Faits
Les structures de regroupement à l’achat (SRA) et les centrales d’achat pharmaceutiques (CAP) ont été instituées par le législateur afin de permettre de développer les ventes directes par les laboratoires pharmaceutiques aux pharmacies d’officine, avec pour objectif de faire cesser les pratiques de rétrocession illicites entre pharmacies, tout en faisant baisser les prix des médicaments non remboursables et développant incidemment l’automédication. Les laboratoires n’ont pas suffisamment favorisé ces structures dans la construction de leur offre tarifaire, si bien que les pharmaciens ont continué à avoir recours aux rétrocessions illicites.
En l’espèce, afin de contourner la politique tarifaire catégorielle du laboratoire pharmaceutique BMS (ci-après « BMS »), fondée sur un système de remises différenciées tenant compte de la qualité de l’acheteur et du volume commandé, moins favorable aux structures de regroupement à l’achat (« SRA ») et aux centrales d’achat pharmaceutiques (CAP), qu’aux officines, la SRA Mon courtier en pharmacie (anciennement Pyxis Pharma) et la CAP Sagitta Pharma, avaient servi de support financier et logistique à des rétrocessions entre pharmaciens.
BMS assigne le pharmacien à l’initiative de la rétrocession, Mon courtier en pharmacie, Sagitta Pharma en concurrence déloyale, la faute reposant sur le non respect de l’interdiction des rétrocessions de médicaments entre pharmacies. Reconventionnellement ces dernières invoquent, sur le fondement des anciens articles L441-6 et L 442-6 I 9°) du Code de commerce, la pratique restrictive de concurrence de non communication des conditions générales de vente, estimant qu’agissant pour le compte d’officines, elles devaient se voir communiquer et accorder les conditions générales de vente catégorielles officines.
Problème
BMS ayant construit des conditions générales de vente fondées sur des catégories d’acheteurs destinées respectivement aux CAP/SRA, aux grossistes-répartiteurs, aux officines, et aux hôpitaux /établissement de santé publics, pouvait-elle refuser à Mon courtier en pharmacie et Sagitta Pharma le bénéficie des conditions catégorielles destinées aux officines ?
Solution
La Cour d’appel, confirmant en cela les juges de première instance, décide que :
« Sur ce, il convient de rappeler, pour l'application de l'article L.442-6, I, 9º, qu'un fournisseur de produits est tenu de communiquer ses conditions générales de vente dans les conditions prévues à l'article L.441-6 et qu'il ne peut refuser à un acheteur la communication des conditions générales de vente applicables à une catégorie de clientèle que s'il établit, selon des critères objectifs, que cet acheteur n'appartient pas à la catégorie concernée. […]
Or, dans le cas présent, il est établi que la société Mon courtier en pharmacie a négocié en qualité de commissionnaire à l'achat, ce qui l'a engagée, certes, pour le compte des pharmaciens d'officine qu'elle regroupe mais, cependant, en son propre nom, ce qui constitue à l'égard du fournisseur une différence objective avec la catégorie des officines avec lesquelles elle traite directement et auxquelles elle réserve une autre catégorie de conditions générales de vente.
Cette différence objective avec la situation des officines regroupées par la SRA est d'autant plus marquée que la négociation des conditions tarifaires avec le fournisseur s'effectue globalement avec la SRA dans le cadre d'une relation contractuelle dans laquelle le fournisseur ne s'engage qu'à l'égard de la SRA.
Il s'ensuit que le refus de la société UPSA de communiquer à la SRA les conditions générales qu'elle réserve aux officines se fonde en l'espèce, selon des critères objectifs, sur le fait que la SRA n'appartient pas à la même catégorie d'acheteurs que les officines.
Le société Mon courtier en pharmacie et l'association Pyxis Pharma seront donc déboutée de leur demande en injonction de communication de conditions générales de vente et par suite de l'ensemble des demandes au titre de l'appel incident ».
Analyse
Cette décision illustre une nouvelle fois la portée de la définition des catégories de clients issue de l’article L 441-1 II du Code de commerce [L 441-6 ancien] dans la construction de la politique tarifaire.
La construction de conditions générales de vente différenciées par catégorie de clients doit se fonder sur des critères objectifs, non discriminatoires, ne créant pas un déséquilibre significatif, une entente entre le fournisseur et les distributeurs favorisés ou un abus de position dominante (Paris, 4 juillet 2019, n° 12/14522, LD sept.2019, obs. K. Biancone). Les acteurs de la distribution de médicaments répondent eux-mêmes à des définitions précises contenues dans le Code de la santé publique. La politique tarifaire dans ce secteur peut donc s’articuler assez naturellement entre ces différents acteurs.
La mise en œuvre de la politique tarifaire différenciée par catégories de clients doit s’exercer dans le respect des critères contractuels objectifs ainsi définis.
Ainsi, la Cour de cassation, dans une affaire similaire concernant Pyxis et Sagitta, avait jugé que la Cour d’appel, qui avait rejeté les demandes de Pyxis Pharma, devait « préciser les critères appliqués par la société Cooper pour définir ses catégories d’acheteur lui permettant de retenir que la société Pyxis, qui n’est pas une officine, ne relevait pas de la même catégorie d’acheteurs que les officines et groupement d’officines et relevait ainsi nécessairement de celle des grossistes » (Cass. com. 29 mars 2017, n°15-27811, LD avr.2017, obs. JM Vertut).
La Cour d’appel de renvoi avait alors considéré que la SRA Pyxis agissant « d’ordre et pour la compte » d’officines, tant au regard de l’article D. 5125-24-1 du Code de la santé publique, qu’au regard du contrat la liant à ses officines commettantes, n’agissait pas en tant que grossiste puisque les effets réels du contrat de vente s’opéraient dans le patrimoine des officines. En conséquence, cette dernière devait se voir communiquer les conditions catégorielles officine (Paris, 4 juillet 2019, n° 12/14522, LD sept.2019, préc.).
En l’espèce la Cour d’appel semble à première vue se contredire par rapport à ce précédent. Mais en réalité la Cour ne fait ici que l’exacte application de l’arrêt de la Cour de cassation précité. En effet, dans la première affaire « Cooper », le laboratoire avait construit une politique tarifaire catégorielle autour de trois catégories : (i) les officines indépendantes, (ii) les officines groupées et (iii) les grossistes auxquels étaient assimilées les SRA. Ainsi, la Cour d’appel avait dû se positionner quant à l’appartenance de la SRA à la catégorie des grossistes ou des officines. Dans la présente affaire « BMS », le laboratoire avait défini quatre catégories : (i) les SRA/CAP, (ii) les officines, (iii) les grossistes -répartiteurs, et (iv) les hôpitaux et établissements publics de santé. La Cour d’appel n’a donc pas eu à s’interroger quant à l’appartenance de la SRA à la catégorie des grossistes, mais à la licéité de la différenciation catégorielle entre la SRA et l’officine. C’est pourquoi, pour débouter la SRA de sa demande de se voir communiquer les conditions « officines », elle relève qu’objectivement la SRA agit en tant que commissionnaire, ce qui prive le fournisseur d’une négociation directe avec l’officine, que la négociation des conditions tarifaires s’effectue globalement avec le fournisseur dans le cadre d’une relation contractuelle dans laquelle le fournisseur ne s’engage qu’à l’égard de la SRA.
Ces deux affaires illustrent pleinement la portée de la construction de la politique commerciale catégorielle et l’enjeu d’une segmentation fine et précise de la clientèle, en fonction de la stratégie commerciale envisagée.