L’Autorité prononce un non-lieu dans le secteur des isolants thermiques
Autorité de la concurrence, Décision n°21-D01 du 14 janvier 2021 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des isolants thermiques.
Le Centre Scientifique et Technique du Bâtiment (ci-après CSTB) est un établissement public industriel et commercial, il procède à des activités de recherches scientifiques dans le domaine de la construction et de l’habitat, il représente la France à l'Organisation européenne de l'agrément technique (l’OEAT rassemble les organismes désignés par les États membres pour délivrer les agréments techniques européens) et à ce titre il est habilité à délivrer les ATE. Le Syndicat National des Fabricants d’Isolants en Laines Minérales Manufacturées (ci-après le syndicat) est un syndicat professionnel regroupant les fabricants d’isolants en laine minérale. La société Saint-Gobain Isover, membre du syndicat, fabrique des produits isolants en laine de verre principalement. Par ailleurs la société Actis est spécialisée dans la conception et la fabrication de produits minces réfléchissants (PMR).
Le 8 avril 2009, le ministre chargé de l’économie a saisi l’Autorité de la concurrence de faits susceptibles de constituer des pratiques anticoncurrentielles dans le secteur des isolants minces multicouches réfléchissants (IMMR), saisine à laquelle s’est jointe la société Actis en 2010. Les saisines ont été faites sur le fondement de l’article 101 du TFUE et de l’article L. 420-1 du code de commerce prohibant les accords et les pratiques concertées entre entreprises qui ont pour objet ou effet de restreindre la concurrence. L’Autorité reprochait au CSTB, au syndicat et à la société Saint-Gobain Isover au titre du premier grief, de s’être concertés et d’avoir échangé des informations relatives, d’une part à une procédure contentieuse à l’initiative du syndicat à l’encontre de la société Actis devant le Tribunal de commerce de Versailles, et d’autre part, à la demande d’ATE présentée par la société Actis (grief n°1) et au titre du second grief, de s’être concertés, au titre d’une infraction unique et continue, afin d’entraver l’entrée sur le marché des IMMR sur le marché des produits d’isolation thermique et d’avoir ainsi mis en œuvre des pratiques ayant eu pour objet ou pour effet de fausser le libre jeu de la concurrence sur le marché (grief n°2).
Problème n°1 – Les échanges d’informations entre le CSTB, le syndicat, et la société Saint-Gobain dans le cadre de réunion relative à la stratégie contentieuse contre Actis et à la procédure d’ATE constituent-elles une entente entre concurrents sanctionné sur le fondement de l’article 101 TFUE et L. 420-1 du code de commerce ?
Solution :
« Toutefois, si les échanges d’informations ont concerné le marché de la fabrication de produits d’isolation thermique, il convient de relever qu’ils sont intervenus entre des acteurs qui ne sont pas des concurrents sur ce marché. Ces échanges n’ont donc pas été de nature à réduire l’indépendance de comportement des entreprises actives sur ce marché et leur incitation à se faire concurrence. 236.Par ailleurs, les informations échangées, notamment celles relatives au contenu du CUAP élaboré par le CSTB, ne portaient pas sur des données commerciales sensibles – telles que les prix ou les quantités vendues – propres à la société Actis ou à un autre fabricant de produits d’isolation. Ces informations ne pouvaient, en elles-mêmes, contribuer à réduire l’incertitude sur ce marché en permettant aux mis en cause, et en particulier à la société Saint-Gobain Isover, de connaître par avance la stratégie de leurs concurrents et d’adapter leur politique commerciale en conséquence. 237.Dès lors, compte tenu de la nature des informations échangées et même si celles-ci n’étaient pas dépourvues d’intérêt pour les mis en cause, l’existence d’échanges d’informations ayant un objet ou un effet anticoncurrentiel n’est pas démontrée en l’espèce ».
Observation :
Il convient de rappeler quels sont les échanges d’informations qui peuvent avoir un objet ou un effet restrictif de concurrence.
