Investir dans le vin et lire entre les lignes…
[CA, Aix-en-Provence, 19/01/2023, n°19/15393]
Le site internet de la SAS Patriwine sélectionne des grands crus et propose aux particuliers d’investir et de gérer leurs caves personnelles.
Une fois l’investissement effectué, le client peut soit consommer son vin et donc se faire livrer, soit le revendre.
L’un des clients investisseurs de Patriwine, a retenu cette seconde option et a souhaité vendre ses vins directement à la plateforme.
Pour ce faire, il se fondait sur un document reçu avant la conclusion du contrat intitulé « Inverstir avec Patriwine » et qui précisait « pour une raison d'urgence par exemple, vous demandez à Patriwine de racheter elle-même vos vins ».
Refus de la plateforme qui lui oppose ses Conditions Générales de Vente (CGV) qui précisent : « en cas d'urgence, vous pouvez proposer la vente de tout ou partie de votre cave patrimoniale à Patriwine qui sera libre d'accepter ou de refuser ».
En première instance, le client obtient gain de cause.
En appel, en revanche, il en va différemment.
La Cour relève d’abord que "les copies d'écran produites aux débats montrent que la commande était subordonnée à la reconnaissance par le client de la lecture des conditions générales et à leur acceptation".
Il en résulte que le client, en acceptant la commande, a consenti aux conditions générales de ventes, et qu'il ne peut ainsi pas valablement contester leur existence.
Ce faisant, la plateforme semble pouvoir opposer ses CGV.
Problème, elle n’arrive pas à démontrer la version qui a été acceptée par le client.
Les CGV de Patriwine sont donc écartées.
Reste en conséquence le document précontractuel « Investir avec Patriwine » pour apprécier les obligations éventuelles de rachat du site.
Or, pour écarter les demandes du client, la Cour analyse les termes de cette publicité et retient que les mots « " vous demandez " impliquent nécessairement une réponse de Patriwine, sans que ce texte ne préjuge d'une réponse nécessairement positive ».
Et la Cour d’en conclure que la société Patriwine n'avait donc pas l'obligation d'acquérir les vins du client dont les demandes sont rejetées.
Une « bouillie » d’information : le vendeur de produits phytosanitaires condamné !
[CA, Lyon, 13/12/2022, n°21/02568]
Les domaines Jacques Etienne achètent de la bouillie pour traiter des vignes du Beaujolais ; bouillie qui contient deux produits dont le Spirox.
Après avoir effectué le traitement, l'exploitante viticole constate d'importantes brulures sur son raisin blanc ayant entrainé une perte de récolte.
Afin de faire réparer son préjudice, cette dernière assigne le vendeur et le fabriquant de la bouillie.
Elle se fonde à cet effet sur le manquement du vendeur à son obligation d’information.
En réponse, les défendeurs font valoir que l’exploitante est une professionnelle du secteur, ce qui lui permet d’apprécier les caractéristiques techniques du matériel vendu.
Ainsi, cette dernière ne pouvait – comme elle l’a fait – appliquer le produit avec un atomiseur à dos ou avec des dosages différents. Elle était donc seule à l’origine des effets indésirables sur le raisin.
La problématique à laquelle doit répondre la Cour est donc celle de la portée de l’obligation d’information du vendeur préalablement à la vente.
La Cour relève d’abord que l’activité d’exploitante viticole ne confère pas le statut de spécialiste des produits phytosanitaires.
Ce faisant, ce client ne disposait pas de la compétence suffisante pour apprécier la portée exacte des caractéristiques techniques du produit acheté.
Dès lors, au regard de la complexité de la bouillie en question, le vendeur professionnel devait "être particulièrement éclairant sur l'adaptation du produit vendu à l'usage auquel le destinait l'exploitante". Le professionnel aurait donc dû anticiper les besoins de l'exploitante, et lui conseiller de ne pas appliquer le produit avec un atomiseur à dos, ou avec des dosages différents.
Et la Cour d’en conclure que le vendeur professionnel n'a pas rempli son obligation d'information, et doit indemniser l'acheteuse au titre de "la perte de récolte de 2 400 litres, soit l'équivalent de 3 200 bouteilles […] » soit 23 456 euros de dommages et intérêts
Baron et Baronnesse de Clermont oxydés : négociant recalé !
[CA Nîmes, 11/01/2023, n°21/00579]
La société Mon Territoire Envoutant International (MTEI) est spécialisée dans la vente de vins français à l'étranger.
