Com. Cass. 7 septembre 2022 n°18-15.964, CMG/E&R
Les faits – Une société de droit italien – CMG – spécialisée dans la fabrication de film plastique à partir de granulés – se rapproche de la société de droit français E&R, qui exerce une activité de négoce et est agent commercial dans ce secteur. Objectifs : visiter et développer les ventes avec les clients existants et démarcher tout nouveau client sur le marché français. Après quatre années de relations, un litige né concernant le paiement de commissions sur certaines ventes. N’obtenant pas satisfaction, E&R sollicite classiquement le paiement de ces commissions et l’indemnité de fin de contrat. Relevons à titre liminaire que CMG ne contestait pas l’application du droit français, ayant certainement à l’esprit les dispositions de l’article 6 de la Convention de la Haye : en l’absence de loi choisie par les parties, la loi applicable est celle de l’établissement professionnel de l’intermédiaire (Convention 14/03/ 1978 sur la loi applicable aux contrats d'intermédiaires et à la représentation).
Problème n°1 – En revanche, CMG s’opposait à l’application du statut d’agent commercial considérant que le simple fait de visiter les clients, d'échanger avec eux, de faire la promotion des produits du mandant et de leur remettre les offres élaborées par ledit mandant ne caractérise pas le pouvoir de négociation de l’agent.
Solution – La Cour de cassation, confirmant en cela l’arrêt d’appel, rejette cet argument dès lors que « l’activité effective exercée pour le compte de son mandant consiste à visiter la clientèle et les prospects de la mandante, mais aussi a exercé son pouvoir de négociation par les entretiens, les échanges et les démarches menés par elle pour parvenir à un accord, même sans modification des instructions fournies par la mandante ».
Observations – Pour la Cour, il n'est donc pas nécessaire de disposer de la faculté de modifier les conditions des contrats conclus par le commettant – dont les prix – pour bénéficier du statut d'agent commercial. Solution classique qui s’inscrit dans la droite ligne de la décision de la CJUE du 4 juin 2020 (C-828/18, points 33 et 34) ; solution rappelée par d’autres décisions très récentes (Cass. Com. 7/09/2022, 20-20.625 ; CA Toulouse 20/07/2022, RG nº 17/05263). Pour autant, toute intermédiation ne justifie pas l’application du statut d’agent commercial. Il appartient en effet à l’intermédiaire de prouver ce pouvoir de négociation (CA Paris 29/11/ 2018, n°17/07784 ; CA Paris 16/01/2020 n°17/11236). Donc qu’il« accomplissait des actes juridiques pour le compte de son mandant » (CA Paris 3 octobre 2019 n°17/01356). Si tel n’est pas le cas, l’application du statut sera écartée (Cass. Com.27/01/2021, n° 18-10.835 et 10/02/2021, n° 19-13.604 ; pour la conciliation de ces solutions avec la décision de la CJUE cf. « Agence commerciale : La Cour de cassation revient sur la notion de pouvoir de négocier », N. Ferrier, Concurrences N° 2-2021 ).
Problème n° 2 – CMG soutient par ailleurs que les conditions d'octroi de l’indemnité ne sont pas réunies dès lors que l’agent ne rapporte pas la preuve de lui avoir procuré des avantages substantiels liés à son activité. L’article L 134-12 du code de commerce devrait en effet, selon le mandant, être interprété à la lumière de l'article 17, paragraphe 3, de la directive 86/653 qui dispose « l'agent commercial a droit à la réparation du préjudice découlant de la cessation de ses relations avec le commettant lorsque cette cessation intervient dans des conditions qui le privent des commissions dont l'exécution normale du contrat lui aurait permis de bénéficier tout en procurant au commettant des avantages substantiels liés à l'activité de l'agent commercial ». Et le mandant de demander à la Cour de cassation, le cas échéant, de poser une question préjudicielle en ce sens à la CJUE.
Solution – La Cour de Cassation se référant aux arrêts de la CJUE du 23 mars 2006 (Honyvem Informazioni Commerciali, points 19 et 32 : ) et du 17 octobre 2013 (Unamar, C-184/12, point 40), écarte ce raisonnement, et en déduit au contraire que « l'article 17, paragraphe 3, de la directive pose un cadre minimum de protection et propose des critères pouvant être alternatifs aux Etats membres qui ont choisi l'option de la réparation du préjudice, leur laissant une marge d'appréciation. Aux termes de l'article L. 134-12 du code de commerce, en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi. En cet état, la cour d'appel, qui a alloué à la société E et R une indemnité réparant un préjudice qu'elle a estimé constitué par la perte de deux ans de commissions, a légalement justifié sa décision ».
Observations – L’indemnité de fin de contrat répare le préjudice subi par l’agent du fait de la perte des commissions pour l’avenir. La Cour de cassation semble considérer que le droit français a opté pour indemnité de fin de contrat plus favorable que celle fixée par l’article 17 paragraphe 3 de la Directive. Un droit à indemnité en effet débarrassé des critères complémentaires issus du droit européen, à savoir : la preuve de la privation des commissions pour l’avenir et les avantages substantiels que le mandant pourrait continuer à en retirer. Est-ce pour autant à dire que le fait pour l’agent de continuer, postérieurement à la rupture, à suivre cette clientèle pour son compte ou celui d’un mandant concurrent, ne doit pas être pris en compte ? Et donc que « l'on ne devrait tenir compte ni du passé ni du futur mais du conditionnel, c'est-à-dire par référence à ce que l'agent percevrait si la relation persistait » ? Rien n’est moins sûr. Il semble en effet permis de soutenir que cette décision s’intéresse davantage aux conditions d’octroi de l’indemnité plutôt qu’à la détermination du préjudice réellement subi. Dans une telle hypothèse, si la demande indemnitaire de l’agent est donc recevable, son montant pourrait en effet être discuté par le mandant et minoré par le juge au regard de cette continuité des relations (CA Dijon 15/05/2007 n° 06/00692 ; pour les réponses possibles à cette question cf. « Des limites à l’indemnisation de l’agent commercial », N. Ferrier, JCPE n° 6, 6/02/2014, 1062).