Les lignes directrices de la Commission sur les accords de coopérations horizontale au regard de l’article 101, paragraphe 1 TFUE énoncent que, les échanges d’informations sur les prix ou les quantités futures sont considérés comme une restriction de concurrence par objet. (Lignes directrices préc., Pt. 74) La jurisprudence européenne a jugé en outre « qu’il importe peu que les échanges d’informations n’aient pas d’effet direct sur les prix finaux ». (CJUE, 4 juin 2009, aff. C-8/08 T-Mobile e.a. c/ Commission ; Trib. UE, 14 mars 2013, aff. T-587/08, Fresh Del Monte Produce c/ Commission). Le simple fait que les entreprises concurrentes s’échangent des informations sur leurs politiques tarifaires futures suffit à établir l’existence d’un accord sur les prix.
Les lignes directrices précisent que « l’échange entre concurrents, de données stratégiques, diminuant l’incertitude sur le plan stratégique sur le marché, peuvent porter les prix (prix existants, rabais, majorations, réductions ou remises), les listes de clients, les coûts de production, les quantités, le chiffre d'affaires, les ventes, les capacités, les qualités, les stratégies commerciales, les risques, les investissements, les technologies et les programmes de R&D et les résultats de ceux-ci » (Lignes directrices préc. Pt. 86). Ces échanges d’informations entre concurrents peuvent avoir des effets restrictifs de concurrence, les lignes directrices de la commission énoncent que « pour qu’un échange d’informations ait des effets restrictifs sur la concurrence au sens de l’article 101, paragraphe 1, il doit être susceptible d’avoir une incidence défavorable sensible sur un ou plusieurs des paramètres de la concurrence, tels que le prix, production, la qualité ou la diversité des produits ou encore l’innovation. ». Il convient alors d’analyser les conditions économiques prévalant sur les marchés en cause, ainsi que les caractéristiques des informations échangées (Lignes directrices préc., Pt. 75). Des informations apparaissant comme peu sensibles peuvent néanmoins, au regard de la structure du marché dans lequel ces informations sont échangées, être considérées comme facilitant la collusion. Il conviendra de démontrer que ledit échange d’informations a permis aux opérateurs de s’adapter au comportement prévisible de leurs concurrents. (Autorité de la Concurrence. Déc. n°17-D-03, 27 février 2017.) L’appréciation est effectuée « au cas par cas au vu de leurs effets actuels ou potentiels sur la concurrence, en tenant compte de la structure du marché, de la nature des informations échangées et des modalités de réalisation des échanges », sauf dans le cas où les informations échangées sont directement appréciées comme le support d’un autre mécanisme anticoncurrentiel, ou encore dans celui où ils sont anticoncurrentiels par leur objet même. (Avis n°12-A-12 du 15 mai 2012 pt. 54). La structure du marché est donc une donnée importante à prendre en considération lors de l’appréciation des informations échangées. La Commission considère que la collusion est plus probable sur des marchés caractérisés par un fort degré de transparence et de concentration. Sur un marché oligopolistique fortement concentré, l’échange d’informations même généralisé entre concurrents est susceptible de constituer une pratique concertée prohibée (Autorité de la concurrence, décision n°19-D-25, 17 décembre 2019). Toutefois même sur des marchés atomisés, des échanges d’informations peuvent dans certaines circonstances faciliter la coordination entre concurrents (Conseil de la concurrence, avis n°10-A-11, du 7 juin 2010).
En l’espèce le fait pour le CSTB, le syndicat et la société Saint-Gobain Isover, de détenir des informations concernant des critères techniques liés à la délivrance d’un ATE était considéré comme d’importance stratégique par l’Autorité mais pas anticoncurrentiel puisque les échanges sont intervenus entre des entreprises qui ne sont pas concurrentes sur le marché de la fabrication et de la commercialisation de produits d’isolation thermique. L’Autorité relève que les informations échangées concernant la procédure d’ATE « étaient confidentielles et présentaient un caractère stratégique » pour les parties puisqu’elles « leur permettaient de connaitre avant la société Actis, le contenu du projet de CUAP et l’état d’avancement de la procédure ». Toutefois elles ne portaient pas sur des données commerciales sensibles d’un concurrent puisque la société Actis était spécialisée dans les produits minces réfléchissants (PMR), tandis que le syndicat et la société Saint-Gobain Isover étaient spécialisés sur les isolants en laine de verre. En outre ces informations ne portaient pas sur des données commerciales stratégique telles les prix ou des quantités vendues.
