Le cartel des endives mis hors de cause par la Cour d’appel de Paris eu égard aux spécificités du secteur agricole
CA Paris, 15 mai 2014, RG n°2012/06498
Rebondissement dans l’affaire du Cartel des endives : après la condamnation de producteurs d’endives et de plusieurs de leurs organisations professionnelles pour entente généralisée sur les prix et les volumes de production, par l’ADLC (DC n°12-D-08 du 6 mars 2012), la Cour d’appel de Paris annule cette décision en se fondant sur les particularités juridiques et économiques du secteur des fruits et légumes.
Dans cette affaire, les différents protagonistes s’étaient vu reprocher le maintien d’un prix de vente minimum à la production pour l’ensemble des variétés d’endives en cause, la coordination dans le temps des offres promotionnelles, des concertations sur les quantités d’endives mises sur le marché, la mise en place d’un système d’échange d’informations comme outil de contrôle des prix, des menaces et sanctions à l’encontre des producteurs qui ne respecteraient pas la politique tarifaire.
Ces pratiques, qui présentaient selon l’ADLC « un lien de complémentarité indéniable », ayant un « objectif unique » et un « mode opératoire commun », constituaient ainsi une entente généralisée sur les prix constitutive d’une entente complexe unique et continue sur la période considérée.
La Cour d’appel considère que les mécanismes de régulation instaurés par le règlement relatif à l’Organisation Commune des Marchés (OCM), ainsi que celles du code rural, dans le cadre général européen de la PAC applicables au secteur des fruits et légumes pendant la quasi-totalité de la période visée par la notification des griefs, « tendant notamment à assurer un niveau de vie équitable à la population agricole et à stabiliser les marchés » qui ont confié aux OP et aux AOP des missions concernant notamment « la régularisation des prix dans une optique de gestion de l’offre », s’inscrivent dans le cadre de règles dérogatoires au droit des pratiques anticoncurrentielles. Sur ce fondement, elle décide que l’Autorité n’a pas établi à suffisance de droit que les organisations mises en cause ont mis en place des pratiques outrepassant les limites des missions légales qui leur étaient attribuées à ce titre.
Ainsi, la Cour constate que la fixation d’un prix minimum dit « prix de retrait » résultait de l’application des articles L 551-1 et L 552-1 C. rur. et était justifiée au regard des difficultés procédant de prix à la production dont le bas niveau n’était pas de nature à permettre aux producteurs d’endives « un revenu équitable » selon l’objectif poursuivi par la PAC. Ou encore, la Cour ne perçoit pas, à la différence de l’Autorité, dans le système d’information Infocl@r un mécanisme d’échanges d’information stratégiques servant à mettre en place une police des prix. Elle y voit un système d’échange d’informations nécessaire à la réalisation des missions de programmation et d’adaptation de la production à la demande et de régularisation des prix en vertu des dispositions de l’OCM unique et du code rural dont notamment l’article L. 551-1 leur permettaient « d’édicter des règles destinées à instaurer la transparence des transactions et régulariser les cours ». La Cour rejette en outre le caractère « complexe, unique et continue » de l’entente telle que caractérisée par l’Autorité, eu égard à l’absence de démonstration de la poursuite d’un objectif anticoncurrentiel unique pendant toute la durée des pratiques. En effet, le mode opératoire commun ne pouvait ressortir des contacts réguliers entre les producteurs d’endives et les organismes professionnels dès lors que les missions mêmes de ces organismes auxquels les parties étaient tenues d’adhérer impliquaient nécessairement de tels échanges.
Cet arrêt intervient dans un contexte particulier dans lequel est encouragé le regroupement de producteurs et la négociation collective des prix (rappr. LD mars 2014, Focus). En effet, le nouveau Règlement OCM entré en vigueur le 1er janvier 2014 prévoit la suppression du critère relatif à l’absence de position dominante pour la constitution d’organisations de producteurs et assouplit les conditions de négociations collectives des prix au sein des organisations de producteurs dans le secteur laitier, de l’huile d’olive, des céréales ou de la viande bovine. L’ADLC, dans son avis du 14 février 2014 (LD mars 2014) préconise l’extension de ces dispositions au secteur des fruits et légumes et encourage fortement la concentration de l’offre pour équilibrer les négociations face au pouvoir d’achat de la grande distribution.
Il est à rappeler la spécificité du secteur agricole car les circonstances liées aux difficultés économiques rencontrées par les opérateurs ne sont, en principe, jamais de nature à justifier un cartel (voir notamment dans le secteur du négoce de produits sidérurgiques, CA Paris, 19 janv. 2010, n° RG : 2009/00334).
Karine BIANCONE