Article publié au sein de la Lettre de la distribution
La Cave de Tain l'Hermitage commercialise ses vins sous AOC Saint-Joseph (rive droite) et Crozes-Hermitage (rive gauche) par l’intermédiaire d’un agent commercial. Un contrat a été conclu à cet effet, complété par un acte de cession au titre duquel l’agent a acquis la « carte d’agent commercial » à son mandant. Après quatre années de relations contractuelles, le mandant souhaite reprendre certains clients en direct et remettre en cause l’exclusivité. L’agent refuse les conditions qui lui sont proposées. Prenant acte de ces divergences, le mandant rompt le contrat sans faute et règle une indemnité de fin de contrat dont il fixe le montant conformément à une clause prévue à cet effet au contrat. L’agent conteste cette évaluation et saisit le tribunal compétent. Problème n° 1 –Devant la Cour d’Appel, et après avoir obtenu gain de cause en première instance, le mandant soutient classiquement que le statut d’agent commercial ne s’applique pas – peu important les termes du contrat – dès lors que l’agent ne disposait pas du pouvoir de négocier les prix des vins. Solution – La Cour apporte une réponse en deux temps. D’abord – suivant ainsi le mandant – il est rappelé que l'application du statut ne dépend ni de la volonté des parties exprimées dans le contrat, ni de la dénomination de la convention. Ici, le titre du contrat (« contrat d'agent commercial") ainsi que l’application par les parties du statut, ne sont donc pas retenus comme critères de qualification. Seules les conditions dans lesquelles l'activité est effectivement exercée importent. Solution classique et constante. L’analyse factuelle, dans un second temps, s’intéresse à la possibilité pour l’agent de prendre les commandes pour le compte du mandant – aux conditions tarifaires déterminées par ce dernier – et à assurer toutes les opérations de développement et d'animation de la clientèle. Quant à la négociation des tarifs, il est relevé que l’agent « nonobstant les clauses du contrat, disposait d'un réel pouvoir de négociation sur ce point avec les clients (remises, tarifs exceptionnels etc...) . Ce faisant, « il n'est pas contestable […] (que l’agent) […] dispose du pouvoir de conclure des contrats pour le compte du mandant, les ventes ainsi conclues produisant leurs effets juridiques entre le client et le mandant ». Le statut d’agent commercial est donc applicable. Observation – Difficile d’établir un lien précis entre cette décision et celle de la CJUE du 4 juin 2020 relative au pouvoir de négociation. La Cour croit en effet déceler un pouvoir de négocier des prix tout en précisant que « le texte n'exige pas un pouvoir complet de négocier (terme non défini dans l'article susvisé) et que le terme négocier ne se limite pas à la fixation d'un tarif ». Surtout, cette dernière identifie parmi les missions confiées à l’agent, le pouvoir de conclure des contrats de vente au nom du mandant. Autrement dit, la condition légale de « négocier et, éventuellement, de conclure des contrats » est ici justifiée. Pouvoir de contracter généralement écarté par une clause laissant au mandant le pouvoir d’accepter ou de refuser les commandes et donc de consentir à la formation du contrat. Tel était le cas en l’espèce mais dans des « cas très spécifiques justifiant les refus » de telle sorte que ce pouvoir n’était pas remis en cause. L’agent était donc un véritable mandataire disposant du pouvoir de réaliser des actes juridiques.
Problème n°2 – Le mandant soutenait que la méthode fixée au contrat pour déterminer le montant de l’indemnité devait s’appliquer. La clause stipulait à cet effet : "dans tous les cas où cette indemnité serait due, sa méthode de calcul se fonderait sur deux années de commissions nettes basées sur la moyenne des trois dernières années de commissions nettes précédant la rupture du présent contrat calculées d'une part sur le chiffre d'affaires réalisé auprès de la clientèle nouvellement créée par l'agent et, d'autre part, sur l'augmentation du chiffre d'affaires réalisé auprès de la clientèle existante du mandant, tel que défini à l'article 4 du contrat. L'augmentation du chiffre d'affaires se définit comme étant la différence entre le chiffre d'affaires de l'année se terminant le 31 décembre 2010 et le chiffre d'affaires de l'année se terminant à la date de rupture du présent contrat ".