Par conséquent il conviendra aux entreprises d’opter pour une attitude proactive dans la détection et la mise en œuvre des échanges d’informations auxquels elles sont susceptibles de participer. Il est important d’identifier l’ensemble des situations dans lesquelles les entreprises peuvent échanger des informations avec des concurrents, mais également identifier la nature des informations ainsi que le marché sur lequel les entreprises interviennent.
Problème n°2 :
S’agissant du second grief, il était en outre reproché au CSTB, au syndicat et à la société Saint-Gobain Isover, de s’être concertés, dans le cadre d’une infraction unique, complexe et continue. Nous rappelons que le syndicat a introduit une action devant le Tribunal de commerce de Versailles, à l’encontre de la société Actis concernant le fait d’avoir dans sa documentation commerciale, présenté ses produits comme étant autant voire plus performants. Ce contentieux est qualifié de « pierre angulaire » du plan d’ensemble, par les services d’instructions de l’Autorité. En effet ce plan d’ensemble aurait été défini dans son principe lors des réunions organisées entre le syndicat et le CSBT. Il était notamment reproché aux parties, lors des réunions dans les locaux du syndicat, d’avoir échangé des informations sur la procédure contentieuse mais également des données confidentielles concernant la demande d’ATE de la société Actis et d’avoir mis en œuvre diverses pratiques visant à empêcher l’élaboration d’un référentiel prévoyant l’évaluation des performances des PMR par le biais d’essais dits « in situ » et à favoriser le recours aux essais en laboratoire réputés plus favorables aux isolants en laine minérale.
Ces faits sont-ils susceptibles de caractériser une infraction unique, complexe et continue ou des ententes individuelles.
Solution : L’Autorité estime que la présence de certains salariés de la société Saint-Gobain Isover membre du syndicat, lors des réunions ne peut suffire à établir « que la société Saint-Gobain Isover était représentée et donc à démontrer son adhésion aux actions envisagées par le FILMM et le CSTB au cours de ces réunions » (Pt. 246). En outre l’Autorité relève que ni les comptes rendus des réunions ni les autres pièces du dossier ne font apparaitre que les participants auraient, à l’occasion des réunions, conçu un plan d’ensemble visant à entraver l’entrée et la commercialisation des PMR sur le marché de la fabrication des produits d’isolations thermique. (Pt. 247). L’Autorité énonce que la seule existence de prises de positions et d’intérêts convergents au sujet notamment du scepticisme exprimé par les parties quant aux performances des PMR et leur attachement aux méthodes d’essais normalisées ne peuvent conduire à l’existence d’une stratégie commune. Enfin l’Autorité relève le caractère très disparate des différentes pratiques qui ne présente pas, en l’espèce, des liens d’identité et de complémentarité suffisants pour permettre de les regarder comme les composantes d’une infraction unique, complexe et continue. (Pt. 251). L’autorité estime donc que l’existence d’une infraction unique, complexe et continue n’est pas établie en l’espèce.
L’Autorité procède également à un examen individuel des pratiques relevées par les services d’instructions afin de constater si elles constituent des ententes individuelles. L’Autorité relève que ni les échanges de vues exprimés au sujet de la procédure opposant le syndicat et la société Actis ni la mention de l’élaboration d’un CUAP et d’un référentiel français pour les PMR ne constituent en tant que tels un accord de volontés des participants. (Pt. 258). La demande d’ATE présentée par la société Actis, pour laquelle les parties au litige ont suivi l’évolution de la procédure d’élaboration du CUAP ne permet pas, d’établir que le syndicat et Saint-Gobain Isover se soient concertés avec le CSTB afin de définir une stratégie commune que ce dernier aurait été chargé de mettre en œuvre. (Pt. 260). Enfin la participation du CSTB à l’élaboration d’un CUAP relève d’une mission intérêt général, ce dernier étant intervenu dans les limites de ses missions, il ne peut être sanctionné au titre de l’application du droit de la concurrence. Par conséquent l’Autorité énonce qu’aucune entente individuelle au sujet des pratiques relatives à l’instruction de la demande d’ATE par la société Actis n’est caractérisée entre le CSTB, le syndicat et Saint-Gobain Isover.
