Conseil d’Etat, 23 mars 2023 n°438360
Les faits – La mairie de Paris a mis en demeure la société Fritchi et la société Gorillas Technologies de restituer plusieurs locaux – des « dark stores » (i.e. type de commerce de détail basé sur la livraison de produits de consommation courante commandés depuis une application en ligne) - dans leurs états d’origine, dans un délai de trois mois sous astreinte, ces derniers étant interdits en rez-de-chaussée à Paris.
Le Tribunal administratif de Paris, saisi d’un référé suspension, a fait droit aux demandes des requérantes, au motif que ces dark stores étaient assimilables à des constructions et installations nécessaires aux services publics ou d’intérêt collectif, qui ne nécessitent pas de déclaration préalable contrairement à ce que prétendait la mairie de Paris.
Par un pourvoi devant le Conseil d’Etat, la mairie de Paris demande l’annulation de l’ordonnance du juge des référés, invoquant, sur le fondement de l’article L521-1 du Code de Justice administrative, l’absence de doute sérieux sur la légalité de sa décision.
Problème n°1– Les dispositions de l’article L481-1 du Code de l’urbanisme disposant de la procédure de mise en demeure engagée par la mairie de Paris sont-elles applicables lorsque le changement de destination n’a pas engagé de travaux ?
Solution : « Il résulte de ces dispositions, prises dans leur ensemble et eu égard à leur objet, que, si elles font référence aux " travaux ", elles sont cependant applicables à l'ensemble des opérations soumises à permis de construire, permis d'aménager, permis de démolir ou déclaration préalable ou dispensée, à titre dérogatoire, d'une telle formalité et qui auraient été entreprises ou exécutées irrégulièrement. Il en est notamment ainsi pour les changements de destination qui, en vertu de l'article R. 421-17 du code de l'urbanisme, sont soumis à déclaration préalable lorsqu'ils ne sont pas soumis à permis de construire ».
Problème n° 2 – L’activité de « dark store » constitue-t-elle un changement de destination, au sens de l’ancien article R 123-9 du Code de commerce soumise à déclaration préalable?
Solution– « Les locaux occupés par la société Frichti et la société Gorillas Technologies France, qui étaient initialement des locaux utilisés par des commerces, sont désormais destinés à la réception et au stockage ponctuel de marchandises, afin de permettre une livraison rapide de clients par des livreurs à bicyclette. Ils ne constituent plus, pour l'application des articles R. 151-27 et R. 151-28 du code de l'urbanisme, tels que précisés par l'arrêté du 10 novembre 2016 cité ci-dessus, des locaux " destinées à la présentation et vente de bien directe à une clientèle " et, même si des points de retrait peuvent y être installés, ils doivent être considérés comme des entrepôts au sens de ces dispositions. L'occupation de ces locaux par les sociétés Frichti et Gorillas Technologies France pour y exercer les activités en cause constitue donc un changement de destination, soumis, en application de l'article R. 421-17 du code de l'urbanisme à déclaration préalable. […] »
Problème n° 3 : Ce changement est-il susceptible d’être régularisé au regard du plan local d’urbanisme de la ville de Paris ?
Solution: « l'occupation des locaux par les sociétés Frichti et Gorillas […]ne correspond pas à une logique de logistique urbaine qui, en application des dispositions du plan local d'urbanisme de Paris, pourrait les faire entrer dans la catégorie des " constructions et installations nécessaires aux services publics ou d'intérêt collectif ", mais a pour objet de permettre l'entreposage et le reconditionnement de produits non destinés à la vente aux particuliers dans ces locaux, ce qui correspond à une activité relevant de la destination " Entrepôt ", telle que définie par le même plan local d'urbanisme. Dès lors, le moyen tiré de ce qu'il n'était pas possible d'opposer les dispositions de l'article UG.2.2.2 du règlement du plan local d'urbanisme interdisant la transformation en entrepôt de locaux existants en rez-de-chaussée sur rue au changement de destination opéré, n'est pas propre à créer un doute sérieux sur la légalité des décisions attaquées.
Analyse – Depuis un communiqué de presse du gouvernement le 6 septembre dernier, malgré la présence d’un point de retrait, les « dark stores » constituent des entrepôts au sens des dispositions du code de l’urbanisme – et du plan local d’urbanisme (PLU) parisien en l’espèce. Les « dark store » sont donc interdits en rez-de-chaussée dans la ville de Paris, et cette dernière exige des sociétés en cause la restituion des locaux à leur destination d’origine. En effet, selon le Gouvernement, cette activité créérait des nuissances en matière de stationnement, de circulation et de propreté. Est-ce la fin des « dark store » en France ou ces derniers vont-ils s’adapter en créant un véritable comptoir de vente ? Affaire à suivre.