Plaisirs et
déplaisirs du vin : l’agent-caviste déguste…
[CA Paris, 3
février 2022, n°19/07328]
Le Château du
Tariquet produit et commercialise du vin en IGP Côtes de Gascogne. Parmi ses
clients, la société BR est caviste sous l’enseigne « Les Plaisirs du vin ».
Client qui
devient, dans un second temps, son agent commercial et se voit confier le
développement des ventes auprès d’autres cavistes de son secteur. Un contrat
d’agent est conclu à cet effet.
Au titre de
cette mission, la société BR est commissionnée sur les ventes réalisées auprès
des clients apportés mais également au titre de ses propres achats pour son
activité de caviste.
Après quelques
années de relations, le Château du Tariquet cesse de régler cette commission et
fait application d’un taux de remise équivalent.
La société BR
ne l’entend pas ainsi et saisit le Tribunal de grande instance de Bordeaux pour
obtenir la résiliation judiciaire du contrat aux torts du Château Tariquet et
l’indemnisation de son préjudice.
Sur la
qualification de la relation commerciale
La société BR
considère d’abord que la totalité de la relation relève du régime juridique des
agents commerciaux. Objectif : obtenir une indemnité déterminée non seulement
sur le chiffre d’affaires des commissions mais aussi des ventes.
La Cour d’Appel
rejette cette demande. Pour ce faire, cette dernière analyse le contrat d’agent
commercial ainsi que l’attestation de l’expert-comptable de la société BR, pour
en conclure que « des ventes de produits de la société Tariquet ont donc été
conclues par la société BR en dehors du champ d’application du contrat d’agent
commercial. La société BR ne justifie pas que l’ensemble de son activité
commerciale portant sur les produits de la société Tariquet ait relevé, à
partir de 2006, du statut de l’agent commercial, alors qu’elle exerçait une
activité de grossiste en développant une clientèle propre, ce qu’elle reconnait
dans ses écritures ».
Les relations
commerciales entre les parties et donc les régimes juridiques sont donc doubles
: d’une part une activité de grossiste – sans contrat écrit – et d’autre part
un contrat d’agent commercial.
Sur les
inexécutions déloyales
La société BR
reproche plusieurs fautes à son mandant dont la suppression par ce dernier de
la commission de 10% qu’il percevait sur ses propres achats pour l’activité de
caviste ; commission remplacée par une remise de 10% sur ses commandes. Cet
argument ne convainc pas la Cour.
Cette dernière
écarte en effet toute déloyauté dès lors que le Château du Tariquet a proposé
cette modification sans l’imposer « et si la société BR l’a refusé dans un
premier temps, elle s’y est par la suite conformée ».
Attention, ce
premier motif reste fragile. En effet, si cette substitution a été tacitement
appliquée par l’agent pendant deux ans, elle ne vaut pas forcément acceptation
expresse de la modification en l’absence d’avenant exprès et écrit (CA
Besançon, 17/05/2016, n°14/02319).
Surtout, pour
la Cour « la société Tariquet a entendu corriger une anomalie comptable et
fiscale résultant de la facturation par ses agents commerciaux de commissions
de 10% sur les ventes de produits de la société Tariquet réalisées directement
pour leurs propres comptes ».
Cette
modification était donc « destinée à mettre en conformité les facturations avec
les dispositions de l’article L. 441-3 et L. 442-6 I 1° du code de commerce
dans leur rédaction applicable ».
Cette situation
de l’agent commercial commissionné, y compris sur ses propres achats, n’est en
pratique pas rare.
Pour en sortir,
le Château du Tariquet s’est donc habilement et efficacement fondé sur : la
prohibition des pratiques restrictives de concurrence, autrement dit l’absence
de contrepartie aux 10% de commissions versés ; son obligation légale de faire
apparaitre sur la facture de vente les remises acquises à son client caviste.
Il est vrai que
l’agent avait du mal à démontrer, dans cette hypothèse, s’être auto-convaincu
de passer des commandes pour son compte…
L’ensemble des
demandes de l’agent sont ainsi rejetées.
Heureusement
pour lui, « le vin console les tristes, rajeunit les vieux, inspire les jeunes
et soulage les déprimés du poids de leurs soucis » (Lord Byron).
Plutôt brune
ou blonde ? Plutôt déplacée !
[Jury de
Déontologie Publicitaire (JDP), Avis du 29 novembre 2021]
Le Jury de
Déontologie Publicitaire a été saisi d’une plainte émanant d’un particulier
concernant la publicité ci-dessus de la Ville de Béziers destinée à promouvoir
la fête de la bière.
