Ce qu’il faut retenir de cet arrêt :
- Le délai de grâce non destructeur de nouveauté lié à l’auto divulgation du modèle dans les 12 mois précédents de son dépôt ne bénéficie qu’au titulaire ou l’ayant cause du modèle.
- La présomption de titulaire accordée au déposant ne peut être renversée qu’en cas de revendication de la ou les personnes ayant réalisé le modèle.
- La reprise de l’aspect global d’un produit même si elle concerne principalement des caractéristiques fonctionnelles peut constituer un acte parasitaire dès lors qu’il est démontré qu’un lien entre les deux produits se fait pour le consommateur, que le produit premier dispose d’une valeur économique identifiée et individualisée et que cette valeur fait l’objet d’une captation par le concurrent.
Faits : La société Decathlon SE est titulaire d’un modèle de l’Union européenne portant sur un masque intégral tuba intégré qu’elle commercialise sous la dénomination « Easybreath ». Decathlon SE a consenti une licence sur ce modèle à la société Decathlon France.
La société Intersport France a acquis, auprès de la société de droit allemand Phoenix, des masques intégraux au tuba intégré référencés « Tecnopro ».
Les sociétés Decathlon SE et Decathlon France ont assigné les sociétés Intersport et Phoenix en contrefaçon de leur modèle, en concurrence déloyale et en parasitisme.
A titre reconventionnel, la société Intersport a demandé la nullité dudit modèle.
Discussion:
1. Sur les demandes de nullité du modèle Dans son pourvoi, la société Intersport fait grief à l'arrêt de la Cour d’Appel d’avoir rejeté les demandes tendant à la nullité du modèle.
Sur ce premier point, Intersport reproche à l’arrêt attaqué de constater que Decathlon SE peut bénéficier du délai de grâce de 12 mois relatif à la nouveauté accordé au créateur ou à son ayant droit alors que la Cour constate également que Decathlon SE n’est pas le créateur du modèle en cause. Intersport impute à l’arrêt d’avoir considéré Decathlon SE comme ayant la qualité d'ayant droit du créateur, au seul motif qu'elle avait exploité paisiblement.
La Cour de cassation répond que la personne au nom de laquelle la demande d'enregistrement du modèle a été déposée est réputée être la personne possédant la titularité du droit dans toute procédure devant l'Office ainsi que dans toute autre procédure et que « la présomption résultant de ce texte en faveur du déposant ne peut être renversée qu'en présence d'une revendication de propriété du modèle émanant de la ou des personnes physiques l'ayant réalisé ».
En l’espèce, Decathlon SE a procédé au dépôt d'un premier modèle, sans aucune revendication de la part des autres créateurs, et l'a exploité paisiblement. L'arrêt retient donc à bon droit que ce dépôt et cette exploitation paisible font présumer à la fois qu'elle est titulaire des droits sur ce modèle et qu'elle a la qualité d'ayant droit du créateur. Elle peut donc se prévaloir du délai de grâce non destructeur de nouveauté accordé à l’auto divulgation.
