La société Cooper (ci-après « Cooper ») commercialise des spécialités pharmaceutiques. Elle avait construit une politique tarifaire catégorielle plus avantageuse pour les pharmacies d’officine et leurs groupements, que pour les grossistes.
La société Pyxis Pharma (ci-après « Pyxis ») ayant le statut de structure de regroupement à l’achat (SRA), agissant en partenariat avec la société Sagitta Pharma (ci-après « Sagitta »), centrale d’achat pharmaceutique (CAP), se voyait refuser l’accès aux conditions préférentielles accordées par Cooper aux pharmacies d’officine individuelles et aux groupements ayant conclu un contrat de référencement avec elle.
Pour contourner ce refus, Pyxis et Sagitta faisaient acheter par des officines les produits auprès de Cooper aux conditions préférentielles « pharmacie », puis se les faisaient rétrocéder pour en faire bénéficier leurs adhérents qui commandaient sur leur site internet www.lacentralepharma.com.
Les rétrocessions de médicaments par les pharmacies d’officines étant contraires au Code de la santé publique, Cooper met en demeure Pyxis et Sagitta de cesser ces pratiques. En réponse, ces dernières la somment de communiquer ses conditions générales de vente applicables à la vente en direct aux officines. Cooper s’exécute, tout en soulignant qu’une SRA n’est pas éligible à ces conditions et qu’elle est assimilable, dans son modèle de distribution, aux grossistes répartiteurs.
Cooper assigne Pyxis et Sagitta devant le Tribunal de grande d’instance de Paris en concurrence déloyale. Reconventionnellement Pyxis et Sagitta invoque un manquement de Cooper à l’article L 442-6 I 9°) du Code de commerce (dans sa version antérieure à l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2019-359) qui dispose : « I. - Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : […] 9° De ne pas communiquer ses conditions générales de vente, dans les conditions prévues à l'article L. 441-6, à tout acheteur de produits ou tout demandeur de prestations de services qui en fait la demande pour l'exercice d'une activité professionnelle ; ».
Le Tribunal de grande instance de Paris et la Cour d’appel de Paris ont accueilli les demandes de la société Cooper. Un pourvoi a été formé et la Cour de cassation, dans un arrêt du 29 mars 2017 (n° 15-27811, voir commentaire Jean-Michel VERTUT, LD avr. 2017, p.9), a jugé que la Cour d’appel avait rejeté les demandes de Pyxis en se limitant à constater que cette dernière n’étant pas une officine, ne pouvait bénéficier des conditions générales de vente applicables aux grossistes, sans « préciser les critères appliqués par la société Cooper pour définir ses catégories d’acheteur ».
La Cour d’appel de renvoi procède, en l’espèce, à un contrôle précis de la légalité des critères de différentiation des catégories de client de la politique commerciale du fournisseur, et de leur application.
Concernant la légalité des critères de différentiation, l’article L 441-6 du Code de commerce (dans sa version antérieure à l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2019-359) dispose : « Les conditions générales de vente peuvent être différenciées selon les catégories d'acheteurs de produits ou de demandeurs de prestation de services. Dans ce cas, l'obligation de communication prescrite au premier alinéa porte sur les conditions générales de vente applicables aux acheteurs de produits ou aux demandeurs de prestation de services d'une même catégorie ». Sur ce fondement, et celui de l’article L 442-6 I 9°) susvisé, la Cour précise que le fournisseur « ne peut refuser à un acheteur la communication de ses conditions générales de vente applicables à une catégorie de clientèle que s’il établit, selon des critères objectifs que cet acheteur n’appartient pas à la catégorie concernée […] Avant la loi de modernisation de l'économie, il était prévu que 'les conditions dans lesquelles sont définies ces catégories sont fixées par voie réglementaire en fonction notamment du chiffre d'affaires, de la nature de la clientèle et du mode de distribution'. Les critères définissant les catégories d'acheteurs étaient ceux ainsi listés, sans que cette liste ne soit limitative. Depuis l'entrée en vigueur de la loi de modernisation de l'économie, le fournisseur définit librement les différentes catégories d'acheteurs auxquelles sont applicables ses conditions de vente, à condition que les critères définissant ces catégories soient objectifs, qu'ils ne soient pas discriminatoires, ni ne créent un déséquilibre significatif, une entente entre le fournisseur et les distributeurs favorisés ou encore un abus de position dominante. Peuvent être retenus comme critères, outre ceux susvisés antérieurs à la loi de modernisation de l'économie, le secteur d'activité concerné et la destination finale du produit ».
La Cour juge que la politique commerciale de Cooper répond à une construction « selon la nature de la clientèle » autour de trois catégories : les pharmacies d’officine, les groupements de pharmacies d’officine, et les grossistes.
Concernant le contrôle de l’application des critères, la Cour procède à une étude rigoureuse de l’organisation des liens juridiques entre Pyxis, agissant en tant que SRA, dont le rôle est défini par l’article D. 5125-24-1 du Code de la santé publique, en partenariat avec Sagitta, agissant en tant que CAP (article R 5124-2 15 °) du Code de la santé publique), comme prestataire logistique.
Selon le cadre légal, la SRA peut se livrer à l’achat « d’ordre et pour le compte » de ses associés, membres ou adhérents titulaires d’officines ou sociétés exploitant une officine, pour des médicaments non remboursables. N’ayant pas le statut d’établissement pharmaceutique, la SRA ne peut se livrer au stockage de médicaments, à la différence des grossistes-répartiteurs ou des CAP.