Cette dernière achète ainsi à la société Du Grand Bourry (DGB), grossiste, du vin en bouteille et le revend sous marque Baron de Clermont et Baronnesse de Clermont à un client chinois.
Rapidement, ce client se plaint de la qualité de ce vin qui se serait oxydé. MTEI sollicite en conséquence de son grossiste le remboursement d'une partie du prix payé.
Le grossiste essaie de trouver une issue amiable. Mais, actant l’échec de cette voie, refuse et demande le paiement des factures impayées.
Mécontente, MTEI saisit le tribunal de commerce de Nîmes pour obtenir réparation de son préjudice. Cette dernière fait ainsi valoir que la livraison des bouteilles n’était pas conforme, dès lors que la qualité du vin a été altérée à cause d’une mauvaise qualité de bouchon.
Ces demandes sont rejetées en première instance et en appel.
Pour ce faire, la Cour d'appel relève d’abord que les messages échangés entre les parties ne permettent pas, au regard d'un manque de clarté, d'affirmer que le grossiste a reconnu l'existence d'un vice de ses bouchons.
Par ailleurs, le fait pour la société DGB de vouloir trouver un arrangement pour indemniser la société MTEI d'une partie de ses pertes ne permet pas de prouver la reconnaissance suffisante de responsabilité de l'intimé.
Et la Cour d’en conclure que MTEI ne rapporte pas la preuve d'une reconnaissance suffisante de sa responsabilité par la société DGB.
S'agissant de l'obligation de délivrance du vendeur, la Cour rappelle que le transfert des risques à la société MTEI "n'exonérait pas le grossiste de son obligation de livrer une marchandise conforme aux caractéristiques convenues entre les parties".
Or, le cahier des charges du négociant en vin, signé par le grossiste, "mentionnait que les bouteilles Baron de Clermont et Baronnesse de Clermont étaient destinées à être expédiées en Chine et qu'il était exigé des bouchons de bonne qualité et résistant aux longs voyages".
Néanmoins, en absence de résultat d'analyse ou de mesures d'expertise contradictoire, la Cour considère qu’il n'est pas établi que les bouchons ne présentaient pas la qualité de résidence prévue, ni même que l'oxydation du vin provienne de la défectuosité des bouchons.
DOMAINES OTT / OTT OTHER THE TOP
[INPI, 18/12/2022, n°OP 22-2036]
Le titulaire des marques verbales "domaines OTT" déposée en 2005 et régulièrement renouvelée, et de la marque complexe "domaines OTT" déposée en 2016, s'oppose au dépôt de la marque "OTT OTHER THE TOP" au regard d'un risque de confusion.
Pour rejeter cette demande d’enregistrement, l'INPI relève d’abord que la marque "OTT OTHER THE TOP" est constituée de quatre éléments verbaux, et la marque "Domaines OTT" de deux éléments verbaux.
Ainsi, les signes présentent en commun le terme identique OTT, ce qui leur confère des ressemblances visuelles et phonétiques.
De plus, au sein de la marque "OTT OTHER THE TOP", le mot "OTT" est en attaque de la marque, en majuscule, et constitue l'initiale des trois mots suivants Ce faisant, le mot "OTT" est l'élément phonétique le plus important de cette marque, terme auquel le consommateur se réfère.
En conséquence, "il existe globalement un risque de confusion sur l'origine de ces marques par le consommateur".
Le signe verbal "OTT OTHER THE TOP" ne peut donc pas être adopté comme marque pour désigner des produits identiques à ceux des marques "Domaines OTT" sans porter atteinte aux droits antérieurs de la société opposante.
[CA Bordeaux, 31/01/2023, n°20/01139]
La société Chateau AUSONE est titulaire de droits exclusifs de licence sur la marque verbale française "CHATEAU AUSONE", déposée en France et renouvelée, ainsi que la marque semi-figurative également déposée et renouvelée et enfin de la marque communautaire enregistrée.
Cette société découvre que la société Mure et Peyrot, spécialisée dans la création, la fabrication et la commercialisation de lames industrielles, utilise le terme "AUSONE" pour désigner des couteaux industriels. La société Chateau AUSONE assigne la société Mure et Peyrot devant le tribunal de grande instance de Bordeaux en contrefaçon.
