Faits
La société Le Kiosque.fr exerçant une activité de distribution de titres de presse au format numérique (pdf, articles et audio), à travers son site internet cafeyn.co, avait conclu avec la société L’Equipe un contrat de diffusion numérique de contenus. A l’occasion de l’acquisition par Le Kiosque.fr de l’offre de presse SFR et de la plateforme Milibris, le Kiosque a souhaité élargir le périmètre du contrat à l’ensemble de ces offres. L’Equipe souhaitant alors redéfinir sa stratégie de commercialisation et de diffusion a dénoncé le contrat. Le Kiosque.fr ne souhaitant pas perdre la diffusion de l’Equipe a alors tenté une renégociation du périmètre des accords. L’Equipe lui a alors proposé de poursuivre les accords « sur le périmètre actuel », mais en augmentant sa rémunération de 84 %.
Considérant que l’Equipe lui avait imposé des conditions de transaction non équitables pendant la période de renégociation de la relation, le Kiosque l’assigne devant le Tribunal de commerce de Paris à l’effet notamment de voir reprendre les négociations, de voir retenir que L’Equipe avait commis un abus de position dominante sur le fondement des articles L. 420-2 du code de commerce et 102 TFUE ainsi que des pratiques restrictives de concurrence consistant à obtenir ou tenter d’obtenir un avantage ne correspondant à aucune contrepartie ou manifestement disproportionné au regard de la valeur de la contrepartie consentie (L 442-1 I 1°) du Code de commerce). Par jugement du 30 juin 2022, le Tribunal de commerce de Paris a débouté la SAS lekiosque.fr de l’essentiel de ses demandes, laquelle a alors interjeté appel.
La Cour d'appel de Paris avait demandé, sur le fondement de l’article L 462-3, al 1 du Code de commerce, l'avis de l'Autorité de la concurrence sur la définition des marchés pertinents, celui, amont sur lequel la société l’Équipe est prétendument en position dominante et celui, aval sur lequel les pratiques alléguées par Lekiosque.fr auraient été commises et sur la prétendue position dominante de L'Équipe (Paris, 14 déc. 2022, RG no 22 /12917).
Problème
L’Equipe est-elle en position dominante ? Le cas échéant, l’offre de contracter avec un partenaire économique à des conditions tarifaires beaucoup plus élevées que celles pratiquées précédemment constitue-t-elle en soi un abus de position dominante ?
Solution
Sur la définition des marchés pertinents : la Cour d’appel reprend l’analyse faite par l’Autorité de la concurrence et retient que le marché amont est celui, « de dimension nationale, de la fourniture de contenus de presse quotidienne d’information sportive en version numérique pdf ou papier », en ce qu’il permet d’apprécier le pouvoir de marché de l’Equipe en tant qu’offreur d’un intrant, constitué par la version PDF des titres de presse ou à l’accès aux articles. La Cour d’appel renonce à définir le marché aval, en raison du renoncement de la demanderesse à ses demandes au titre de la pratique de prix prédateurs. L’Autorité avait, quant à elle, considéré que le Kiosque.fr était actif sur le marché des kiosques numériques, lequel est distinct du marché de l’exploitation de site éditorial portant sur la thématique du sport sur lequel L’Équipe est active via son site lequipe.fr.
La Cour d’appel juge en second lieu que l’Equipe est en position dominante sur le marché de référence.
Sur l’abus, la Cour d’appel juge que, s’agissant de l’augmentation de la rémunération demandée par l’Equipe, cette dernière “a formulé ses exigences financières trois mois après avoir annoncé sa volonté ferme de mettre un terme aux relations et en réponse à l'insistance de la SAS Le Kiosque.fr qui s'opposait à toute rupture, celle-ci n'étant ainsi pas une menace érigée en moyen d'obtenir un paiement qui n'a été évoqué que postérieurement à la prise de décision de la SAS L'Equipe et à sa notification. […] rien n'établit la décorrélation alléguée entre l'augmentation réclamée et, d'une part, la valeur de la prestation fournie, et, d'autre part, les prix pratiqués par les concurrents, aucune offre substituable n'existant sur le marché. Et, la SAS Le Kiosque.fr n'explique pas dans quelle mesure l'acceptation d'une telle condition financière entraverait son activité ou réduirait sa rentabilité. Elle ne démontre pas non plus en quoi le comportement de la SAS L'Equipe serait de nature à affecter le marché national ou intracommunautaire. En conséquence, l'excès n'étant pas démontré et les exigences de la SAS L'Equipe reposant sur des justifications objectives, cet abus n'est pas démontré”.
La Cour a considéré que sur le terrain de l’article L 442-1 I 1°) du Code de commerce, que “l'application de ce texte exige seulement que soit constatée l'obtention d'un avantage quelconque (ou sa tentative) ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu, quelle que soit la nature de cet avantage qui peut être tarifaire (en ce sens, Com., 11 janvier 2023, n° 21-11.163). Cette interprétation n'autorise ni un contrôle généralisé de la lésion, notion distincte de l'absence totale de contrepartie ou de sa disproportion manifeste qui renvoie à l'analyse de la réalité de la prestation attendue, ni celui de la stricte adéquation du prix à un service en violation de la liberté contractuelle. L'appréciation de l'absence de contrepartie ou de sa disproportion manifeste suppose une analyse essentiellement objective et quantitative et s'opère généralement terme à terme sans égard pour l'existence d'une soumission. […] le caractère excessif, et a fortiori manifestement disproportionné, de l'augmentation de sa rémunération sollicitée par la SAS L'Equipe n'est établi ni par référence à la valeur de la prestation ni en contemplation des tarifs pratiqués par des concurrents”.
Analyse
L’Equipe a en premier lieu rompu la relation contractuelle, puis en second lieu proposé des conditions tarifaire augmentées de 84 %, suite à la demande insistante du Kiosque.fr, n’a pas abusé de sa position dominante sur le marché de la fourniture de contenus de presse quotidienne d’information sportive en version numérique pdf ou papier. En effet, la Cour a considéré que la pratique s’analyser en un refus de contracter ou de fourniture d’un intrant. Cette pratique est susceptible, pour une entreprise en position dominante, de constituer un abus selon trois conditions, au regard de la communication de la Commission européenne (Orientations sur les priorités retenues par la Commission pour l'application de l'article 82 du traité CE aux pratiques d'éviction abusives des entreprises dominantes, n°2009/C 45/02 : (i) le refus porte sur un produit ou un service qui est objectivement nécessaire pour pouvoir exercer une concurrence efficace sur un marché en aval, (ii) le refus est susceptible de conduire à l'élimination d'une concurrence effective sur le marché en aval, et (iii) le refus est susceptible de léser le consommateur. Ces conditions n’étaient pas réunies en l’espèce, la Cour a fait une exacte application du droit de la concurrence.