En matière d’agence commerciale, l’indemnité est due en cas de non renouvellement d’un contrat à durée déterminée (Cass. Com.23/04/2003 n°01-15.639 ; Cass. Com., 3/10/2006 n°05-10.127), sauf à ce que le mandant justifie d’une faute grave de son agent. Qu’en est-il pour autant lorsque le mandant, qui dénonce le contrat avant son terme, propose à l’agent de poursuivre la relation sous une autre forme ? C’est à cette question que tente de répondre la Cour d’Appel de Paris dans l’arrêt cité en référence. En l’espèce, le mandant, éditeur d’ouvrages médicaux, a conclu deux contrats avec son agent pour une durée initiale de deux ans renouvelable, sur un secteur géographique comprenant des départements français ainsi qu’une partie de la Belgique. Tout en respectant la durée du préavis, le mandant dénonce ces derniers à leur terme. Celui-ci avait toutefois pris soin de préciser dans chacun de ses courriers que : « comme convenu lors de notre dernier appel nous allons vous proposer un nouveau contrat » ; « notre volonté est de vous faire une nouvelle proposition de contrat prenant en compte la nouvelle orientation de notre politique commerciale ». Les parties ont ainsi engagé des négociations pendant la durée du préavis dont l’objectif était d’aboutir à la conclusion d’un seul contrat. Par la suite, l’agent, considérant que les propositions du mandant ne prenaient pas en compte ses intérêts commerciaux, a mis un terme aux négociations et a sollicité le versement de l’indemnité. La rupture était en effet, selon lui, imputable au mandant. En réponse, le mandant va communiquer au Tribunal et à la Cour l’ensemble des échanges pour essayer de démontrer qu’il avait fait des propositions loyales et que l’agent était seul à l’initiative de la rupture. Pour trancher ce litige, la Cour précise tout d’abord que « si l'intérêt commun qui caractérise le mandat d'agent commercial implique qu'il ne peut pas être révoqué pour des motifs économiques qui seraient propres au mandant, il ne saurait empêcher celui-ci de se réorganiser en fonction des évolutions économiques ». Dès lors la volonté du mandant de renégocier les contrats en considération, notamment, du développement du commerce en ligne ne saurait s’analyser, en tant que telle, en une cessation de la relation qui lui serait imputable. Ce postulat est intéressant au plan pratique eu égard aux impacts du commerce en ligne sur les réseaux de distribution, et notamment sur les contrats conclus avec les agents commerciaux. Concernant la question de l’imputabilité de la rupture des relations (et non du contrat, prend soin de préciser la Cour ; précision essentielle au cas particulier et au regard de la lettre de l’article L134-12 du code de commerce), une analyse scrupuleuse des discussions, contrepropositions et du comportement des parties est menée. Ainsi, les magistrats relèvent, dans un premier temps, que le mandant a proposé de nouveaux ouvrages, en sus de ceux déjà confiés au titre des contrats en cours, ce que l’agent a accepté. Le mandant a par ailleurs, dans un second temps, attribué à l’agent des départements supplémentaires en contrepartie du retrait de la Belgique, ce que l’agent a immédiatement mis en œuvre. Enfin, pour faire aboutir les discussions, le mandant a adressé deux projets de contrat successifs ayant « pour conséquence de doubler le nombre de ses territoires », d’agrandir la zone d’exclusivité et de rehausser le taux de certaines commissions. Sur la base de ces constats, la Cour rejette l’argument de l’agent selon lequel, malgré ces propositions, le taux fixe de certaines commissions et l’augmentation du risque d’impayé lui seraient toujours défavorables, dès lors que le mandant « a proposé dans des conditions loyales le renouvellement des contrats précédents par un nouveau contrat» et que l’agence a « décidé de refuser ce renouvellement alors même qu'elle ne démontre pas que ce nouveau contrat modifiait de façon substantielle les conditions économiques de sa relation commerciale ». La rupture des relations est donc imputable à l’agent et le prive de l’indemnité. La Cour considère en outre qu’il s’agit d’une rupture abusive des pourparlers (7 mois de pourparlers, mise en œuvre de certaines modifications, proposition économique au moins aussi favorable que celle résultant des précédents contrats) qui en principe ouvre droit à indemnisation du mandant ; indemnisation en l’espèce écartée dès lors que le mandant ne parvient pas à démontrer le préjudice découlant « de la rupture des pourparlers et non du défaut de poursuite des contrats résiliés à leur terme, ni sur celui en cours de négociation » (cf en ce sens, Cass. Com., 18/09/2012, 11-19629). Cette analyse sur le terrain de la loyauté, voire même de l’équité, pourrait être critiquée (immixtion des magistrats dans le contrat; analyse des modifications globales au regard de leurs effets potentiels). Elle semble toutefois faire écho à une décision qui avait écarté toute indemnité dès lors que l’agent ne justifiait pas que la proposition de reconduction du mandant était abusive (CA Rennes 9/04/2013 n°12/00752). La grille de lecture retenue par la Cour est enfin intéressante au plan pratique, notamment lorsque les mandants sont contraints de réorganiser leur réseau. Ces derniers seront en effet incités à : repenser la mission et le rôle de leur agent, être force de propositions afin d’essayer de maintenir des conditions économiques « non substantiellement modifiées », conserver trace des échanges à ce sujet. Cette évidence commerciale est susceptible d’avoir des incidences juridiques non négligeables. Il en va en effet de l’imputabilité de la rupture des relations (et non du contrat) et donc de l’indemnité...AL