Faits :
En 2014, la société LUFTHANSA CITY CENTER (LCC) remporte l’appel d’offre initié par la société COOPER STANDARD AUTOMOTIVE (CSA) relatif aux prestations d’organisation des déplacements professionnels des salariés du groupe.
En 2015, l’agence de voyage ORIENT DISCOVERY TOUR (ODT) qui était jusqu’alors le prestataire de service de la filiale française COOPER STANDARD FRANCE (CSF), décide de devenir franchisé au sein du réseau ayant obtenu l’appel d’offre, et ce dans l’unique but de perpétuer la relation commerciale.
Le contrat de franchise contient des obligations spécifiques quant à l’exécution des prestations contractuelles à destination des clients professionnels, directement issues du cahier des charges de l’appel d’offre. Le franchisé doit ainsi remplir des fichiers de données spécifiques et rédiger des rapports mensuels d’activités à la demande des clients. Lors de l’appel d’offre LCC a communiqué à CSA une base tarifaire indiquant que ces prestations seraient effectuées à titre gracieux.
Mais en juillet 2016, la société CSF constate plusieurs incohérences dans les factures éditées par ODT. Puis, en 2018, elle procède à un contrôle qui fait apparaître que ODT lui a facturé des prestations complémentaires correspondant aux obligations précitées.
Celles-ci ont été débitées directement des cartes de paiement mises à sa disposition par CSF, qui n’a pas été averti de ce mode de règlement.
Sur trois années, la somme de 206 349,44€ a été débitée de cette manière.
N’ayant pas obtenu le remboursement de cette somme, la société CSF assigne son partenaire commercial en répétition de l’indu le 12 septembre 2019. Le Tribunal de commerce fait droit à la demande en restitution de la société CSF.
Problème :
Le franchiseur ayant concouru et obtenu un appel d’offre peut-il imposer les prix fixés dans ce cadre à son franchisé qui intervient dans l’exécution des prestations ? Le cas échéant, le franchisé était-il fondé à facturer des services supplémentaires sans l’accord du client final ?
Solution :
Au visa de l’article 1302-1 du Code civil la Cour d’appel de Rennes rejette l’appel de la société ODT et confirme la demande de restitution formulée par la société CSF.
La Cour considère que « la société ODT est devenue franchisée de la société LCC avec comme objectif premier de pouvoir conserver la société COOPER STANDARD comme client. Elle savait que le maintien des relations contractuelles exigeait nécessairement sa soumission aux règles de la franchise LCC et aux accords convenus, aux termes de l’appel d’offre, entre les sociétés LCC et COOPER STANDARD INTERNATIONAL ».
Elle constate « qu’à cet égard, si la société ODT plaide qu’un franchiseur ne peut imposer de tarif à ses franchisés sauf atteinte à la liberté du commerce, ce raisonnement trouve ses limites lorsque le client n’est pas apporté dans le réseau par le franchisé mais par le franchiseur lui-même, comme en l’espèce, et que ce dernier a fait des offres au client ». Dès lors « il serait contraire à la liberté du commerce d’obliger le franchisé à contracter avec ce client s’il n’entend pas accepter ces offres mais inversement, si le franchisé décide d’accepter ce client, il ne peut s’abstraire des offres faites par le franchiseur ».
En outre elle souligne également que « la société COOPER STANDARD démontre qu’ont été prélevés sur son compte courant, par le moyen des cartes, des frais ne correspondant pas à des coûts contractuellement acceptés et dont la société ODT est incapable de justifier le montant au regard des prestations dont il est certain qu’elle avait contractuellement la charge. ».
Analyse :
La Cour fait ici preuve de bon sens. L’entrée de la société ODT dans le réseau du franchiseur était exclusivement liée à la volonté de conserver un partenaire commercial de longue date qui a mis un terme à la relation à la suite d’un appel d’offre. Le franchisé ne pouvait valablement ignorer que le franchiseur qui avait concouru et obtenu l’appel d’offre était soumis à un cahier des charges dans l’exécution de ses relations avec le client, et que par conséquent la relation commerciale se poursuivrait selon les termes et conditions de la convention issue de l’appel d’offre, et non pas selon les conditions tarifaires du franchisé.
