Faits
Dans le cadre d’un projet d’adhésion à la franchise « La Pataterie », un entrepreneur qui avait été, à titre personnel, gérant d’un restaurant puis directeur d’un MACDonald’s durant 7 ans, avait rencontré trois franchisés La Pataterie, participé à une journée découverte de la franchise, et s’était vu communiquer par le Franchiseur un document d’information précontractuelle (DIP) contenant une étude sur le marché de la restauration en France, un Focus marché restauration à Provins, les derniers bilans et comptes résultats de la société La Pataterie développement et un projet de contrat de franchise avec en annexe le code européen de déontologie de la franchise.
Le Franchisé avait répondu à un « questionnaire suite à l'envoi du DIP de Provins » en indiquant qu'il estimait que les informations reçues lui permettaient de s'engager en connaissance de cause, qu'il avait conscience que l'état du marché communiqué dans le DIP ne valait pas étude de marché et qu'il lui appartenait de préciser la pertinence économique de la zone de chalandise qu'il avait choisie.
Un « prévisionnel de création d’activité », indiquant des chiffres d’affaires et résultats prévisionnels sur trois ans, lui a ensuite été adressé par le Franchiseur pour soutenir son dossier de financement auprès des banques. Ce document prenait soin de préciser en préambule : « le présent rapport de simulation constitue un outil de prospection qui exploite les données fournies et/ou validées par le candidat à la franchise de l'enseigne la papeterie. Ce document a donc été établi en fonction des options choisies par le candidat à la franchise, sous sa responsabilité. Les projections réalisées n'ayant qu'une valeur indicative, le [Franchiseur] et son candidat à la franchise ne peuvent garantir qu'elles se vérifieront sur la période analysée. »
Le Contrat de franchise est signé entre les Parties 16 mois après leur premier contact.
Alors que les comptes prévisionnels adressés par le Franchiseur établissaient pour la première année, un chiffre d’affaires à hauteur de 985 371€, pour la seconde année 975 025 €, puis pour la 3e année 984 775 €, le Franchisé a réalisé un chiffre d’affaires pour la première année à hauteur de 926 889€, pour la seconde année 802 796€ et pour la troisième année 2016 à 671 823€.
Le Franchisé a saisi les juridictions compétente demandant, à titre principal, à voir prononcer la nullité de son Contrat de franchise sur le fondement des articles 1109 et 1110 du Code civil, dans sa version antérieure à l’Ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 , invoquant un consentement vicié par une erreur sur la rentabilité du restaurant qu’il envisageait d’ouvrir, et à titre subsidiaire la résiliation du Contrat de franchise, sur le fondement de l’article 1184 du Code civil, pour manquement du Franchiseur à son obligation d’assistance. En cours de procédure, la société franchisé a fait l’objet d’une liquidation judiciaire.
Problème
1. Avant la conclusion du contrat, le Franchiseur avait-il manqué à son obligation précontractuelle d’information en induisant son franchisé en erreur sur les perspectives de rentabilité du concept ?
2. Après la conclusion du contrat, les manquements du Franchiseur à ses obligations contractuelles soulevés par le Franchisé permettaient-ils de justifier une résiliation du Contrat de Franchise aux torts du Franchiseur ?
