La faute grave d’un agent commercial privative de l’indemnité ne peut être écartée au motif que cette dernière a été découverte par le mandant postérieurement à la rupture. Cette solution dégagée récemment par la Cour de cassation (Cass.Com 14/02/18 n°16-26.037), cassant un arrêt de la Cour d’Appel de Paris (CA Paris, 5ème ch. 15/09/2016, n°18/23501) s’inscrit dans un courant de jurisprudence française constant (Cass.Com 01/06/2010, n°09-14.115 ; Cass.Com 24/11/2015, 14-17.747 ; CA Nîmes 03/11/16 n°15/0331). Solution dont certains ont pu s’interroger sur la compatibilité avec la décision européenne du 28 octobre 2010 (C-203/09) voire sur ses réels contours (S. BRENA, LD mars 2018). L’arrêt sous commentaire est celui, dans cette affaire, de la Cour de renvoi. Saisie par le mandant, chocolatier notoirement connu, la Cour devait répondre au caractère de gravité des fautes de l’agent qui avait écarté par les juges de première instance. La Cour appréhende ainsi, dans un premier temps, la faute révélée postérieurement qui a entrainé la cassation. Le mandant produisait à cet effet un courriel postérieur à la rupture démontrant que l’agent avait représenté des produits concurrents avant la rupture. Pour la Cour de renvoi, cette représentation violait l’obligation contractuelle de non-concurrence stipulée au contrat mais aussi les obligations légales de l’agent : obligation d’obtenir l’accord exprès et préalable du mandant pour la représentation de toute entreprise concurrente (art. L 134-3.2ème alinéa) ; obligation de loyauté et devoir réciproque d’information (art. L 134-4 al.2). C’est donc classiquement que ce manquement est considéré comme grave. Cette faute grave est en conséquence retenue car découverte postérieurement à la rupture. Découverte antérieurement et non visée au courrier, ses effets auraient en effet été anéantis. La tolérance de ce type de faute est en effet incompatible avec la poursuite des relations. Cette faute grave est de même efficiente car antérieure à la rupture. Il en aurait été sans doute différemment si des premiers contacts et des discussions avec l’entreprise concurrente avaient été initiés par l’agent avant la rupture et s’étaient concrétisés par une représentation effective postérieurement à cette dernière. La datation de la faute et de sa découverte – et donc la question probatoire – sont donc essentielles. Après avoir caractérisé la faute grave, en principe à elle seule exclusive de toute indemnité, la Cour de renvoi, sans en tirer à ce stade de conséquences sur l’indemnité, procède à l’analyse des autres fautes visées au courrier de rupture. Ces fautes, qui avaient provoqué la rupture au sens des textes (art. 18 Directive 86/653/CEE du 18/12/1986 «le commettant a mis fin au contrat pour un manquement imputable à l'agent commercial » ; art L 134-13-1° « cessation du contrat provoquée par la faute grave»), étaient notamment les suivantes : non-respect du minimum de commandes requis, absence de retours d'informations ni de suivi des litiges en cours ; mauvais suivi du linéaire ayant entraîné des déréférencements ; mauvaise gestion des campagnes saisonnières, entrainant le mécontentement client. En 2016, la Cour d’Appel de Paris avait écarté ces dernières considérant qu’elles étaient « peu caractérisées ». A titre d’exemple, les résultats insuffisants reprochés à l’agent étaient à relativiser dès lors que le marché du chocolat à la période de Pâques 2011 « était à la fois concurrentiel et déprimé ». Surtout, l’agent avait fait part antérieurement à ces faits de son mécontentement sur « le retard récurent et “inadmissible” pris dans le règlement de ses commissions ». Autrement dit, le mécanisme de l’exception d’inexécution devait jouer. Trois ans après, la même chambre de la Cour adopte une décision en tous points contraires s’appuyant sur les multiples mise en demeure du mandant pour en conclure que « compte tenu de la multiplication des incidents, révélatrice d'un manque persistant de rigueur, et de l'incapacité dans laquelle s'est trouvé l'agent commercial d'y remédier, l'ensemble de ces fautes est constitutif d'un manquement suffisamment grave pour justifier la rupture du contrat d'agent commercial sans indemnité compensatrice ». L’ensemble de ces défaillances caractérise donc une faute grave, faute grave qui s’ajoute à celle précédemment identifiée. L’agent est donc privé de toute indemnité. L’on peut s’interroger sur les raisons qui expliquent l’analyse en deux temps des fautes alléguées. La première, découverte postérieurement, qualifiée de faute grave permettait en effet à la Cour d’en tirer les conséquences sur l’indemnité, peu important que les fautes invoquées au courrier soient ou non retenues. Est-ce à dire que la solution aurait été différente si ces fautes avaient été jugées insuffisantes comme en 2016 ? Ou, les seuls faits fautifs antérieurs à la rupture découverts postérieurement et non visés au sein du courrier auraient-ils pu justifier l’exclusion de l’indemnité ? Il nous semble que la deuxième hypothèse puisse être retenue dès lors que la résiliation n’était pas en l’espèce sans faute et avec préavis mais exceptionnelle car fondée sur des faits fautifs excluant le préavis et l’indemnité. Et ce, peu important l’efficacité des fautes invoquées. Il serait néanmoins nécessaire, pour accueillir la faute grave découverte postérieurement, de s’assurer que la rupture a été provoquée par des manquements autres considérés par le mandant comme graves et visés au courrier. La logique est néanmoins difficile à trouver lorsque l’on met en perspective cette solution avec un autre arrêt récent qui a dénié à l’agent, à l’origine de la rupture, la possibilité de se prévaloir de griefs ne figurant pas au sein de son courrier (CA Paris 29/11/2018, 16/08588 ; N .Ferrier, Concurrence Distribution, RD 2019 p 783). En pratique, le mandant se retrouve donc confronté aux situations suivantes : a) rompre le contrat sans motif e respectant un préavis : il lui sera difficile dans ce cas de se prévaloir de manquements graves antérieurs découverts postérieurement dès lors que la rupture n’a pas été provoquée par de tels manquements ; b) rompre le contrat pour des manquements de l’agent : il lui sera possible d’invoquer d’autres manquements antérieurs à la rupture que ceux visés au courrier s’il les a découverts postérieurement et ne les a donc pas tolérés. Le mandant aura ainsi tout intérêt à mettre en exergue au sein du courrier la gravité de ces manquements et l’absence d’indemnité due en conséquence. Dans ces hypothèses de fin de contrat difficile, la tentation sera grande pour les mandant d’orienter la rédaction du courrier de rupture ainsi, même si la gravité des fautes reprochées est a priori critiquable, espérant que l’après contrat permettra grâce à certaines « découvertes » de consolider les fautes visées au courrier…
Aymeric LOUVET