Ainsi, la Cour rejette l’argument du défendeur qui invoquait la prohibition des prix imposés au regard des règles de concurrence. Sur ce fondement, le franchisé est en effet entièrement libre dans la fixation de ses prix (hors prix maxima ou prix promotionnels de courte durée), toute clause contraire figurant dans le contrat de franchise pouvant être analysée comme une entente au sens de l’article L420-1 du Code de commerce.
Dès lors, la Cour considère que cette interdiction trouve ses « limites » dans la mesure où le franchisé est libre d’accepter ou de refuser l’exécution des prestations. Tel ne serait pas le cas si ce dernier était tenu à l’exécution de ces prestations selon les conditions fixées par le franchiseur.
Bien que la Cour d’appel de Renne ne statue pas au visa de l’article L 420-1 du Code de commerce - domaine pour lequel une compétence exclusive est dédiée à la Cour d’appel de Paris- ce raisonnement est à mettre en perspective avec les nouvelles dispositions des lignes directrices relatives au restrictions verticales de concurrence du 30 juin 2022, adoptées en application du Règlement (UE) n°2022/720, concernant les contrats d’exécution. Un contrat d’exécution est un contrat par lequel « le fournisseur conclut un accord vertical avec un acheteur aux fins de l’exécution d’un contrat de fourniture conclu antérieurement entre le fournisseur et un client spécifique » (pt. 193). Il est ainsi précisé que « lorsque le fournisseur sélectionne l’entreprise qui fournira les services d’exécution, l’imposition d’un prix de vente par le fournisseur n’est pas une pratique de prix de vente imposés ». Cependant, pour que cette exception s’applique l’entreprise qui fournit les services doit être sélectionnée par le franchiseur et non pas par le client.
On retrouve ici de fortes similitudes avec le raisonnement de l’arrêt en cause. En effet, le client a sélectionné le franchiseur par le biais d’un appel d’offre et convenu des conditions tarifaires -dont l’exécution des prestations de rapports d’analyses et de statistiques à titre gracieux. Le franchiseur a désigné le franchisé pour exécuter la prestation.
Cependant, il est possible en l’espèce de se demander si in fine le prestataire n’aurait pas été choisi par le client, la société CSF, qui a elle-même appuyé la candidature du franchisé auprès du franchiseur. Pour autant la Cour s’appuie sur le fait que « le client n’est pas apporté dans le réseau par le franchisé mais par le franchiseur lui-même, comme en l’espèce, et que ce dernier a fait des offres au client ».
Au demeurant, dans le cas de la franchise, les parties qui souhaitent fonctionner selon un tel schéma devront nécessairement déterminer le contenu de leurs engagements respectifs. Dans le cas contraire, la qualification de soumission ou de tentative de soumission créant un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties pourraient être retenue sur le fondement de l’article L 442-1 I 2°) du Code de commerce. Ainsi, la circonstance que l’exécution de ces prestations complémentaires ait engendré des surcoûts importants pourrait remettre en cause la licéité et le caractère concurrentiel de cette fixation des prix par le franchiseur. D’autant plus qu’il est mentionné que le contrat de franchise ne prévoit nullement cette grille tarifaire.
Enfin, au regard du droit des contrats, et c’est bien à ce titre que la Cour d’appel se prononce, il est à rappeler que l’article 1165 du Code civil dispose que « dans les contrats de prestations de service, à défaut d’accord des parties avant leur exécution, le prix peut être fixé par le créancier, à charge pour lui d’en motiver le montant en cas de contestation. » Ainsi, en tout état de cause, le prestataire n’avait pas besoin de l’accord du client pour fixer le prix des rapports d’analyses et de statistiques qui lui étaient demandés. En revanche, la disproportion des montants facturés a immanquablement conduit la Cour à faire droit aux demandes de restitution.
Karine BIANCONE
Article publié au sein de la Lettre de la Distribution et de la Revue Concurrences