« Do you, do you, do you Saint Tropez » : des références à Saint Tropez à supprimer !
[TA Toulon, 6 octobre 2022, n°1903489]
L’entreprise Vins Chevron Villette exploite la marque « Do You Tropez » pour commercialiser des vins sous l’AOP Côtes de Provence.
Suite à un contrôle, les agents de la DIRECCTE ont adressé une lettre de pré-injonction qui invitait cette société à supprimer sur les étiquetages des vins commercialisés avec la marque « Do You Tropez », la référence à l’unité géographique « Tropez » considérant qu’elle conduit le consommateur en erreur, et à apposer une indication relative à l’embouteilleur.
Malgré les observations en réponse du domaine, une mesure de police administrative définitive portant injonction de se conformer à ses obligations est rendue. La société conteste ladite mesure par voie de requête devant le tribunal administratif de Toulon.
Le décret étiquetage du 4 mai 2012 un vin bénéficiant d’une AOP ou d’une IGP peut mentionner le nom d’une unité géographique plus petite que la zone de l’AOP ou de l’IGP, à condition que :
- les raisins à partir desquels les vins ont été obtenus proviennent de cette unité,
- cette unité doit être prévue dans le cahier des charges de l’AOP ou de l’IGP.
Or, le Tribunal relève que le cahier des charges de l’AOP « Côtes de Provence » ne mentionne que quatre unités géographiques plus petite (à savoir : Sainte-Victoire, Fréjus, Pierrefeu et La Londe), St Tropez n’en faisant pas parti. L’une des conditions légales n’est donc pas remplie.
De plus, rien n’établit que ces vins résultent de la vinification de raisins provenant exclusivement des vignes situées sur le territoire de St Tropez. L’autre condition légale n’est donc pas justifiée.
Ce faisant, pour le Tribunal les diverses références à la commune de St Tropez sur les bouteilles (le clocher de l’église, le phare du port) conduisent nécessairement le consommateur en erreur en identifiant le golfe de St Tropez comme étant la provenance géographique de ces vins.
Les juges rejettent la requête et confirment en conséquence l’injonction qui a été faite de supprimer toute référence à cette unité géographique sur ses bouteilles.
Mais un appel est toujours possible. A suivre…
Fleury Wines, Jardin Fleury, Jean Fleury… pas de risque de confusion !
[CA Bordeaux, 20 septembre 2022, n°21/02532]
Le titulaire des marques françaises Fleury Wines et Jean Fleury s’oppose au dépôt de la marque internationale désignant la France Jardin Fleury.
Cette marque est déposée pour couvrir notamment les produits et services suivant « vins bénéficiant de l'appellation d'origine protégée 'fleurie' ; services d'agences d'import-export ; démonstration de produits ; études portant sur les marchés ; informations professionnelles ; informations et conseils commerciaux aux consommateurs pour le choix de produits et services ; services de mise à jour de matériel publicitaire ; organisation d'expositions à des fins commerciales ou publicitaires ».
L’l’INPI rejette cette opposition considérant qu’il n’existe pas de risque de confusion entre ces anciennes marques et la nouvelle.
En appel, la cour analyse classiquement le public visé par les marques, et compare les produits et services couverts par ces marques, afin d’apprécier le risque de confusion.
Concernant le public visé, et contrairement à ce que soutient l’opposant, le public pertinent n’est pas composé du grand public francophone d’attention moyenne, regroupant des consommateurs normalement informés et raisonnablement attentifs et avisés.
En effet, au regard des services visés, le public pertinent est un public de professionnel du secteur viticole qui est plus averti et fait preuve d’une vigilance accrue, contrairement au consommateur d’attention moyenne. Ce faisant, l’appréciation du risque de confusion doit se faire au regard d’un public de professionnels avertis.
