Tribunal de commerce, 1ère Chambre, Paris, jugement du 13 octobre 2020, répertoire général n° 2017005123
Faits
Dans un secteur, celui de la franchise, où le droit de la concurrence reconnait la licéité des clauses restrictives destinées au maintien de l'identité commune et de la réputation du réseau, celui des pratiques restrictives de concurrence considère comme suspecte l’identité commune contractuelle qui peut en résulter.
A la suite d’une enquête diligentée par la DGCCRF concernant un contrat de franchise dans le secteur de la restauration rapide (enseigne Subway), le ministre de l’économie avait introduit une action devant le tribunal de commerce de Paris à l’encontre du franchiseur concerné, sur le fondement de l’article L. 442-6, I., 2° du code de commerce dans sa version antérieure à l’ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019 (remplacé par L. 442-1, I., 2°).
L’enseigne a été condamnée à 500 000 € d’amende civile, et à supprimer de l’ensemble de ses contrats de franchise les clauses jugées contraires à l’article L. 442-6, I., 2° du Code de commerce dans sa version antérieure à l’ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019.
Il est à rappeler que le texte requiert deux conditions pour son application la soumission ou tentative de soumission d’un partenaire commercial (i), et l’identification d’obligations créant un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties (ii).
Problème 1
La notion de partenaire commercial eut-elle s’étendre à une société sans lien contractuel avec le franchisé, supposé victime de la pratique ?
Solution
Le Tribunal considèreque « le partenariat économique s'étend aux sociétés qui, sans qu'elles aient elles-mêmes conclu ou participé à la conclusion du contrat avec le partenaire, ici le franchisé, ont pris personnellement part aux pratiques restrictives de concurrence, concouru aux dommages causés par leur partenaire en raison de ces pratiques en fournissant les moyens et assuré l'exécution du contrat comportant des clauses manifestement déséquilibrées ».
Analyse
Le Tribunal confirme l’acception d’une conception large de la notion de « partenaire économique » relevant de l’ancien article L 442-6 I 2°) du Code de commerce, telle qu’adoptée par la Cour de cassation (Com., 15 janvier 2020, n°18-10512, LD Fèvr. 2020, obs. S. Chaudouet), en l’appliquant à une société prestataire de services du franchiseur, pour « l’exploitation et la gestion du système de franchise en France », qui n’a pas de lien contractuel direct avec la société franchisée.
Problème 2
Quels critères permettent de qualifier la soumission ou tentative de soumission dans une relation de franchise ?
Solution
Le Tribunal rappelle que la soumission ou tentative de soumission suppose « l’absence de négociation effective » ce qui suppose « des concessions véritablement réciproques », dont la preuve doit être apportée par le Ministre. Il rejette les arguments de Subway tenant à (i) alléguer sa faible part de marché sur le secteur de la restauration rapide (7.5 % du nombre total d’unités franchisés), et le choix qui en résulte pour un candidat franchisé de conclure avec une autre enseigne, considérant que la position dominante n’est qu’un « indice » de la soumission et non pas sa « condition sine qua non », (ii) prétendre que l’homogénéité du réseau de franchise permettant de développer une identité commune, requiert des contrats tous rédigés sous le même modèle, considérant que cet argument ne saurait enlever au franchisé la possibilité de négocier le contrat. En effet, le Tribunal constate que les franchisés n’étaient pas en mesure de négocier le contrat de franchise, par le jeu de trois clauses (i) un contrat en français et en anglais dont la seule version française fait foi, (ii) la loi néerlandaise applicable, (iii) une clause compromissoire comme seul voie de recours en cas de litige. En outre, le DIP de préciser que le franchisé doit « s'assurer que le présent Contrat et tous les autres accords ayant un lien avec la présente franchise sont valides et exécutoires dans [sa] juridiction », ce que le Tribunal ne manquera pas de relever comme un transfert de responsabilité du franchiseur vers le franchisé, ce alors même que le franchiseur doit « délivrer au franchisé un concept opérationnel, en ce compris l'ensemble contractuel juridiquement validé. Se déliant ainsi unilatéralement de son obligation, Subway signifie au franchisé son rapport de force. Le franchisé, dès lors qu'il accepte ce rapport de force, se trouve par symétrie dans une situation de soumission. » Le Tribunal illustrera toutefois sa solutionpar une référence aux témoignages de franchisés ayant fait part de l’absence de réponse à leurs questions sur le contrat, et de sa négociation préalable.
Analyse
Cette solution ne nous place-t-elle pas déjà au stade de l’analyse du déséquilibre entre les droits et obligations des parties ? Il est à rappeler « qu’il ne peut s’inférer du seul contenu des clauses, la caractérisation de la soumission ou tentative de soumission exigée par la législation » (Cour d’appel de Paris, 29 mars 2019, n° 16/25962). Bien que le Tribunal appuie également son analyse sur les termes du document d’information précontractuel, il demeure qu’il procède par induction, utilisant les clauses pour démontrer la soumission.
Le contrat de franchise étant déséquilibré par nature, cette application du texte représente un véritable risque juridique pour les réseaux.