La Cour conclut que la SRA peut agir à trois titres : (i) comme simple référenceur, (ii) comme commissionnaire agissant en son nom mais pour le compte de ses adhérent, membres ou associés, l’opération logistique de stockage pouvant être réalisée par une CAP, agissant comme prestataire logistique (iii) comme grossiste, à la condition, dans ce cas, de comporter un établissement pharmaceutique autorisé pour l’activité de distribution en gros. Dans les deux premiers cas, la Cour constate que les effets réels du contrat de vente s’opèrent dans le patrimoine des officines adhérentes.
Procédant ensuite à une analyse in concreto du cadre contractuel de l’intervention de Pyxis et Sagitta, la Cour juge que « Pyxis exerce une activité de SRA et agit toujours ‘d’ordre et pour le compte‘ des officines adhérentes, et non pas pour son compte », le rôle de Sagitta se limitant à celui de prestataire logistique lié au stockage. Dans ces conditions, son rôle diffère de celui d’un grossiste-répartiteur et « la SRA Pyxis Pharma constituant un intermédiaire mandaté par les officines indépendantes doit donc pouvoir bénéficier des conditions d’achat de la société Cooper accordées aux officines indépendantes, peu important que ce mandat soit opaque envers la société Cooper ».
Pyxis est-elle pour autant une officine ? La Cour considère, rejetant en cela les arguments de Cooper, que l’absence de relation contractuelle directe avec l’officine, n’est pas un critère objectif « dés lors que le transfert de propriété se fait dans le patrimoine de l’officine commettante qui a un rôle de conseil envers le consommateur final ». Quant à l’argument tenant en l’absence de contrainte de stockage pesant sur la SRA, la Cour le balaie estimant que cette dernière recours, sous la contrainte de la loi, à un prestataire tiers pour offrir cette prestation à ses adhérents.
La Cour décide ainsi que « Cette pratique, tendant à ne pas faire bénéficier aux SRA des mêmes conditions d'achat que celles des officines d'ordre et pour le compte desquelles elles agissent, illustre un déséquilibre concurrentiel au sein de la chaîne de distribution, au détriment des intermédiaires, dont les SRA, et la position de faiblesse dans laquelle se trouvent, à différents degrés, les intermédiaires de la distribution vis-à-vis des laboratoires pour leur approvisionnement, ainsi que l'a relevé l'Autorité de la concurrence, alors que les SRA ont été constituées pour présenter un réel contre-pouvoir du marché des fournisseurs et permettre de mettre fin à la pratique des rétrocessions entre pharmaciens. La société Pyxis Pharma, qui exerçait l'activité de SRA au moment des faits litigieux […] était donc bien fondée à solliciter la communication et l'application à son bénéfice des conditions générales d'achat de la société Cooper accordées aux officines indépendantes, lesquelles doivent constituer le socle de la négociation commerciale, en application des dispositions des articles L.442-6 et L.441-6 du code de commerce ».
Elle condamne sur le fondement de l’article L442-6 I 9°) du Code de commerce, pour non-communication des conditions générales de vente, Cooper à 20 000 Euros en réparation du préjudice subi par Pyxis au titre de cette pratique restrictive de concurrence.
Cette décision est particulièrement intéressante, puisque jusqu’à présent les juridictions ont eu très peu l’occasion de traiter du cadre légal relatif aux critères permettant de définir des catégories de clients. Sous l’égide de la loi du 2 août 2005 en faveur des PME, le législateur avait renvoyé à un décret d’application pour définir les critères. Ce décret est resté lettre morte et la loi de modernisation de l’économie est venue supprimer toute référence à des modalités de détermination des catégories, laissant le soin aux principes du droit de la concurrence et des pratiques restrictives de régir ce point.
La Cour d’appel de Paris, respectant en cela la position de la Cour de cassation (Cass. com., 18 mai 2010, n° 08-21.68, France Tambour c/Sté de matériel électrique automobile) procède, à l’étude de l’activité réelle de l’entreprise se prévalant d’une catégorie de clientèle, et non pas de son activité officielle.
Nous resterons toutefois étonnés de constater que la société Cooper se voit condamner pour non communication des conditions générales de vente, ce alors même que l’arrêt précise qu’elles ont bien été communiquées. C’est leur refus d’octroi, caractérisant en cela une pratique discriminatoire, qui fait litige. Or, la condamnation des pratiques discriminatoires, plus complexe à appréhender, requiert d’un point de vue concurrentiel des parts de marché supérieures à celles visées dans le règlement d’exemption par catégories (30 % pour le fournisseur et le distributeur). Pour autant les pratiques restrictives assorties de sanctions civiles, doivent faire l’objet d’une interprétation stricte et ne sauraient s’appliquer à des faits non constitués.
Le contexte concurrentiel n’est sans doute pas étranger à la position prise par la Cour d’appel de Paris dans cette affaire, cette dernière souhaitant sans doute adresser un signal fort aux laboratoires pharmaceutiques commercialisant des produis d’automédication. La Cour éclaire en effet la distorsion de concurrence créée par l’application contestée de la politique commerciale catégorielles de Cooper, en s’appuyant sur les avis rendus par l’Autorité de la concurrence dans le secteur de la distribution de médicaments à usage humain en ville (Avis n° 13-A-24 puis Avis n° 19-A-08), précisant que la SRA a été créée en 2009 notamment dans le but de faire baisser le prix des médicaments d’automédication, d’accompagner les déremboursements de médicaments et la mise en place du libre accès aux médicaments non remboursés, mais également créer un pouvoir d’achat compensateur permettant de lutter contre les rétrocessions illicites entre officines, que cet objectif n’aurait toujours pas été atteint en raison de la réticence des laboratoires à négocier directement avec ces intermédiaires et leur accorder les conditions des officines.