Pour la première fois, la CJUE a été amenée à se prononcer sur les prérogatives respectives de la Commission, du Tribunal et des juridictions nationales dans le cadre de la mise en œuvre de la responsabilité solidaire pour le paiement des amendes infligées par la Commission aux entreprises au visa de l’article 23§2 du règlement 1/2003.
Dans cette affaire le Tribunal avait, le 3 mars 2011 (Tribunal de l’UE, 3 mars 2011 aff. T-122/07 à T-124/07) annulé certains points de la décision de la Commission du 24 janvier 2007 (Décision C (2006) 6762 final) concernant les amendes infligées aux sociétés Reyrolle, SEHV et Magrini. Il avait aussi réformé la décision en fixant la quote-part que chaque société devait supporter dans les rapports internes entre codébiteurs solidaires.
Dans son pourvoi, la Commission fait grief au Tribunal d’avoir jugé que lorsque la Commission sanctionne plusieurs personnes solidairement pour violation des règles de concurrence, elle a, au regard du principe d’individualisation des peines et des sanctions, exclusivement compétence et doit déterminer à ce titre les relations internes entre les codébiteurs de l’amende, et, pour chaque personne sanctionnée solidairement, la quote-part de l’amende à supporter.
La CJUE, annule pour erreur de droit ce point de la décision, jugeant que la « solidarité pour le paiement de l’amende » n’est qu’une manifestation d’un effet de plein droit de la notion d’ « entreprise » au sens du droit de l’Union, si bien qu’elle ne concerne que l’ « entreprise » responsable de l’infraction, et non les sociétés qui la composent (pt. 57).
Selon la Cour, ni l’objectif du mécanisme de solidarité, ni le libellé de l’article 23§2 du règlement 1/2003 « ne permettent de considérer que ce pouvoir de sanction s’étendrait au-delà de la détermination de la relation externe de solidarité, à celui de déterminer les quotes-parts des codébiteurs solidaires dans le cadre de leur relation interne » (pt. 58).
En effet, le principe de solidarité répond à l’objectif de désintéresser la Commission de sa dette en limitant le risque d’insolvabilité des entreprises, afin que l’amende puisse satisfaire à sa fonction dissuasive (pt. 59).Le principe d’individualisation des peines et des sanctions ne concernerait ainsi que l’« entreprise » en tant que telle et non les personnes physiques ou morales qui en font partie. A ce titre, le fait que la décision de la Commission ait été adressée à chaque personne juridique composant l’« entreprise » n’aurait qu’un caractère pratique ne remettant pas en cause ce principe (pt. 55).
Selon la CJUE, « en l’absence de fixation par voie contractuelle des quote-parts des co-débiteurs d’une amende à laquelle ceux-ci ont été condamnés solidairement, il incombe aux juridictions nationales, de déterminer ces quotes-parts dans le respect du Droit de l’Union, en faisant application du Droit national applicable au litige » (pt. 62).
En pratique, au sein des groupes de société, en particulier lors de rachat d’entreprises présentant des pratiques à risque au regard du droit de la concurrence, une stratégie de répartition contractuelle du risque concurrentiel pourrait être opportune. Dans le cas contraire, le juge national saisi d’une action récursoire pourra faire application des principes de la responsabilité délictuelle en caractérisant le degré de participation de l’entreprise à l’infraction. La CJUE propose une règle nationale supplétive qui consisterait à considérer que « s’il ne peut être démontré par les sociétés réclamant une répartition à parts inégales que certaines sociétés sont davantage responsables que d’autres de la participation de ladite entreprise à l’entente pendant une période donnée, les sociétés concernées doivent être tenues pour responsables à quotes-parts égales » (pt. 71).
Karine BIANCONE