Les ventes en ligne sur les sites de « marketplace » doivent-elles faire l’objet de conditions d’agrément spécifiques ?
ADLC, 23 juillet 2014, décision n° 14-D-07
Saisie une nouvelle fois par une plainte de la SARL Concurrence, célèbre revendeur de produits électroniques grand public à prix discount, contre des pratiques mises en œuvre par la société Samsung, l’Autorité de la concurrence a été amenée à se prononcer, notamment, sur l’interdiction faite aux distributeurs sélectionnés de commercialiser les produits contractuels sur des sites de « marketplace » ou places de marché.
Samsung avait en effet insérer dans ses contrats de distribution sélective une clause d’interdiction générale des ventes sur les sites internet non agréés et/ou sur tout site tiers, notamment de « marketplace ». Samsung avait par ailleurs établi des conditions générales d’agrément pour les sites internet mais n’avait formulé aucune condition concernant les sites tiers ou de « marketplace ».
Les lignes directrices de la Commission Européenne sur les restrictions de concurrences (n° C 130/14), sont venues préciser que les ventes sur internet constituent des ventes passives et que leur interdiction qualifie une restriction caractérisée de concurrence au sens du règlement d’exemption par catégorie (UE) n°330/2010 sur les restrictions verticales. Toutefois, les lignes directrices précisent que les pratiques visant pour un promoteur de réseau « d’imposer des normes de qualité pour l’utilisation du site internet aux fins de la vente de ses produits, comme il le ferait pour un magasin, un catalogue, une annonce publicitaire ou une action de promotion en général » entrent dans le cadre de l’exemption.
Ainsi, « le fournisseur peut exiger que ses distributeurs ne recourent à des plateformes tierces pour distribuer les produits contractuels que dans le respect des normes et conditions qu’il a convenues avec eux pour l’utilisation d’Internet par les distributeurs » (point 54). Après avoir rappelé qu’« un fabricant est libre d’organiser le mode de distribution de ses produits, sous réserve que celui-ci n’ait pas pour objet ou pour effet de porter atteinte à la concurrence », l’Autorité décide que l’absence de stipulations dans les contrats liant Samsung à ses distributeurs, concernant les sites tiers ou de « marketplaces », « de nature à tempérer l’interdiction de leur utilisation » mérite une analyse approfondie car « il n’est pas exclu que l’ensemble de ces éléments […] puisse révéler des indices de restrictions verticales sur les ventes actives et passives des détaillants actifs sur le marché pertinent » (point 186 de la décision).
L’Autorité décide donc de poursuivre l’instruction, sans pour autant faire droit aux demandes de mesures conservatoires formulées par la SARL CONCURRENCES visant notamment à enjoindre à Samsung à modifier ses contrats ou à adresser une circulaire « stipulant des termes clairs et dépourvus de réserves » les conditions auxquelles les distributeurs agréés ont la possibilité de vendre sur des places de marché, dans le cadre autorisé par la jurisprudence et les lignes directrices.
L’Autorité de la concurrence, est favorable à la commercialisation de produits via des « marketplaces », puisqu’elle en soulignait déjà en 2012 « les effets pro-concurrentiels » dans la mesure où elles permettent une « réduction de barrières à l’entrée » du secteur du commerce électronique et une « extension de l’offre proposée en ligne » (ADLC avis n°12-D-20 du 18 septembre 2012 relatif au fonctionnement concurrentiel du commerce électronique). A ce sujet, le Conseil de la concurrence avait déjà considéré que « les sites de marketplaces avaient la capacité de satisfaire aux critères qualitatifs des produits, par exemple par la création de boutiques virtuelles réservées aux vendeurs agréés » (C.C. déc. N°07-D-07 du 8 mars 2007 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution des produits cosmétiques et d’hygiène corporelle).
En attendant la suite de cette affaire, et compte tenu des risques encourus, il est fortement préconisé aux promoteurs de réseaux souhaitant limiter les ventes opérées par leurs distributeurs agréés par l’intermédiaire des sites de « marketplace » ou site tiers, de stipuler des conditions d’agrément spécifiques, en exigeant la création d’une boutique virtuelle respectant les critères qualitatifs conditionnant la vente desdits produits sur une place de marché, voire également en imposant un accès des clients à la boutique via un site qui ne porte pas le nom ou le logo de la plateforme tierce (cf. point 54 des lignes directrices). Il est à souligner que ces pratiques demeurent licites a priori pour un promoteur de réseau et un distributeur agréé détenant respectivement une part de marché inférieure à 30 % du marché concerné (cf. art. 3, §1 du règlement (UE) n° 330/2010).
Karine BIANCONE