2. Sur les actes de concurrence déloyale et parasitaires
La société Intersport reproche à la Cour de la condamner, in solidum avec la société Phoenix, à payer aux sociétés Decathlon une somme en réparation du préjudice né des actes de concurrence parasitaire:
Elle considère qu’après avoir écarté la contrefaçon alléguée par la société Decathlon SE (au motif notamment que la ressemblance entre les deux masques en cause ressort principalement de la reprise de caractéristiques imposées par la fonction technique du produit) puis la concurrence déloyale (au motif que les masques en cause sont différents), la Cour n’en a pas conclu qu’Intersport n'a fait selon la liberté du commerce et de l’industrie que commercialiser, sans le copier, un modèle de masque qui ne constituait qu'une déclinaison du concept de masque subaquatique intégral invoqué par les sociétés Decathlon, ce qui est, selon elle, exclusif de tout acte de parasitisme ;
La société Intersport fait grief à la décision d’avoir retenu qu’elle ne justifie pas d'investissements particuliers pour développer le masque ‘Tecnopro' ou le faire connaître du public alors que la charge de la preuve des actes de parasitisme repose sur la partie qui s'en prévaut
Quant à la société Phenix, elle reproche à la Cour :
- de la condamner sur le fondement de la concurrence parasitaire à raison d’un lien entre les deux masques dans leur aspect global, alors qu’il ne s’agit pas d’un fait distinct de ceux allégués en contrefaçon – action ayant échoué pour défaut d’atteinte à ce droit privatif ;
- d’avoir violé le principe de la liberté du commerce et de l’industrie en jugeant qu’un lien se faisait entre les masques au regard de leur aspect global alors que les ressemblances tiennent essentiellement à la reprise de caractéristiques techniques ;
- d’avoir inverser la charge de la preuve de la faute en énonçant que la société Phoenix ne justifie pas d’investissements particuliers pour développer le masque Tecnopro et le faire connaître du public ;
- de n’avoir pas répondu au chef de conclusions précisant que la société Phoenix a fait fabriquer les masques litigieux en Chine, les a vendus et livrés en Chine à la société Intersport qui les aensuite importés en Europe, de sorte qu'aucun agissement parasitaire ne pouvait lui être reproché ;
- d’avoir retenu pour condamner la société Phoenix qu'elle a délibérément commercialisé le masque « Tecnopro », non contrefaisant, au moment du succès commercial du masque concurrent « Easybreath » alors qu’il s’agit du simple exercice de sa liberté et que cela ne peut constituer une faute.
Sur ce, la Cour rappelle les fondements du principe de libre concurrence et du parasitisme.
La recherche d’une économie d’un concurrent n’est pas en soi fautive sous réserve de respecter les usages loyaux du commerce.
Il appartient à celui qui se prétend victime d'actes de parasitisme d'identifier la valeur économique individualisée qu'il invoque ainsi que la volonté d'un tiers de se placer dans son sillage.
Cette valeur économique peut résider dans un savoir-faire et des efforts humains et financiers mais qui ne peuvent se déduire de la seule longévité et du succès de la commercialisation du produit. Le seul fait de reprendre, en le déclinant, un concept mis en œuvre par un concurrent ne constitue pas, en soi, un acte de parasitisme.
En l’espèce, les ressemblances existantes entre les masques en présence ressortent principalement de la reprise par celui incriminé de caractéristiques imposées par la fonction technique du produit. Toutefois, l’arrêt de la Cour d’appel retient que sont démontrés la grande notoriété du masque « Easybreath » des sociétés Decathlon, la réalité du travail de conception et de développement, le caractère innovant de la démarche conduite par celles-ci, ainsi que des investissements publicitaires de plusieurs millions d’euros. Il en ressort le masque « Easybreath » constitue une valeur économique identifiée et individualisée.
Les sociétés Phoenix et Intersport ne justifient d'aucun travail de mise au point ni de coûts exposés relatifs à leur propre produit et n’établissent pas que des articles équivalents existaient sur le marché français au moment du lancement du masque « Easybreath ».
Qui plus est à cette période les sociétés Decathlon investissaient encore pour la diffusion de spots publicitaires ce qu’elles justifient par des factures d’investissements promotionnels.La distribution, précisément à cette période, du masque « Tecnopro », non seulement identique d'un point de vue fonctionnel mais aussi fortement inspiré de l'apparence du masque « Easybreath », « laquelle avait été préalablement testée auprès du public concerné, un lien se faisant entre les deux masques du fait de leur aspect global » a permis aux sociétés Phoenix et Intersport de bénéficier, sans aucune contrepartie ni prise de risque, d'un avantage concurrentiel. Cela caractérise leur volonté délibérée de se placer dans le sillage des sociétés Decathlon pour bénéficier de leur succès « rencontré auprès de la clientèle par leur masque subaquatique ». La Cour d’appel a donc bien justifié de la captation de cette valeur économique identifiée et individualisée.
Joséphine SZAFARCZYK Aymeric LOUVET
Avocate collaboratrice Avocat associé