Une décision d’associations d’entreprise est illicite au regard de l’article 101 du Traité FUE si elle a pour « objet ou pour effet » de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence : dès lors qu’une restriction par l’objet est caractérisée, il n’est pas nécessaire de rechercher si la pratique, l’accord ou l’association a eu des effets sur la concurrence et si ces effets sont sensibles (en ce sens, CJCE, 30 juin 1966, aff. 56/65, société minière ; CJUE, 14 mars 2013, C-32/11, Allianz Hungária Biztosító, pt 34). Si l’utilisation de la notion « d’objet anticoncurrentiel», permet aux autorités régulatrices d’alléger considérablement la charge de la preuve de l’entente, l’affaire du groupement des cartes bancaires a offert à la Cour de Justice de l’Union l’occasion de rappeler que cette dernière ne pouvait être utilisée de façon trop accueillante par le Tribunal et la Commission. En l’espèce, le Groupement des cartes bancaires avait été créé en 1984 par les principaux établissements bancaires français (notamment la BNP, la banque fédérale des banques populaires, la banque postale, la BPCE, le crédit agricole, le crédit lyonnais et la société générale) pour réaliser l’interopérabilité des systèmes de paiement et de retrait par cartes bancaires émises par ses membres. Ainsi, en pratique, le Groupement permet qu’une carte CB émise par un membre soit utilisée pour effectuer des paiements auprès de tous les commerçants affiliés au système et puisse être utilisée pour effectuer des retraits dans les distributeurs automatiques de tous les autres membres. On se rappelle qu’en France, l’Autorité de la Concurrence, ayant estimé que la fixation en commun des commissions interbancaires pour les cartes CB par le Groupement, était susceptible d'être le support d'une entente, le Groupement a dû proposer des engagements traduisant une baisse significative desdites commissions (Autorité de la Concurrence, Décision du 7 juillet 2011, n°11-D-11). En l’espèce, il était question devant les instances communautaires de la licéité de mesures tarifaires adoptées en 2002 par le Groupement à savoir : (1) un droit annuel d’un montant variable dit « mécanisme de régulation de la fonction acquéreur » dû par les membres dont l’activité relative à l’acquisition (affiliation de nouveaux commerçants au système) est notablement inférieure (moins de 50 %) à leur activité relative à l’émission de cartes CB et au retrait des billets en distributeur ; (2) un droit d’adhésion pour tout nouveau membre consistant en une somme forfaitaire de 50 000 euros HT et en un droit variable de 12 euros HT par CB émise et enfin (3) un droit par CB émise par les membres dits « dormants » considérés comme peu productifs eu égard au nombre de cartes émises, de commerçants actifs et de distributeurs de billets actifs. La Commission Européenne, considérant la proposition d’engagement du Groupement « tardive et également insatisfaisante », a interdit lesdites mesures, qui constituaient pour elle une décision d’association d’entreprise illicite, en raison de leur objet et de leurs effets anticoncurrentiels potentiels et réels. Le Tribunal de l’Union Européenne a, par la suite, rejeté le recours du Groupement en se fondant sur une acception large de la notion d’objet anticoncurrentiel [l’accord ou la décision d’association d’entreprises doit « simplement être concrètement apte, en tenant compte du contexte juridique et économique dans lequel il ou elle s’inscrit, à empêcher, à restreindre ou à fausser le jeu de la concurrence au sein du marché commun »] et, en conséquence, approuve l’interdiction desdites mesures sans rechercher si ces dernières avaient eu ou étaient susceptibles de produire des effets anticoncurrentiels (TUE, 29 novembre 2012, 29 novembre 2012, T-491/07, pt 125). Saisie d’un nouveau recours du Groupement, la Cour de Justice de l’Union Européenne a rappelé fermement au Tribunal que la notion d’objet anticoncurrentiel doit être interprétée de façon « restrictive » c’est-à-dire que la restriction par objet doit présenter « un degré suffisant de nocivité ». Tel est le cas de « la fixation horizontale des prix par des cartels » ou des décisions « susceptibles d’avoir des effets négatifs sur, en particulier, le prix, la quantité ou la qualité des produits et des services ». Pour apprécier la suffisante du degré de nocivité de la décision ou de l’accord, il convient de s’attacher à « la teneur de ses dispositions, aux objectifs qu’il vise à atteindre ainsi qu’au contexte économique et juridique dans lequel il s’insère ». Dans l’appréciation du contexte, doivent être prise en compte « la nature des biens ou des services affectés ainsi que les conditions réelles du fonctionnement et de la structure du ou des marchés en question » (CJUE, 11 septembre 2014, C-67/13, pt 53,également en ce sens, arrêt Allianz Hungária Biztosító précité point 36 ; CJUE 30 janvier 1985, arrêt Clair, 123/83, pt 22).
La Cour annule donc la décision du Tribunal qui, en méconnaissance des critères d’appréciation pertinents, a jugé que les mesures en cause avaient pour «objet» de restreindre la concurrence, se dispensant, à tort, de l’examen de leurs effets concrets sur la concurrence. La Commission, ayant fondé sa décision tant sur l’objet que sur les effets des mesures tarifaires du Groupement, les motifs d’annulation de l’arrêt du Tribunal ne conduisent pas à remettre en cause l’intégralité de la décision de la Commission. Le Tribunal, à qui l’affaire était renvoyée, a donc dû cette fois-ci déterminer si les mesures litigieuses pouvaient caractériser une restriction « par l’effet ». Pour le Tribunal et contrairement à ce qui était soutenu par le Groupement, la Commission a bien pris en compte « l’interdépendance des activités d’émission et d’acquisition » en identifiant le marché pertinent « de l’émission des cartes de paiement » et non celui du système de paiement par carte CB. Partant, sur ce marché, le Tribunal relève que les mesures en cause entraînaient l’imposition d’un surcoût pour les nouveaux entrants, principalement des banques de la grande distribution et les banques en lignes. Ce faisant, ces mesures avaient donc bien pour effets actuels ou potentiels soit de les contraindre à augmenter le prix de leurs cartes CB soit de limiter leur activité d’émission. Enfin, le Tribunal juge que le commerce entre États membres a été affecté de manière sensible par ces pratiques dès lors qu’elles : « produisaient un effet de cloisonnement du marché des cartes de paiement français, que tout émetteur de cartes bancaires ayant vocation à être utilisées principalement dans le cadre du système CB est obligé de devenir membre du système CB et que plusieurs banques étrangères sont déjà membres du système CB ou ont vocation à y adhérer ». Ainsi, le Tribunal conclut que la Commission a estimé à bon droit que les mesures en cause avaient des effets restrictifs de concurrence contraires à l’article 101 du Traité FUE.