Publicité : La Cour d’Appel de Paris considère que la publicité pour l’alcool doit présenter un caractère objectif, informatif et ne pas être incitative
CA Paris, 18 janvier 2024, n°20/16596 ; ANPAA / Kronenbourg
Faits. La publicité pour la bière Grimbergen est à nouveau passée au crible des dispositions de la loi Evin (article L3323-4 du Code de la santé publique) à la demande de l’Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie (ANPAA), devenue Addictions France. Cette dernière considère en effet que les deux slogans « la flamme ne s’éteint jamais », « Ardet nec consumitur » et la représentation d’un phénix sont illicites. Arguments retenus par le Tribunal Judiciaire de Paris : la publicité est ainsi interdite sous astreinte sur tout support. Le brasseur fait appel.
Problème. Pour l’ANPAA toute publicité qui présente une boisson alcoolisée de manière valorisante ou incitative est interdite dès lors que cette dernière doit être purement descriptive et informative. De son côté, la société Kronenbourg distingue : d’un côté l’incitation à l’achat du produit, comme fonction de la publicité, qui ne peut être neutre et vise à lui donner une image valorisante ; de l’autre l’incitation à la consommation excessive d’alcool, prohibée par la loi Evin.
Solution. La Cour sanctionne à son tour cette publicité. Pour ce faire, cette dernière rappelle d’abord que si la publicité pour les boissons alcooliques est licite, « elle demeure limitée aux seules indications et références mentionnées à l'article L. 3323-4 précité, doit présenter un caractère objectif et informatif et ne pas être incitative […] Les possibilités d'expression des annonceurs sont donc restreintes par la loi Evin dont l'esprit n'a pas été modifié par l'adoption de la loi du 23 février 2005 ». Ce postulat établi, la Cour analyse la publicité litigieuse. Le slogan « 'la flamme ne s'éteint jamais' n'est pas une traduction littérale de la devise latine de l'abbaye 'Ardet nec Consumitur' se traduisant par 'il brûle et ne se consume pas' en référence à la résistance de l'abbaye et de ses moines en dépit des incendies et non avec la permanence des flammes qui évoque pour sa part les propriétés magiques du phénix […] l'utilisation du visuel du phénix vise à valoriser la boisson alcoolique ainsi que cela résulte de l'article intitulé : « Grimbergen de nouvelles ailes' ». Ce faisant, cette image du phénix peut faire naitre chez le consommateur l'idée que la bière Grimbergen pourrait lui être utile pour surmonter ses difficultés et comme l'oiseau imaginaire 'renaitre de ses cendres'. Elle fait appel à ses émotions en valorisant la consommation de cette boisson alcoolisée associée à un oiseau aux pouvoirs exceptionnels. Elle ne se limite pas aux indications objectives et informatives énumérées par la loi. Dès lors, le visuel de cet animal mythique associé au slogan 'la flamme ne s'éteint jamais' avec une flamme entourant un verre de bière a un caractère incitatif et non purement objectif et cette publicité contrevient donc aux restrictions législatives imposées par l'article L. 3323 ' 4 du code de la santé publique précité ».
Observations. La Cour d’appel de Paris, analysant et validant deux films publicitaires où apparaissait ledit phénix, avait retenu une interprétation libérale des conditions de la loi Evin (LD 03/2019, nos obs. CA Paris 13/12/2018, n°17/03352) opérant une distinction entre d’un côté les « informations purement objectives » à savoir la couleur, les caractéristiques olfactives et gustatives du produit et de l’autre « les indications qui laisseraient la place à l’imagination des concepteurs des messages publicitaires » telles que l’origine, la dénomination ou la composition du produit. La solution de cette même Cour est ici radicalement contraire. Il est vrai que dans l’intervalle la Cour de cassation avait cassé le premier arrêt cité et adopté une interprétation très stricte (Cass. 1re civ., 20/05/ 2020, n° 19-12.278)précisée par la Cour d’appel de renvoi (CA Versailles, 15 juin 2021, n°20/02757).
L’arrêt ici commenté n’est donc pas (seulement) l’effet du « Dry January » mais s’inscrit dans la droite ligne de ces décisions et traduit une évolution notable de la jurisprudence de la Cour d’Appel de Paris en un peu plus de cinq ans. Ce mouvement, défavorable à la publicité pour les alcools, laisse nombre d’interrogations en suspens. Que recouvre en effet ce caractère « objectif et informatif » des indications autorisées ? Est-il incompatible avec : toute part de fiction au sein de la publicité (pourtant admise : Cass. Crim., 15 mai 2012, n°11-83.686) ; toute référence à du son, de l’image pour figurer ces indications et références autorisées (comme le propose pourtant la Recommandation Alcool de l’ARPP) ? Enfin, comment comprendre que la « publicité pour les boissons alcooliques ne doit pas être incitative » ? S’agit-il de prohiber l’incitation à l’achat – essence même de toute publicité – ou de dénoncer l’incitation à la consommation ? Ces incertitudes génèrent une insécurité juridique et une absence de prévisibilité peu compatibles avec un texte sanctionné pénalement. La solution sécurisée pour les entreprises serait donc d’attendre l’interprétation subjective – et changeante – des juges pour espérer comprendre le périmètre de ces notions « objectives » ; et pendant ce temps-là ne plus communiquer !
Une autre approche nous parait possible ou du moins souhaitable. Ce que l’arrêt reproche à la société Kronenbourg c’est surtout de s’être détachée du produit pour promouvoir les effets de la boisson et des émotions qu’elle génère ; le produit (sa composition, son origine notamment) devenant quasiment accessoire. Il en va ainsi par exemple du slogan (« la flamme ne s’éteint jamais ») dont la Cour retient qu’il n’est pas la traduction de la devise latine ; traduction littérale (« il brûle et ne se consume pas ») qui elle renvoie en effet aux origines et à l’histoire du produit (l’abbaye détruite et reconstruite) et à un contenu théoriquement licite. Il s’agirait donc du seul chemin possible pour les publicitaires : limiter leur créativité aux seules informations objectives et non incitatives relatives au produit (indications et références autorisées).
Sauf à vouloir interdire en pratique toute publicité par l’effet de ces décisions incertaines, il serait néanmoins opportun que la Cour de cassation propose une grille de lecture plus claire et plus précise de ce texte.
A. Louvet
Article publié au sein de la Lettre de la Distribution et de la Revue Concurrences