Concernant la comparaison des produits et services, la Cour procède en deux temps :
- Les signes JARDIN Fleury et Fleury WINES : présentent des différences visuelles (la couleur et le sens des lettres W et E dans WINES) et phonétiques (le nombre de syllabes différent), mais également intellectuelles du fait de la conception que le consommateur peut se faire à la lecture des marques (un jeu de mot se référant à un jardin fleuri et le vin accompagné d’un patronyme) ;
- Les signes JARDIN Fleury et Jean Fleury : présentent des différences visuelles (la calligraphie) et phonétiques (le nombre de syllabe différent), mais également intellectuelles du fait de la conception que le consommateur peut se faire à la lecture des marques (un jeu de mot se référant à un jardin fleuri et la référence à une personne précisément identifiée).
La Cour relève ainsi de ces comparaisons, qu’il existe des différences conférant une impression d’ensemble distinctes.
En définitive, une appréciation globale par un public de professionnels avertis ne donne pas lieu à une confusion, ces marques étant différentes malgré quelques similitudes.
Californie retirée : contrat d’agent résilié !
[CA Pau, 6 septembre 2022, n°20/01703]
La société Oask and Wines confie par un contrat d’agence commerciale, à la société Wonder Wood wines, un mandat de négociation de la vente de barriques de chêne de France pour la Californie et l’Etat de Washington.
Après cinq années de relation, et suite à la chute des ventes en Californie, le mandant retire cet Etat du périmètre de prospection de l’agent.
Puis, dans un second temps, face au silence de ce dernier, résilie l’ensemble des relations.
A l’occasion du litige initié par l’agent, est discutée la question du droit à une indemnité du préavis pour la Californie, le mandant soutenant en effet qu’il s’agissait d’un simple retrait suite à la baisse des ventes et non d’une rupture.
Autrement dit, le simple retrait d’un secteur ne peut, à lui seul, constituer une résiliation du contrat, et ainsi justifier le droit à un préavis
. La Cour ne l’entend pas ainsi.
Cette dernière constate en effet que l’agent commercial réalisait 70.58% de son chiffre d’affaires américain sur ce seul secteur. Ainsi, le seul retrait de ce secteur à l’agent constitue une résiliation de son contrat pour les Etats
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Unis dans son ensemble.
Ce faisant, cette résiliation unilatérale du mandant (sans justification d’une faute grave), porte une atteinte substantielle aux droits et obligations de l’agent, qui est fondé à demander le paiement des indemnités contractuelles, et légales, de préavis de trois mois.
De son côté, l’agent soutient que l’indemnité légale qui lui est due du fait de cette rupture doit être fixée à trois années de commission et non deux comme habituellement retenue par la jurisprudence.
Demande rejetée par la Cour au motif que l’agent n’apporte aucune preuve d’un préjudice spécial ou de la violation de la clause d’exclusivité. L’indemnité fixée à deux années de commission est donc confirmée et l’indemnité de préavis réparée.
Etiqueteuse et capsuleuse non-conformes : impayé justifié !
[CAA Montpellier, 08 novembre 2022, n°20/04526]
La société Monte Bacco, spécialisée dans la production et la distribution de boissons alcoolisées et non alcoolisées, commande auprès de la société LS une étiqueteuse automatique et une capsuleuse enroulante.
Après la livraison, le client refuse de régler le solde dû, invoquant l’existence de divers dysfonctionnements liés à un blocage des bouteilles sur la chaîne, à une dégradation des étiquettes et à un débit insuffisant de 3000 à 3200 bouteilles l’heure au lieu d’un débit de 6000 prévu.
Après la mise en conformité de la capsuleuse par la société LS, une fiche d’intervention est co-signée par le responsable technique de la société Monte Bacco.
Suite à de nouveaux dysfonctionnements le client refuse de payer le prix.
En réponse, le fournisseur saisit le tribunal compétent qui condamne le client au paiement de la totalité des sommes dues.
Se fondant principalement sur le principe de l’exception d’inexécution, la société Monte Bacco fait valoir en appel :
- un manquement à l’obligation de délivrance conforme ;
- des vices cachés du fait de dysfonctionnement rendant la machine impropre à son usage ;
- un manquement à l’obligation d’information et de conseil pesant sur le vendeur.
