La clause de préemption, qui s’analyse juridiquement comme un pacte de préférence, permet au franchiseur de se porter acquéreur, en priorité, du fonds de commerce ou des parts et actions des franchisés. Le franchiseur pouvant légitiment souhaiter maintenir dans le réseau les emplacements stratégiques, a fortiori, lorsqu’il a lui-même identifié ledit emplacement, cette clause est bien connue des rédacteurs de contrats de franchise. Son efficacité est admise par la jurisprudence dès lors qu’elle a été consentie par les associés (et non la personne morale) (cf Cour d’appel de Poitiers, 15 janvier 2008, contrats, conc., conso 2008) et que le droit de préemption est exercé aux conditions contractuelles (Cass. Com., 6 mai 2008, 07-12378). A noter toutefois que l’Autorité de la Concurrence stigmatise ce type de clauses dans la mesure où le jeu de la concurrence peut se trouver restreint par la limitation de la possibilité pour les réseaux concurrents de racheter les magasins franchisés (AC, avis 10-A-26 du 7 décembre 2010). Néanmoins, il a été jugé dans le secteur du bricolage, que le droit de préemption n’avait pas eu un effet anticoncurrentiel comme ne constituant pas, dans les faits, un obstacle au changement d’enseigne (AC, décision n°13-D-19). Précisément dans le secteur du bricolage et dans l’affaire soumise à notre commentaire, plusieurs sociétés appartenant à un même groupe étaient liées par un contrat de franchise à la société Mr. Bricolage. Ledit contrat stipulait en droit de préemption au bénéfice du franchiseur. La société Bricorama ayant fait une proposition de rachat aux associés, le franchiseur a fait savoir qu’il entendait se prévaloir des dispositions du contrat et se porter acquéreur au prix proposé par son concurrent. La société Bricorama ayant in fine acheté les titres, la société Monsieur Bricolage a initié le contentieux afin d’obtenir l'attribution à son profit des titres des sociétés franchisés. Dans un premier arrêt, la Cour d’Appel de Paris a constaté l’efficacité du droit de préemption sans se prononcer sur la validité de la cession, les cessionnaires n’étant pas dans la cause (CA Paris, 14 mai 2003). Le franchiseur a donc initié une nouvelle procédure en y associant ces derniers devant le Tribunal de Commerce puis devant la Cour d’Appel de Paris laquelle avait relevé que son premier arrêt était irrévocable et opposable au cessionnaire (et ce faisant que le droit de préemption avait été valablement exercé) mais que la disparition des sociétés cédées, à la suite d'une opération de fusion-absorption réalisée par la société Bricorama, rendait impossible la substitution de la société Mr Bricolage dans les droits de l'acquéreur. La substitution bien qu’envisageable au regard du droit commun [ayant consacré la possibilité pour le bénéficiaire du pacte de préférence de se substituer au tiers dans le contrat conclu dès lors que ce dernier connaissait l'existence du pacte et l'intention du bénéficiaire de s'en prévaloir est désormais admise : Cass. Mixte, 26 mai 2006 ; Cass. Com., 7 juillet 2009, n°08-15686 ; principe entériné par la réforme du droit des obligations à l’article 1123 du Code Civil ;] était ainsi rendue impossible par le jeu du droit des sociétés (cf article 1844-5 du Code Civil et L236-3 du Code de Commerce, voir dans le même sens, CA Paris, 15 novembre 2006). Dès lors, le franchiseur ne pourrait obtenir que des dommages et intérêts versés, in solidum, par la société Bricorama et les associés cédants. La Cour ayant ensuite jugé qu’une expertise était nécessaire pour évaluer ce préjudice (CA Paris, 15 novembre 2006), un expert a produit un rapport et l’affaire a été portée une nouvelle fois devant la Cour d’Appel de Paris (CA Paris, 15 février 2012) mais la Cour ne s’étant pas prononcée sur les dernières conclusions des parties, l’arrêt rendu a été cassé par la Cour de Cassation (Cass. Com. 7 janvier 2014, 12-17416). L’affaire a donc été portée une nouvelle fois devant la Cour d’Appel de Paris qui, sur le fondement du rapport de l’expert, a condamné la société Bricorama et les associés cédants à verser à la société Monsieur Bricolage 5 100 000 euros de dommages et intérêts (CA Paris 22 octobre 2014, 14/01115). La Cour de Cassation, dans l’arrêt ici commenté, rejette le pourvoi formulé par ces derniers. En premier lieu, le pourvoi contestait l’efficacité de la préemption dès lors que la société BRICORAMA avait formulé une offre d’achat et que ce n’était pas les franchisés qui avaient émis une offre de vente. La Cour écarte l’argument sur le fondement de l’autorité de la chose jugée, de par les arrêts évoqués la violation de la clause et l’existence du préjudice étaient acquises en leur principe, il ne restait qu’à la Cour d’apprécier les composantes de ce préjudice. Ainsi et en second lieu, la Cour valide l’appréciation du préjudice subi par le franchiseur, il s’agit « de la perte d’une chance de se développer laquelle nécessitait la prise en compte des effets ultérieurs à la faute retenue ». Cette perte de chance a été évaluée en prenant en compte les gains théoriques possibles, les résultats de gestion de la société BRICORAMA en comparaison de la gestion qui aurait pu être envisagée par Monsieur Bricolage, des effets de la concurrence dans le secteur et des politiques de développement du groupe (5 000 000 euros). En outre, un préjudice propre est caractérisé du fait de la concurrence déloyale de la société BRICORAMA (100 000 euros) qui, de son propre aveu, admet avoir eu un intérêt stratégique à l’acquisition de ces parts, lequel a privé la société MR Bricolage de la présence de sa marque sur les secteurs géographiques concernés (voir dans le même sens, Cass., Com., 19 décembre 2000, n°98-20515, LD 2001/3).
Cette lourde condamnation devrait inciter les associés cédants et les acquéreurs d’enseignes concurrentes à d’avantage de prudence ce d’autant que d’autres stratégies élaborées notamment par la société BRICORAMA pour contourner le droit de préemption de la société Monsieur Bricolage ont déjà été jugés déloyaux par la Cour de Cassation (telle l’indemnité de 8% pour les cessionnaires en cas d’usage par Monsieur Bricolage de son droit de préemption conduit à la majoration artificielle du prix de cession impliquant l’obligation indirecte d’indemniser un concurrent à raison de la non obtention d’une part de marché, Cass. Com. 25 juin 2013, 12-20123).