Problème 3
Quelle est la méthodologie d’analyse du Tribunal pour apprécier le déséquilibre ?
Solution
Le Tribunal, tenant compte de la spécificité des réseaux de franchise précise sa méthodologie d’analyse: « Le déséquilibre d'une clause sera en revanche en tout état de cause caractérisé dès lors que la clause, à la fois (i) est en faveur du franchiseur, (ii) n'apporte au franchisé aucune contrepartie, ni découlant d'une autre clause, ni induite de son caractère nécessaire, à la cohérence et à l'homogénéité du réseau, gage du succès de son propre investissement, (iii) n'est pas compensée dans un rééquilibrage global du contrat […] Les effets des pratiques n’ont pas à être pris en compte ou recherchés ».
Les clauses ci-après ne seront pas jugées déséquilibrées :
- la combinaison de la clause stipulant un droit d’entrée et conditionnant la poursuite du contrat à la réussite d’un examen suite à la formation dispensée par le franchiseur, dont l’échec peut donner lieu à la résiliation du contrat et à la conservation de la moitié du droit d’entrée par le franchiseur ;
- l’absence d’escompte de règlement pour prélèvement hebdomadaire des redevances et les pénalités de retard, ces stipulations se justifiant pour permettre aux franchisés une gestion saine de leur exploitation ;
- l’absence de contrepartie de la redevance de publicité : le Ministre n’apportant pas la preuve de son absence de contrepartie ou de son caractère déséquilibré ;
- la consultation des documents comptables du franchisé, par le franchiseur, ce « déséquilibre apparent [étant] consubstantiel à la franchise » ;
- la clause imposant une couverture d’assurance fixant des montants de garantie et le franchiseur comme assuré complémentaire ;
- la clause du préambule par laquelle le franchisé déclare assumer les risques liés à son exploitation ;
- la clause de reprise du bail par le franchiseur dans le cas où le bail serait résilié ;
- la stipulation de l’anglais, comme langue du contrat.
Les clauses ci-après sont jugées déséquilibrées, et frappées de nullité :
- La clause imposant au franchisé « une ouverture de 7 jours par semaine, pour un minimum de 98 heures par semaine », cette obligation considérée comme l’une des plus contraignantes du contrat, ne prend pas en compte les spécificités de localisation du point de vente, peu important les dérogations accordées en pratique ;
- la clause fixant un remboursement des dépenses du franchiseur, dans le cas où il devrait faire respecter l’obligation du franchisé de s’assurer, sans en plafonner les montants ;
- la combinaison d’une clause de non concurrence en faveur du franchiseur et d’une clause d’absence d’exclusivité territoriale au bénéfice du franchisé, « en ce qu'elles ne permettent pas au franchisé de préempter une nouvelle implantation décidée par Subway qui lui ferait territorialement concurrence et de pouvoir résilier dans une telle circonstance le contrat relatif à son actuel emplacement » ;
- la clause stipulant une durée déterminée de vingt ans pour le contrat de franchise ;
- les clauses visant la possibilité de résiliation du contrat de franchise, par le franchiseur, en cas de deux notifications de non-paiement d’une somme due au franchiseur, au bailleur ou à tout autre affilié, sur une période de douze mois ;
- la clause imposant, sous astreinte de 175 € par jour de retard, au franchisé, de modifier l’apparence du restaurant et cesser d’utiliser le « Système », dans « un délai raisonnable » ; le respect intégral de ces obligations ne pouvant être assuré à 100 % par le franchisé et la stipulation d’un « délai raisonnable » laissant un pouvoir potestatif d’appréciation par le franchiseur ;
- la combinaison d’une clause compromissoire, en ce qu’elle stipule le déroulement de la procédure à New York, et le droit néerlandais.
Analyse
Il est à souligner que le Tribunal a tenu compte des spécificités de la franchise, refusant notamment de de condamner l’obligation de réussite à la formation, ou encore la possibilité pour le franchiseur d’accéder aux comptes du franchisé. S’agissant de l’appréciation de la contrepartie des redevances versées par les franchisés, bien que le Tribunal ait rejeté le grief du Ministre pour manque de preuve, ce sujet ne manquera pas d’être soulevé dans les réseaux sur le fondement de l’article L442-6 I 1°) du Code de commerce qui condamne le fait « d'obtenir ou de tenter d'obtenir de l'autre partie un avantage ne correspondant à aucune contrepartie ou manifestement disproportionné au regard de la valeur de la contrepartie consentie », ce fondement ne requérant aucune condition de soumission ou tentative de soumission pour son application.
Enfin, s’agissant des clauses jugées déséquilibrées, on relèvera en synthèse le risque juridique lié aux clauses (i) générales, inadaptées à la localisation du point de vente, peu importe que le franchiseur en fasse une adaptation au cas par cas a posteriori (ii) imprécises, accordant un pouvoir potestatif au franchiseur dans leur application, (iii) qui sont susceptibles de mettre en péril l’entreprise franchisée sans faute grave du franchisé.
Cette décision invite les réseaux de franchise à revoir leurs contrats pour en faire une adaptation plus précise à chaque point de vente, et à les ouvrir à la négociation.