La Cour s’intéresse aux caractéristiques techniques de la capsuleuse, à savoir la production de 6000 bouteilles par heure.
Or, malgré une mise en conformité de la pièce, un rapport de vérification établi par l’Apave, corroboré par un procès-verbal dressé par un huissier, la Cour constate que la machine est inapte à pouvoir fonctionner correctement à vitesse normale dès lors que des arrêts intempestifs paralysent la chaîne d’embouteillage net rendant impossible un débit supérieur à 3000 bouteilles par heure.
De plus, afin de pallier aux nombreux arrêts de la machine, la société demanderesse a été contrainte d’embaucher un intérimaire afin d’en assurer la maintenance.
Ce faisant pour la Cour, le fournisseur a inexécuté son obligation de délivrer des machines conformes. Ce distributeur est donc condamné à restituer les sommes versées au demandeur, ainsi qu’au paiement de dommages et intérêts.
Cession de fonds de commerce et rétablissement du cédant : absence de responsabilité !
[CA Angers, 04/10/22, n°18/01447]
La SARL La Vigne et le Terroir, représentée par son gérant M. J a cédé son fonds de commerce, d'achat, revente de toutes boissons alcoolisées ou non à la SARL « La Cave de Bonchamps ».
Le cédant s’engage à ne pas se rétablir durant cinq années sur un territoire précis et auprès des non-professionnels.
Considérant que cette obligation post contractuelle a été violée, le cessionnaire saisit le tribunal pour faire condamner le cédant personne morale et solidairement le gérant personne physique à réparer les préjudices subis.
En première instance, la personne morale cédante ainsi que son représentant personne physique sont condamnés solidairement pour concurrence déloyale.
Il en va différemment en appel. La Cour rappelle à titre liminaire, qu’en application du principe de la liberté du commerce, le démarchage de clientèle d’autrui est libre et licite dès lors qu’il n’intervient pas en violation d’une clause de non concurrence ou qu’il ne s’accompagne pas d’actes déloyaux. La Cour relève d’abord concernant la responsabilité du gérant que celui-ci n’a pas exercé d’activité à titre personnel et distincte de celle de la société. La Cour écarte en conséquence les demandes formées à son encontre.
Concernant la responsabilité de la personne morale, la Cour analyse les preuves qui justifieraient cette concurrence déloyale. A savoir : la conservation des fichiers clients, l’entretient d’une confusion et les dénigrements. L’acquéreur reprochait ainsi des actes de confusion notamment à l’occasion marché de Noël auquel il n’avait pas pu accéder pour vendre son vin, alors même que le cédant disposait d’un stand. Stand obtenu après avoir candidaté et utilisé un tampon sur lequel figurait l’adresse de son ancienne société.
Autrement dit, pour le Demandeur, il s’agissait de profiter de la notoriété de l’entreprise qu’il avait cédé, au détriment du cessionnaire.
Argument écarté par la Cour.
La seule référence à l’ancienne adresse au sein de la candidature, n’est pas de nature à créer un risque de confusion.
Ce d’autant, que si ce cessionnaire n’avait pas pu avoir de stand c’est uniquement par manque de place.
Le cessionnaire dénonçait par ailleurs la captation de sa clientèle par l’utilisation abusive de son fichier clients. Celui-ci produisait à cet effet un SMS au titre duquel le cédant proposait du champagne à un prix attractif à l’un de ses clients.
Argument là aussi écarté dès lors que ce client était connu du cédant auquel un second SMS rectificatif avait été adressé.
Ainsi, en l’absence d’une politique active de démarchage systématique de son ancienne clientèle, la captation déloyale par l’utilisation du fichier client ne peut être caractérisée.
Enfin, le cédant aurait dénigré son repreneur auprès de son fournisseur et l’aurait incité à ne pas poursuivre de relation d’affaire avec ce dernier.
Nouvel échec de l’acquéreur, la Cour relevant au contraire que le fournisseur avait refusé sa commande au motif d’une absence de relation dans les dix-huit mois suivant la cession.
