement liée à son fournisseur-commettant et que «
son indépendance juridique et économique n’est que purement fictive ». Pour cette dernière, le contrat de commission-affiliation est en effet spécifique dès lors que le magasin ne bénéficie pas d’une autonomie réelle par rapport à son commettant, ce dernier assurant seul la gestion et le renouvellement des stocks.
Solution. La Cour de cassation rejette le pourvoi, confirmant ainsi la solution retenue par la Cour d’appel. Pour ce faire, il est relevé qu’il s’agit de «
deux entités juridiques indépendantes […] le commettant fournit à l’affilié un stock de marchandises que celui-ci vend pour son compte en échange d’un pourcentage du chiffre d’affaires réalisé, de sorte que les produits du commettant sont placés en dépôt-vente chez les commissionnaire ». De même, «
il résulte des articles L. 310-5, qui mentionne seulement la détention de marchandises, et L. 310-3 du code de commerce, […] que les produits annoncés comme soldés doivent avoir été détenus et proposés à la vente depuis plus d'un mois par la même société ». Il peut donc en être déduit que
« la détention des marchandises doit s'apprécier au regard de cette société commissionnaire venderesse qui ne saurait s'exonérer des obligations et interdictions découlant de l'application de la législation du code du commerce, en sa qualité de commerçant procédant elle-même à des soldes, en tant que gestionnaire de son magasin et maître des prix affichés ». Et d’en conclure que «
faire remonter la date de détention des marchandises dans l'établissement commercial dans lequel les ventes de produits soldés sont organisées à la détention des marchandises dans le dépôt d'un fournisseur juridiquement indépendant, aboutirait à vider la loi de son sens et générerait une inégalité économique au sein des différents commerces, les uns écoulant effectivement leurs stocks dépareillés, les autres vendant tous leurs articles régulièrement réapprovisionnés ».
Observations. Les textes précités encadrant les soldes usent de notions – et de silences – générateurs d’insécurité juridique. Les produits annoncés comme soldés doivent en effet «
avoir été proposés à la vente et payés depuis au moins un mois » à la date de début de la période de soldes considérée. Sont donc sanctionnées pénalement les soldes portant sur des marchandises «
détenues depuis moins d'un mois » à la date de début de la période de soldes considérée. Aucune précision n’est donc apportée quant au lieu et quant à la personne qui peut détenir le stock. De même, s’agit-il d’un réapprovisionnement compris comme une simple livraison (acte matériel) ou d’un achat (acte juridique) ? Questions d’autant plus prégnantes au sein des réseaux de distribution qui assurent la gestion centralisée et déportée des stocks ainsi qu’une livraison parfois quotidienne des magasins. La décision sous commentaire traduit une interprétation très stricte des dispositions légales. A en croire cette solution, l’opération de réapprovisionnement serait en effet interdite dès lors qu’elle mettrait en présence deux «
entités juridiquement autonomes » donc apparemment deux sociétés juridiquement distinctes. Ce faisant, l’obligation de détention et de proposition à la vente
depuis plus d'un mois ne pourrait être justifiée que (par) la même société. Autrement dit, l’impossibilité pour le magasin affilié de justifier d’une détention et d’une offre à la vente dudit stock par le commettant. Cette interprétation qui paraît ajouter une condition au texte pénal – pourtant d’interprétation stricte – ne va pas de soi.La Circulaire du 16 janvier 1997 précisait en effet que «
le stock peut être constitué dans l’établissement commercial, ses réserves, un dépôt » (titre III, I, 1°). Cette référence au « dépôt » semblait ouvrir la faculté pour l’organisateur des soldes de recourir à des marchandises détenues en dépôt par un tiers pour son compte dès lors que ledit stock est prédéterminé et non renouvelable au cours de l’opération de soldes (
Cass. Com. 28 janvier 2004, n° 213 RJDA 6/04 n° 694). La jurisprudence ne s’est par ailleurs pas contentée de limiter l’absence de réapprovisionnement – et donc la licéité de l’opération – au cas où la livraison serait effectuée par une société à sa succursale, et donc en présence d’entités juridiques non autonomes (T. corr. Bobigny, 8 octobre 1998, BID 1999, n°11, p.53 ; Cass. Crim., 13 janvier 2004, n°03-80.563). La chambre commerciale de la Cour de cassation a en effet refusé de considérer comme un approvisionnement illicite les commandes passées par une société à une autre avec laquelle elle était étroitement liée en raison d’associés communs. Donc des sociétés juridiquement indépendantes mais étroitement liées. Bien que matériellement distincts, les stocks des deux sociétés devaient être considérés comme n’en formant qu’un seul (Cass. Com. 28 janvier 2004, n° 213 RJDA 6/04 n° 694 ; Cass. Com. 2 juin 2004, n°02-21.394). Surtout, plus récemment, la Commission d’Examen des Pratiques Commerciales a fait primer ce critère des liens économiques sur celui de l’autonomie juridique. Interrogée par le Conseil d’une société filiale – qui se réapprovisionnait via une plateforme numérique permettant à tous les points de vente physique qu’elle exploite
d’acheter directement auprès de leur maison mère – la CEPC fait application de la décision précitée (Cass. Com. 2 juin 2004) et précise que par sociétés « étroitement liées », il convient d’entendre : «
des sociétés qui entretiennent des liens économiques suffisamment étroits pour considérer que le stock est localisé dans l’une ou l’autre société », tout en citant à titre d’exemple les liens mères-filles au sens de l’article L.233-1 du Code de commerce. C’est l’argument que reprenait ici l’auteur du pourvoi. Le régime juridique du contrat de commission-affiliation lui paraissait pouvoir justifier de liens économiques et contractuels étroits avec le commettant (prix au consommateur fixé par le commettant ; produits vendus lorsque le consommateur achète le produit au commissionnaire ; produits jusque-là en dépôt-vente). Et ce faisant, pouvoir retenir comme durée de détention des produits et de paiement de ces derniers la date de leur achat auprès d’un fournisseur extérieur par le commettant. La Chambre criminelle ne l’entend pas ainsi et semble arrêter une décision qui va bien au-delà de celle ayant condamné un franchisé s’étant réapprovisionné auprès de son franchiseur (CA Chambéry, 2 décembre 1999 : BRDA 2000, n° 23, p.14). L’objectif de transparence du texte, assurant aux consommateurs la réalité de l’écoulement accéléré de produits réellement commercialisés et en stock, ne semble pourtant pas exclure la possibilité d’interpréter de façon libérale les notions de détention et d’acquisition du produit. L’essentiel étant, au sein de ce type de réseau, d’assurer strictement la traçabilité des achats et l’effectivité des ventes pendant la période considérée. Mais il est vrai qu’en l’espèce, et
« au surplus, les produits soldés par la prévenue n’avaient pas été proposés à la vente depuis au moins 1 mois » …