En réponse, la société défenderesse lui oppose une fin de non-recevoir pour défaut de qualité à agir.
Autrement dit, la société se fonde sur les contrats de licence sur la marque CHATEAU AUSONE mais ne démontre pas avoir effectué les procédures d’inscription nécessaires desdits contrats pour que ces licences soient opposables.
Or, ces formalités sont une condition de l’action en contrefaçon.
Défense efficace.
La Cour d’Appel relève en effet en premier lieu si que le contrat de licence des deux marques françaises a régulièrement été inscrit au registre national des marques (RNM), aucun contrat de licence relatif à la marque européenne n’est produit, et le certificat de propriété INPI y afférent ne mentionne aucune cession de licence.
En second lieu, concernant les marques françaises, la Cour constate qu'aucune inscription au RNM de l'avenant actant le transfert de droits sur ces dernières n'avait été effectuée.
Formalité pourtant nécessaire pour rendre opposable aux tiers les modifications de la propriété d'une marque ou de la jouissance des droits qui lui sont attachés. Ainsi, faute de preuve de l'inscription de l'avenant au RNM, la société Chateau Ausone est dépourvue de qualité pour agir en contrefaçon contre la société Mure et Peyrot.
Ses demandes sont rejetées.
→ Morale : la réaction épidermique à une violation de ses droits de propriété intellectuelle et industrielle est à déconseiller. Au préalable, un temps doit être accordé à bien s’assurer de la pertinence et de l’efficacité juridique des droits que l’on va opposer, sous peine de déconvenues majeures…
[CA Bourges, 16/02/23, n°22/00002]
La SARL Domaines et Vignobles Associés est liée par un contrat d’agence commercial avec la Société la ferme du X, son mandant. Cette dernière a pour mission de développer les ventes de vins en Asie, Europe de l’Est, Moyen-Orient et Inde.
Considérant le développement insuffisant, le mandant informe son agent de sa décision de confier l'organisation de la distribution à un bureau de représentation basé en Asie pour la Chine et donc qu’elle lui retire le secteur de l’Asie.
En réponse, l’agent considère qu’il s’agit d’une rupture du contrat et demande le règlement des indemnités légales et des dommages et intérêts pour rupture abusive et vexatoire.
Condamné en première instance, le mandant interjette appel de la décision et justifie sa décision par l’échec commercial de l’agent.
S’agissant de l’imputabilité de la rupture du contrat d’agence commercial, la Cour considère le retrait du secteur de l’Asie comme une modification substantielle du périmètre géographique du mandat exclusif et donc du contrat.
Modification de l’économie du contrat qui ne permet donc plus à l’agent d’être en mesure d’exécuter son mandat. Ce d’autant que « la seule invocation de difficultés d'implantation en Asie ne saurait suffire pour justifier une faute ».
En conséquence, la Cour confirme qu’il s’agit d’une rupture unilatérale du contrat d’agence commercial à l’initiative du mandant, sans qu’aucune justification ne soit valable.
S’agissant des indemnités résultant de la rupture du contrat par le mandant, la Cour alloue une indemnité de fin de contrat ainsi qu’une indemnité de préavis à l’agent au regard de son statut, à l’instar des juges du tribunal de première instance.
L’indemnité de fin de contrat est ainsi fixée à trois années de commissions, soit 15 161 euros.
Montant assez rare – ici inexpliqué – habituellement fixé à deux années de commissions.
Plus étonnant encore, la Cour retient la réparation du préjudice subi lié à la rupture abusive du contrat au visa de l’action en rupture brutale des relations (article L 442-1-II du code de commerce). Il s’agit d’une erreur de droit.
La Cour a en effet confondu – bien aidée par l’agent – rupture brutale (préavis insuffisant ; ici inapplicable) et rupture abusive (caractère vexatoire de la rupture par exemple).
La rupture abusive est en effet fondée sur les dispositions du droit commun des contrats et non les dispositions spéciales relatives à la rupture brutale...
Ce d’autant que la jurisprudence constante de la Cour de cassation est sur ce point très claire : les dispositions spécifiques précitées relatives à la rupture brutale des relations commerciales ne s’appliquent pas aux agents commerciaux !
→ A la lecture de cette décision, force est de constater qu’il est parfois difficile aux sociétés mandantes en lien contractuel avec un agent commercial, d’anticiper le risque lié à une réorganisation de sa distribution et au contentieux qui pourrait en être la conséquence…