Il ne s’agissait donc pas pour le fournisseur d’un client fidèle et constant avec lequel il souhaitait entretenir une relation. Donc l’existence d’acte de dénigrement ne peut donc pas être démontrée.
Et la Cour, de rejeter la totalité des demandes du cessionnaire…
Le refus fautif par l’INAO de l’agrément en AOC « Graves Rouges » : c’est grave mais pas trop !
[CAA Bordeaux, 11/10/22, n°20BX02932]
En 2008, l’INAO a refusé par quatre décisions l’agrément en AOC « Graves Rouges » pour le millésime 2005 de la société Les Quatre Châteaux.
Considérant ce refus fautif, cette dernière demande au tribunal compétent d’annuler ces décisions et de condamner l’INAO à lui verser la somme de 1 098 170.65 euros en réparation de préjudices économiques et moral.
La question de l’annulation des décisions génère un contentieux au long cours se terminant devant le Conseil d’Etat ; contentieux qui donne raison à la société Les Quatre Châteaux suite à une expertise déterminant les caractéristiques physiques et organoleptiques des vins concernés. Le vin aurait donc du être agréé par l’INAO.
En revanche, la réparation du préjudice est limitée à 40 000 euros.
L’exploitante viticole insatisfaite interjette appel. Concernant la responsabilité, la Cour rappelle d’abord qu’en principe toute illégalité commise par l’administration constitue une faute susceptible d’engager sa responsabilité dès qu’il en résulte un préjudice direct et certain.
Or, le refus de l’agrément constitue une erreur manifeste d’appréciation, et ainsi une faute.
En revanche, et contrairement aux arguments de la demanderesse, cette responsabilité est engagée sur une période limitée entre la date à laquelle le vin a été ajourné par la première commission de dégustation (2007) et celle du refus définitif (2008).
A partir de 2014, l’INAO n’était en effet plus compétente pour délivrer des agréments – ce dont la demanderesse était informée – et ne pouvait donc voir sa responsabilité engagée ; la société aurait dû en effet déposer une déclaration d'identification auprès du syndicat viticole des Graves en vue de la délivrance d'une habilitation.
Concernant les préjudices indemnisables, la société requérante fait état de plusieurs postes.
D’abord, au titre des frais d'entretien et de maintien en cuve du millésime 2005 entre les années 2006 et 2012 (frais de fluide, de déplacement, de matériel, de travaux de chai, de main d'œuvre et d'analyses œnologiques).
Cette période de six ans est pour la Cour justifiée : le point de départ correspond en effet au premier refus de l'agrément de sa récolte 2005, le point d’arrivée à la notification du jugement du tribunal administratif de Bordeaux prononçant l'annulation des décisions de l'INAO.
En revanche, après analyse des factures et documents communiqués, la Cour retient un préjudice sept fois inférieur (20.000 euros) à celui demandé. Il en va de même des frais liés à la main d'œuvre nécessaire aux travaux de chai : principe du préjudice accepté mais réparation limitée à 10.000 euros dès lors que les preuves produites sont insuffisantes. La société Les Quatre Châteaux demande en outre la réparation du préjudice du fait de la dégradation du millésime 2005 résultant de son maintien en cuve.
La Cour pour rejeter cette demande s’appuie sur le rapport d’expert : « ce vin présente aujourd'hui un profil sensoriel qui n'est pas désagréable du point de vue de l'expert.
Ce profil ne s'éloigne pas significativement des vins " standard " du même millésime issu de la même AOC après leur vieillissement prolongé en bouteille ». Et la Cour d’en conclure qu'en 2012, postérieurement à l'annulation des décisions de l'INAO, « le vin n'avait pas subi de dégradation de nature à le rendre impropre à la vente dans les mêmes conditions que si le millésime 2005 avait obtenu l'agrément nécessaire à l'appellation AOC " Graves rouge ".
Les demandes au titre du préjudice lié au déficit de notoriété et au préjudice moral subissent le même sort.
En somme, un long combat judiciaire pour un résultat juridique intéressant mais financièrement limité.