Solution – Cette clause est écartée par la Cour au motif que l'indemnité doit correspondre à deux années de commissions calculées sur la moyenne des trois dernières années. Or, pour e faire, il doit « être tenu compte de tous les éléments de la rémunération de l'agent pendant l'exécution du contrat sans distinguer s'ils proviennent de clients préexistants ou de clients apportés par l'agent ».
Observation – Cette solution est là aussi classique. Les parties ne peuvent en effet déroger au détriment de l’agent à la réparation intégrale de son préjudice (combinaison des articles L. 134-12 et L.134-16 c.com). En revanche, si cette clause est favorable à l’agent, elle doit pouvoir être appliquée. Ici, l’indemnité était contractuellement fixée à « deux années de commissions nettes basées sur la moyenne des trois dernières années de commissions nettes précédant la rupture du présent contrat ». A ce stade, la clause n’est pas forcément « défavorable à l’agent » et donc nulle. En effet, la relation contractuelle n’a duré que quatre ans ce qui, pour une jurisprudence fournie, incite à écarter la pratique prétorienne des deux années de commissions (ici adoptée par la Cour, sans autre analyse) et à limiter cette dernière à une année de commissions. C’est en revanche l’assiette contractuelle de l’indemnité qui pose difficultés. Toutes les commissions perçues par l’agent ne sont pas en effet retenues mais uniquement celles relatives à la « clientèle nouvellement créée » voire à « l'augmentation du chiffre d'affaires réalisé » auprès des clients existants. La logique commerciale et économique d’une telle clause se heurte en effet au choix du législateur français qui a consacré une indemnité en réparation du préjudice que cause pour l’agent la cessation de ses relations avec le mandant (art. 17.3 Directive 86/653/CEE) et a écarté l’indemnité de clientèle (art. 17.2). Le terrain de l’indemnisation instable, reste celui de l’exécution du contrat et, le cas échéant de la faute, pour traiter contractuellement ces sujets (développements de clients nouveaux et du chiffre existant). Voire aussi celui, à la formation, de la valorisation du fichier clients existants. Problème n°3 – La Cave de Tain l'Hermitage soutenait enfin que devait être déduite de cette indemnité la rémunération due par l’agent au titre de la mise à disposition d'un fichier de clientèle par le mandant.Solution – La Cour écarte cette demande dès lors que le mandant ne fournit aucune « référence sérieuse d'une décision en ce sens ». Et d’ajouter que « l'agent payerait dans ce cas deux fois la carte, de sorte que cette allégation est inopérante ».
Observation – Si les arguments du mandant étaient effectivement non étayés (ce que l’arrêt ne précise pas), l’on comprend qu’ils aient été jugés peu sérieux et contradictoires. Un travail de clarification de la Cour aurait néanmoins été appréciable. D’abord, en rappelant que la pratique de la « cession de la carte par le mandant à l’agent » est à proscrire dès lors qu’elle ne paraît pas justifiée juridiquement et qu’elle vise à minorer l’indemnité éventuellement à venir. De même, le prix de cette acquisition aurait pu être pris en compte pour déterminer le préjudice subi par l’agent et fixer le montant de l’indemnité. Ensuite, en précisant que faire payer à l’agent le prix de la mise à disposition du fichier clients existants ne se heurte pas aux mêmes obstacles. Cette obligation a en effet « pour cause la mise à disposition de l’agent par la mandante d’un fichier de clientèle et lui assure un revenu sur cette clientèle que cette société n’a pas eu à rechercher […]. Ce faisant, cette clause n’a pas « pour objet illicite de limiter le montant de l’indemnité de cessation » (Cass.com. 21/02/2012 n° 11–13 395 et 11–14 974 ; puis : CA Aix-en-Provence 5/09/2012 n°11/03 433 ; CA Lyon 12/02/2015 n° 13/00 364). Mais la Cour a apparemment préféré écourter le plaisir de cette dégustation infligée au mandant.Aymeric Louvet