Solution
1. Sur la demande en nullité, le Franchisé est débouté aux motifs que :
« ce seul différentiel ne démontre pas à lui seul que les informations contenues dans les documents pré-contractuels étaient erronées, tant en ce qui concerne les éléments financiers pris en compte dans l'établissement du prévisionnel, que s'agissant de celles contenues dans le document relatif à l'état du marché de la restauration sur la zone de Provins qu'il appartenait à X… de compléter en faisant procéder à une étude de marché avant de s'engager plus avant dans le projet. […] S'agissant de l'obligation de réussite commerciale, si le principe de la franchise consiste en la reproduction par les franchisés du modèle de réussite du franchiseur, le contrat de franchise ne comporte à la charge de ce dernier aucune obligation de réussite commerciale de son co-contractant, puisqu'il se caractérise par la transmission d'un savoir-faire original effectuée par une assistance technique et commerciale et l'octroi d'un droit d'user d'une marque tout au long de l'exécution du contrat, moyennant le paiement d'une redevance, et que le bon usage de ce savoir-faire afin d'atteindre la réussite commerciale attendue repose sur la propre aptitude du franchisé à développer son activité commerciale par sa capacité à reproduire et respecter ce savoir-faire. […] S'agissant de l'absence de viabilité du modèle économique proposé par la franchise que la tête de réseau n'a, selon eux, pas su faire évoluer, […] ces documents ne permettent pas de considérer que les difficultés d'exploitation rencontrées par les franchisés, même à considérer qu'elles sont généralisées, ont été, même partiellement, générées par l'absence de viabilité du modèle économique franchisé, à défaut pour cette allégation d'être étayée, notamment, par une analyse approfondie d'une part, de l'évolution du marché pour le type de restauration proposée par l'enseigne et d'autre part, de l'évolution des résultats d'exploitation des établissements démontrant que leurs difficultés commerciales ont une origine identique et surtout qu'elle sont en lien avec le concept lui-même »
2. Sur la demande en résiliation, le Franchisé est débouté aux motifs que :
« Il ressort de ces pièces que [le Franchisé a ] fait l'objet d'un rappel systématique sur la transmission des documents comptables […], de sorte [qu'il ne peut] reprocher à la société La Pataterie développement de ne pas avoir proposé de solutions concrètes à [ses] difficultés. Il s'en suit [qu'il ne peut] utilement prétendre que la société La Pataterie développement a manqué à son obligation d'assistance. […] Il découle de la lecture de ces stipulations contractuelles, qui doivent être interprétées les unes par rapport aux autres, d'une part, que l'affectation par la commission d'achat des économies d'échelle réalisées, matérialisés dans un compte d'attente, grâce à l'utilisation de la plateforme logistique imposée par le contrat de franchise aux restaurants franchisés ayant respecté leur engagement d'achat, est une possibilité et non une obligation pour le [Franchiseur] qui s'engage simplement à tout mettre en œuvre pour qu'il y ait un reliquat reversé à ces restaurants. […] S'agissant de la politique des prix, l'article 8.6. du contrat de franchise stipule : « le Franchisé est maître de sa politique de prix mais, pour ne pas nuire à l'image de marque du réseau, il s'engage à ne pas dépasser, dans la mesure du possible, la marge moyenne établie par le [Franchiseur]. C'est ainsi que les prix de vente ou les marges bénéficiaires établis par le [Franchiseur] sont donnés à titre purement indicatif et constituent un maximum, le Franchisé étant essentiellement libre de fixer ses prix et de s'adapter aux conditions locales de son marché et de la concurrence éventuelle existante. »
Analyse
L’erreur sur la rentabilité du contrat de franchise est une cause de nullité sur le terrain des vices du consentement : le franchisé s’estimant insuffisamment informé sur les perspectives de rentabilité de l’activité franchisé. L’erreur sur la rentabilité est retenue au motif, déjà énoncé par la Cour de cassation, que, s’agissant d’un contrat de franchise, « l’espérance de gains est déterminante » (Com. 4 oct. 2011, n°10-20956 ; dans le même sens, 12 juin 2012, n°11-19.047). L’absence de viabilité de l’entreprise franchisée ab initio doit en premier lieu être étudiée pour apprécier cette erreur sur la rentabilité. En l’espèce, la Cour d’appel de Limoges ne retient pas les arguments du franchisé, tendant à démontrer l’absence de viabilité du concept par la production de pièces mettant en avant les difficultés d’autres franchisés et des succursales du franchiseur, lui-même placé en redressement judiciaire. En effet, le lien de causalité entre ces difficultés, et le concept, n’étant pas démontré. La procédure de liquidation judiciaire du franchisé intervenant plus de quatre ans après la conclusion du contrat ne permettait pas en outre de faire cette démonstration. En second lieu, il s’agissait alors d’observer si le prévisionnel n’était pas irréaliste. Malgré l’importance de ce différentiel, la Cour s’appuie sur l’expérience du franchisé dans le secteur de la restauration et de la franchise, du temps dont il a disposé avant la conclusion du Contrat pour apprécier les informations précontractuelles qui lui ont été communiquées, 16 mois, et des précautions du franchiseur lui ayant fait reconnaître par contrat que les données communiquées ne relevaient pas de sa responsabilité. Le vice du consentement s’appréciant, en effet « in concreto » l’expérience du franchisé était déterminante dans l’appréciation de la Cour (i.e. Cour d’appel de Nîmes, 23 janvier 2020, n° 18/00148, LD fèv. 2020.) On pourra relever ici, en pratique, l’efficacité des clauses limitatives de responsabilité rappelant l’obligation du franchisé à procéder à une étude de marché, en particulier lorsque le franchiseur prend le risque d’adresser au franchisé des comptes prévisionnels.