Un agent commercial intervient pour le compte d’un fournisseur d’arts de la table auprès d’enseignes de la grande distribution. La mission consiste à « faire implanter les référencements des centrales » et « livraison entrepôt » AUCHAN et CARREFOUR ; mission pour laquelle il est prévu une commission sur les ventes directes et indirectes sur son secteur. Sont toutefois exclues « les actions centrales et « les livraisons entrepôt ». Confronté en cours de contrat à des demandes d’approvisionnement en MDD par les enseignes et d’opérations promotionnelles fortes, le mandant informe son agent que ces opérations, à très faible marge, ne seront pas commissionnées et lui demande de retourner cette lettre signée.
La Cour est ainsi saisie dans un premier temps, de la question de l’imputabilité de la rupture, l’agent considérant en effet que ces modifications n’ont pas été acceptées et que le contrat a été rompu aux tords du mandant. De son côté, le mandant se fondait sur la clause du contrat qui excluait toute commission pour les « actions centrales » pour écarter toute commission. Il prétendait de même que l’agent n'intervenait pas dans la commercialisation des produits MDDet que les commandes intervenaient effectivement au niveau des centrales d'achat de chaque enseigne, de sorte que les produits MDD n'étaient nullement proposés à la vente par la société L. aux magasins dont le rôle se limitait à la livraison.
La Cour d’appel rejette ces arguments. Cette dernière constate tout d’abord que l’agent n’a jamais retourné la lettre signée et que ce faisant, il n’a pas accepté la modification du contrat. Interprétant ensuite les termes de contrat, la Cour relève qu’«aucune définition n’est donnée sur les « actions centrales » et « livraison entrepôt » et qu’« il n’est nullement mentionné que les produits « marque de distributeur » (MDD) étaient exclus du périmètre de vente ». Au contraire, le terme général utilisé au contrat « nos produits » engloberait la totalité des produits y compris ceux à marque de distributeur. En l’absence d’éléments factuels plus précis, il nous est impossible d’affirmer que cette notion renvoyait à une annexe détaillant les produits contractuels sous marque de fournisseur. Si tel avait été le cas, la commercialisation auprès de ces enseignes de produits MDD aurait-elle caractérisé une violation par le mandant de ses obligations ? Si ce produit est nouveau, rien ne semble obliger le mandant à le proposer à l’agent. Une telle proposition à un taux de commission inférieur à celui prévu dans le contrat initial ne peut en effet être analysée comme une modification unilatérale du contrat mais comme la proposition d’un nouveau contrat (CA Aix-en-Provence 21/03/2012 n°2012/137). La commercialisation de ce produit lorsqu’elle répond à des impératifs commerciaux, et non à une volonté de nuire à l’agent, ne caractérise pas en effet une faute du mandant (CA Montpellier 06/06/2017 n°14/05046). En revanche si la vente par le mandant de ces produits affecte la mission de l’agent : il s’agirait dans cette hypothèse d’une violation de l’obligation de loyauté lui incombant (art.L134-4 du Code de commerce), peu important qu’une exclusivité ait été concédée à l’agent (CA VERSAILLES 07/07/1999, RJDA 99 n°1203). Autrement dit, ce sont les effets d’une telle décision sur la situation de l’agent qui aurait été prise en considération. Enfin, aucune disposition du contrat ne « prévoyait une absence de commission pour des opérations ponctuelles telles que les « 25 jours Auchan ». Cette opération promotionnelle aurait pu être interprétée différemment et entrer dans le champ des exclusions contractuelles liées aux « actions centrales ». Mais s’agissant du terrain de la rémunération de l’agent, et alors que le contrat prévoyait une rémunération assez large aussi les ventes directes et indirectes, l’interprétation est généralement favorable aux agents. Enfin, l’argument relatif à l’absence de livraison directe des produits par le mandant aux magasins dévolus à l’agent n’est pas directement abordé par la Cour. Néanmoins, l’on sait depuis la décision Chevassus Marche que ces commissions sont exclues lorsque les opérations sont conclues avec des tiers (ici la centrale d’achat) sans l’intervention directe ou indirecte du mandant (Cass.comm 01/07/2008 n°03-12.724 ; CJCE 17/01/2008 aff.C-19/07). Or, il est difficile en l’espèce pour le mandant de se réfugier derrière la livraison de ces produits MDD aux magasins par ce tiers. Pour l’ensemble de ces raisons, la rupture du contrat est imputable au mandant. Les conséquences financières y afférentes sont lourdes pour ce dernier. La Cour condamne en effet celui-ci à un rappel de commissions pour les produits à marque fournisseur sous opération promotionnelle et à une perte de chance d’obtenir les commissions sur les ventes de produits à marque distributeur. Les premières sont prises en compte pour le calcul de l’indemnité, les secondes en sont exclues, seule la réparation du préjudice par perte de chance pouvait être demandée. La multiplicité des niveaux de négociation, des points de livraison et des typologies de produits livrés à la grande distribution doivent inciter les mandants à être attentifs lors de la rédaction des contrats notamment concernant : la définition précise et limitative des produits contractuels ; les conséquences liées à la commercialisation des nouveaux produits voire de produits sous marque de distributeur ; la définition des opérations exclues des commissions (type d’opérations promotionnelles notamment) ; la prise en compte des plateformes logistiques, de l’éclatement des livraisons, des différents points de vente, de l’intervention de différents agents ou commerciaux salariés au regard du secteur de l’agent, de son droit à commissionnement et du niveau de ce commissionnement (taux différents selon les opérations ; commission partagée avec d’autres commerciaux ; etc).
Aymeric Louvet