Selon le
plaignant, cette publicité relègue la femme à un objet de consommation, par
comparaison de la couleur de la chevelure des femmes représentées avec des
catégories de bière. Celui-ci considère également que l’affiche publicitaire
promeut l’image des femmes comme objet sexuel et disponible dont le seul but
est « d’assouvir le besoin de consommation des utilisateurs ».
Cette affiche
contribuerait enfin à la réification des stéréotypes féminins et est le symbole
d’une injonction de la société à la beauté et à la séduction pour les femmes,
ce qui est « sans rapport avec l’objet ou le service promu par la publicité ».
En réponse, la
Ville de Béziers soutient au contraire qu’il s’agit de mettre seulement en
exergue la coloration de cheveux de ces femmes dans un cadre humoristique et
non d’une propagande sexiste.
Le JDP rappelle
d’abord les dispositions de la Recommandation « Image et respect de la personne
» de l’ARPP :
- Point 1.1. :
« La publicité ne doit pas être susceptible de heurter la sensibilité ou de
choquer le public en propageant une image de la personne humaine portant
atteinte à sa dignité et à la décence » ;
- Point 2.1. :
« La publicité ne doit pas réduire les personnes humaines, et en particulier
les femmes, à la fonction d’objet ».
- Point 4.1. :
« La publicité doit éviter d’induire une idée de soumission ou de dépendance
dévalorisant la personne humaine et en particulier les femmes ».
Ainsi, cette
publicité ne méconnait pas les points 1.1. et 4.1. de ladite Recommandation.
Selon le Jury, « ni les vêtements ni les postures [présentations folkloriques
de deux personnes en tenue traditionnelle de provinces d’Allemagne, lieu de
production de bière mondialement connu] ne peuvent être considérées comme
indécentes ou comme induisant une idée de soumission ou de dépendance ». Ces
derniers sont en effet en lien avec le message de promotion de la fête de la
bière.
En revanche,
l’avis considère comme contraire au point 2.1 cette publicité, dès lors que le
titre, « Plutôt brune ou blonde ? » « associe le choix d’une nature de bière à
celle de la serveuse correspondante et renvoie à l’idée dévalorisante d’une
femme objet de consommation, sinon d’objet sexuel ».
Également,
l’affiche revoie à « des stéréotypes sexistes encore ancrés dans beaucoup
d’esprits quant à la place des femmes dans la société, et contribue à les
perpétuer ». Cette publicité méconnaît donc le point 2.1 de la Recommandation «
Image et respect de la personne » de l’ARPP.
ROGUE/DOMAINE
ROGUE
[OPP 18/5246 du
22/12/2021]
La société
OREGON BREWING COMPANY, société de droit américain, est titulaire de la marque
verbale de l’Union Européenne « ROGUE
Elle forme
opposition à la demande d’enregistrement de la marque verbale DOMAINE ROGUE. Ce
contentieux d’opposition n’est pas lié aux aventures de Harry Potter mais aux «
Boissons alcoolisées (à l'exception des bières et des vins) ; vins
d'appellation d'origine protégée ; vins à indication géographique protégée »
désignées par la marque seconde.
➢
Sur la comparaison des produits
La marque
antérieure ayant été enregistrée pour les produits suivants : « Boissons
maltées, À savoir Bières blondes, Bières et Vin d'orge », l’INPI conclut que
les produits sont similaires.
➢
Sur la comparaison des signes
Tout d’abord,
l’INPI relève que les deux signes ont en commun le terme « ROGUE » qui est
distinctif au regard des produits en cause et présente un caractère dominant.
Le terme «
DOMAINE » du signe contesté est d’usage banal dans le domaine viti-vinicole et
dépourvu de caractère distinctif en ce qu’il fait partie des termes réservés à
certaines catégories de vins par la législation viti-vinicole.
Il existe donc
un risque d’association et de confusion pour le consommateur, notamment car le
signe contesté peut être perçu comme une déclinaison de la marque antérieure.
➢
L’INPI conclut à une imitation de la marque antérieure « ROGUE » par la marque
contestée « DOMAINE ROGUE » et rejette la demande d’enregistrement.
« Ô la belle
vie »… LA BELLE VIE / LA BELLE VIE AIX EN PROVENCE
[CA Aix-en-Provence, 3 février 2022,
n°21/07946]
Ce contentieux
d’opposition ne s’intéresse pas au titre de la chanson éponyme mais à la marque
verbale LA BELLE VIE déposée en classe 33 « boissons alcoolisées à l’exception
des bières ; vins » par la société GRANDS VINS DE GIRONDE.
Elle a formé
opposition à la demande d’enregistrement du signe semi-figuratif LA BELLE VIE
AIX EN PROVENCE par Madame L. pour désigner, entre autres, la classe 33.