Observation : L’infraction unique, complexe et continue vise à appréhender les situations caractérisées par une pluralité de conduites contraires aux articles 101 TFUE et L. 420-1 du code de commerce, sans avoir à déterminer si ces comportements relèvent spécifiquement des qualifications d’accord ou de pratique concertée (Conseil de la concurrence, décision n°05-D-69 du 15 décembre 2005, pt 176). L’infraction unique, complexe et continue est caractérisée par l’existence d’un plan d’ensemble, dans lequel les parties conduisent des pratiques de manière continue ou répétée. La Commission européenne estime que le plan d’ensemble est caractérisé par l’existence d’un « projet global » poursuivant un objectif anticoncurrentiel et économique unique (Déc. Comm., aff. COMP/37.533, 9 décembre 2004 Chlorine Chloride, pt. 145). La caractérisation d’un plan d’ensemble vise à démontrer que les pratiques examinées partagent le même objet ou le même effet anticoncurrentiel et s’inscrivent ainsi dans ce plan d’ensemble. En l’espèce l’Autorité de la concurrence retient que les diverses pratiques revêtent d’un caractère disparate et ne présentent pas des liens d’identité et de complémentarité suffisants pour permettre de les regarder comme les composantes d’une infraction unique, complexe et continue. Par conséquent la caractérisation d’un plan d’ensemble n’a pas été rapportée.
En outre la participation de l’entreprise à l’infraction unique doit être consciente, c’est-à-dire qu’il convient de prouver que l’entreprise avait l’intention de contribuer par son propre comportement aux objectifs communs poursuivis par les autres participants et qu’elle était prête à en accepter les risques (CJUE, 14 mai 2020 aff. C-607/18 P, NKT Verwaltungs et NKT c/ Commission). En l’espèce, l’Autorité relève que la participation de société Saint-Gobain Isover n’est pas expressément établie dès lors que seuls des salariés de celle-ci en qualité du membre du syndicat ont participé aux réunions. Par conséquent la société Saint-Gobain Isover n’a pas participé de manière consciente aux pratiques litigieuses. Toutefois il convient de préciser qu’une entreprise qui ne participe qu’à certaines réunions, mais qui est informée des pratiques des autres membres, est réputée avoir pris part à l’infraction unique dans son ensemble. (Déc. Comm. no C (2014) 1788 final, 19 mars 2014, aff. AT.39922 - Roulements, pt 49).
L’Autorité a analysé de manière individuelle les différentes pratiques exercées par le CSTB, le syndicat et la société Saint-Gobain Isover afin de retenir la qualification d’accords ou de pratiques concertées. Elle procède ainsi selon une jurisprudence constante lui permettant de retenir que si « une entreprise a directement pris part à un ou plusieurs des comportements anticoncurrentiels composant une infraction unique et continue, mais qu’il n’est pas établi que, par son propre comportement, elle entendait contribuer à l’ensemble des objectifs communs poursuivis par les autres participants à l’entente la Commission n’est en droit de lui imputer la responsabilité que des seuls comportements auxquels elle a directement participé et des comportements envisagés ou mis en œuvre par les autres participants dans la poursuite des mêmes objectifs que ceux qu’elle poursuivait et dont il est prouvé qu’elle avait connaissance ou pouvait raisonnablement les prévoir et était prête à en accepter le risque » (Décision n° 20-D-17 du 12 novembre 2020 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la chirurgie dentaire et CJUE 26 janvier 2017, Villeroy & Boch/Commission, C-642/13, paragraphes 55 et 56).