Dans cette affaire, l'Autorité de la concurrence avait sanctionné l'Ordre des experts-comptables français, à hauteur de 77 220 €, ainsi que l'association ECMA qu'il avait créée, à hauteur de 1,17 millions d'euros, pour avoir mis en place une stratégie visant à évincer du marché les portails de télé-déclaration comptable et fiscale concurrents du portail conçu par l'Ordre des experts-comptables et commercialisé par l'intermédiaire de l'association ECMA.
Dans son pourvoi, l'association contestait notamment le plafond de sanction forfaitaire de 3 millions d'euros prévu par l'article L. 464-2, I, alinéa 4 du Code de commerce, applicable aux structures autres que les « entreprises ».
En effet, elle mettait en perspective, le fait que, condamnée sur le terrain de l’article L 420-2 du code de commerce prohibant « l’exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d’entreprises d’une position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci […] », elle ne pouvait se voir privée de la qualification d’entreprise sur le terrain de l’article L 464-2 I alinéa 4 du Code de commerce, et donc d’un plafonnement de la sanction à 10 % du chiffre d’affaires mondial du groupe.
Elle se fondait que le fait que l’infraction d’entente, visée par l’article L420-1 du Code de commerce, également sanctionnée sur le fondement de ce texte, était définie par des pratiques « mises en œuvre par une entreprise au sens du droit de la concurrence ou par une autre entité », ce qui permet de conclure qu’en cas de condamnation pour abus de position dominante, seul le plafond de 10 % du chiffre d’affaires mondial du groupe serait applicable. Elle prétendait que le plafond de 3 millions d’Euros prévu par le texte si le contrevenant « n’est pas une entreprise » ne s’appliquait qu’à titre subsidiaire lorsque l’entité ne réalisait pas de chiffre d’affaires, ce qui n’était pas son cas. En outre, elle contestait l’application de ce plafond eu égard au principe de la proportionnalité des peines car son application aboutissait à une sanction représentant 17 % de son chiffre d’affaires réalisé sur l’exercice de référence (sic).
Pour autant, tant la Cour d’appel de Paris dans son arrêt du 26 février 2015 (n°2013/06663), que la Cour de cassation dans le présent arrêt, rejettent les prétentions de l’ECMA.
La Cour de cassation répond par un attendu très clair que si « toute entité exerçant une activité économique peut, quelle que soit sa forme juridique, faire l'objet d'une sanction fondée sur les articles 102 TFUE et L. 420-2 du Code de commerce, il n'en demeure pas moins que l'article L. 464-2, I, alinéa 4, du Code de commerce institue un plafond de sanctions différent selon que l'entité contrevenante est ou non une entreprise ; qu' en se référant à la notion d'entreprise, le législateur a entendu distinguer les personnes condamnées en fonction de la nature de leurs facultés contributives respectives ; qu'il a ainsi fixé un montant maximum de la sanction pécuniaire, proportionné au montant du chiffre d'affaires pour celles qui sont constituées selon l'un des statuts ou formes juridiques propres à la poursuite d'un but lucratif et fixé en valeur absolue pour les autres contrevenants ; qu'après avoir relevé que l'ECMA était une entité exerçant une activité économique, comme telle soumise aux dispositions de l'article L. 420-2 du code de commerce qui prohibent l'abus de position dominante, c'est à bon droit que la cour d'appel a retenu que cette association, régie par la loi du 1er juillet 1901, n'était pas pour autant une entreprise au sens de l'article L. 464-2, I, alinéa 4, du code de commerce et qu'elle en a déduit qu'en déterminant la sanction au regard du maximum légal de trois millions d'euros, l'ADLC avait fait l'exacte application de ce texte, qui ne distingue pas selon que le contrevenant, qui n'est pas une entreprise, réalise ou non un chiffre d'affaires ».
S’il est de jurisprudence constante que le champ d’application des pratiques anticoncurrentielles concerne les entreprises s’entendant comme « toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement » (cf CJCE, 23 avril 1991, Höfner, aff. C-41/90, point 21), le point de savoir quels sont les contrevenants ne se voyant pas appliquer le plafond de 10 % du chiffre d’affaires relatif aux « entreprises » au sens de l’article L 464-2 I alinéa 4 du Code de commerce, n’est pas clairement établi.
La Cour de cassation nous indique qu’en se référant à la notion d’entreprise le législateur a entendu « distinguer les personnes condamnées en fonction de la nature de leurs facultés contributives respectives », que le montant maximum proportionné au chiffre d’affaires concerne « celles qui sont constituées selon l’un des statuts ou formes juridiques propres à la poursuite d’un but lucratif ». Pour autant, en l’espèce, l’application de ce plafond aboutit à une amende bien supérieure à celle qui aurait été supportée sur le fondement du plafond applicable aux « entreprises », puisque la partie condamnée invoque une amende représentant 17 % de son chiffre d’affaires.
Il nous semble qu’eu égard aux principes d’égalité des peines et de proportionnalité des peines, la Cour de cassation aurait dû prolonger son raisonnement en indiquant que ce plafond de 3 millions d’Euros ne doit pas aboutir à une peine excédant 10 % du chiffre d’affaires du contrevenant.
Ainsi, au regard du seul constat que « l’entreprise » condamnée n’est pas une société commerciale, telle une association, un syndicat ou un ordre professionnel, le plafond de 3 millions d’Euros doit lui être appliqué.
Les entreprises souhaitant exercer une activité économique sous forme d’une structure à but non lucratif doivent appréhender le risque concurrentiel en tenant compte de ce régime de sanctions susceptible de leur être très défavorable.