Par décision en
date du 29 avril 2021, l’INPI a fait droit à la demande d’opposition de la
société GRANDS VINS DE GIRONDE et rejeté la demande d’enregistrement pour
l’ensemble des produits désignés.
Madame L. fait
appel de cette décision.
A l’appui de sa
demande d’annulation de la décision de l’INPI, cette dernière soutient qu’il
n’existe aucun risque de confusion entre les deux signes notamment en ce que le
terme dominant dans la marque dont elle souhaite l’enregistrement est le terme
AIX. Le signe doit donc, selon elle, être apprécié dans sa globalité. Elle
indique également que le public pertinent, en tant qu’amateur de vins, est
habitué à distinguer les marques composées partiellement de mêmes termes.
La Cour d’Appel
précise tout d’abord que la similitude entre les produits n’est pas contestée
ou contestable.
Cette dernière effectue ensuite l’analyse du
risque de confusion entre les deux signes :
- Concernant
l’appréciation des signes dans leur globalité : si le terme AIX est
visuellement plus apparent au sein de la marque LA BELLE VIE AIX EN PROVENCE,
il n’en demeure pas moins que le terme AIX EN PROVENCE est spontanément perçu
par le consommateur comme une indication d’origine géographique. Ce faisant, au
vu du caractère distinctif et dominant du signe LA BELLE VIE, les différences
de calligraphie et la présence du terme AIX EN PROVENCE ne sont pas de nature à
influer sur l’appréciation globale par le consommateur des deux marques.
- Concernant le public pertinent : le
terme AIX EN PROVENCE renvoie, pour le public amateur de vins, à une indication
géographique. Ainsi, ce public pourrait interpréter le signe LA BELLE VIE AIX
EN PROVENCE comme une déclinaison de la marque LA BELLE VIE pour les produits
viticoles de la région aixoise.
➢
Ce faisant, la Cour d’Appel conclut au risque de confusion entre les deux
signes, confirme la décision de l’INPI et valide la décision de rejet
d’enregistrement de la marque LA BELLE VIE AIX EN PROVENCE.
CORAVIN /
CORA WINE
[Décision
statuant sur une demande de déchéance – DC20-0096 du 1er décembre 2021]
La société
CORAVIN, société de droit américain, titulaire de la marque CORAVIN, a présenté
une demande de déchéance contre la marque Cora Wine dont la société DELFIPAR
est titulaire.
Cette marque a
été déposée pour les produits et services suivants :
- Classe 11 :
Appareils et installation de climatisation ; armoires réfrigérées ou
climatisées pour la conservation des vins, alcools…
- Classe 20 :
Meubles et armoires destinés au traitement, à la présentation, au stockage, à
la conservation de vins, alcools…
- Classe 21 : Corbeilles de service du vin,
ouvre-bouteille électrique et non électrique,
carafes de décorations…
- Classe 35 : Service de vente au détail des
produits suivants : vins, vins sans alcool, boissons à base de vin, cocktails
de vins préparés…
Demande qui
visant donc à priver la société DELFIPAR des droits sur sa marque en l’absence
de preuve d’usage sérieux de la marque Cora Wine.
L’INPI rappelle
tout d’abord que la déchéance s’applique si la marque n’a pas fait l’objet d’un
usage sérieux en France pour les produits ou services pour lesquels elle est
enregistrée pendant une période ininterrompue de 5 ans (article L. 714-5 du
Code de la propriété intellectuelle).
La preuve de
l’usage doit ainsi porter sur la période, le lieu, l’importance et la nature de
l’usage qui a été fait de la marque en relation avec les produits et services
pertinents.
Plus
particulièrement sur la nature et l’importance de l’usage, il convient de
démontrer que la marque contestée est utilisée en tant que marque, qu’elle
permet au public pertinent de faire la distinction entre les produits et
services de sources différentes mais aussi qu’elle est utilisée telle qu’elle a
été enregistrée, ou sous une forme modifiée qui n’altère pas le caractère
distinctif de la marque contestée.
En l’espèce, la
marque CORA WINE contestée était utilisée sous d’autres formes. Donc une
utilisation distincte de la marque déposée.
Néanmoins,
selon l’INPI, c’est le terme « CORA » qui est distinctif. La différence de
format, de couleurs ainsi que l’ajout du terme « wine » n’en altère donc pas le
caractère distinctif.
Après analyse
des produits pour lesquels la marque a été enregistrée, l’INPI conclut à un
usage sérieux pour les « services de vente au détail des produits suivants :
vin », donc pour les produits de la classe 35.
En revanche,
pour tous les autres produits et services pour lesquels la marque avait été
enregistrée (classes 11, 20 et 21), elle prononce la déchéance de la marque.