L'arrêt sous commentaire s'intéresse à la responsabilité partagée de l'agent commercial et de son mandant lors de la rupture du contrat et ses conséquences au plan indemnitaire. Une société spécialisée dans la fourniture et la pose de sols en résine avait en effet confié la représentation exclusive, notamment en Ile-de-France, de ses produits à un agent commercial. Lui reprochant des commissions impayées et une violation de l'exclusivité territoriale contractuellement consentie, l'agent assigne son mandant pour obtenir paiement des sommes dues et règlement de l'indemnité de fin de contrat. En réponse, le mandant essaie de démontrer que la rupture incombe à l’agent qui s'était livré à des actes de concurrence déloyale pendant la durée des relations. Défense qui s'avère efficace devant le Tribunal de Commerce d'Évry qui, tout en condamnant le mandant au titre des factures impayées, considère que l'agent s'est rendu coupable de manquements graves dans l'exécution du contrat, de sorte que ce contrat avait été rompu de son fait. Et le Tribunal de rejeter ses demandes indemnitaires et de le condamner au contraire à 110 000 € de dommages et intérêts… Appel est naturellement formé par l'agent. Concernant l'imputabilité de la rupture, et alors même que les positions de l'agent et du mandant étaient totalement opposées, la Cour va retenir une rupture aux torts partagés. Pour ce faire, la Cour passe au filtre les fautes de chacune des parties. Côté mandant, tout d’abord le retard de paiement de certaines factures non justifié par un impayé du client du mandant est relevé. La Cour d'Appel va à cet effet utilement se fonder sur l'article 5 du contrat afin de vérifier si le mandant a réalisé les « démarches nécessaires » auprès de ses clients débiteurs. Analyse qui aboutit pour la Cour d'Appel à écarter toute commission pour l'agent lorsque le mandant a déclaré sa créance à la procédure de liquidation judiciaire d’un de ses clients, « ce qui atteste de l'épuisement des démarches nécessaires », et à retenir ces mêmes commissions lorsque les relances et mises en demeure ne sont pas démontrées. Précisions utiles pour les rédacteurs de contrats mais aussi pour les mandants qui n’oublieront pas d’archiver les relances, mises en demeure et autres formalités réalisées vis-à-vis des clients récalcitrants. De même, concernant l'exclusivité consentie, la question se posait de savoir si la création d'un établissement secondaire par le mandant dans le secteur de l'agent caractérisait une violation de l'exclusivité contractuelle. Argument en partie écarté par la Cour dès lors que le Kbis de cette société faisait état d'une activité qui se rapprochait davantage d'un centre logistique plutôt que d’une véritable agence commerciale. Par contre, la suppression par le mandant sur son site Internet de l'identité et des coordonnées de l'agent commercial pour les remplacer par celles de cet établissement secondaire constitue « un manquement à son obligation de loyauté » et était « révélateur d'une mise à l'écart de l'agent ». Et la Cour d'en conclure que « la rupture du contrat est imputable à tout le moins en partie » au mandant. Le comportement de l'agent n'est en effet pas davantage irréprochable… La Cour ne s'étend pas sur les actes de concurrence déloyale qui lui sont reprochés et fait sienne les divers manquements retenus par le Tribunal de Commerce à ce titre. Mais là où le constat est identique, les conclusions diffèrent. La Cour estime en effet que ces manquements avérés de l'agent ne présentent pas une gravité suffisante pour le priver de l'indemnité compensatrice dès lors que leur nombre est relativement réduit et qu'ils sont circonscrits dans le temps à la fin de l'exécution des relations. Surtout, les magistrats retiennent les propres fautes du mandant pour conclure à une rupture aux torts partagés des parties, ce d'autant que les manquements de l'agent ne peuvent être justifiés par les propres fautes du mandant (nature des agissements ; contexte d'incompréhension croissante). Autrement dit, la rupture aux torts partagés, s'il n'est pas démontré de faute grave de l'agent, ne saurait le priver de l'indemnité légale. Cette solution est classique (CA Riom 16/02/2005 n°04/02503 ; C. Cass. Ch. Com. 30/05/2007 n°05-12030). Il ne peut en effet être tirée comme conséquence de cette « rupture imputable pour moitié à chacune des parties », que « les demandes d’indemnités réciproques s’annulent et doivent être écartées » (C. Cass. Ch. Com. 19/12/2006 n°05/14256). Ce faisant, il est nécessaire d’appréhender ces situations sous le prisme des dispositions de l'article L 134–13 du Code de Commerce et donc de s’interroger en priorité à l’intensité de la faute de l’agent. Quant au montant de l'indemnité, la Cour retient là-aussi une position intermédiaire. Après avoir rappelé que son calcul dépend des circonstances spécifiques de la cause mais qu'il « existe toutefois un usage reconnu qui consiste à accorder une indemnité correspondant à deux années de commissions », les magistrats accordent à l'agent une indemnité de 12 mois de commissions alors que la durée des relations était de 7 ans. Pour ce faire, ces derniers précisent, qu’au regard des manquements de l'agent, « il convient de s'écarter de cet usage ». Solution qui semble s’inscrire là-aussi dans un courant de décisions bien établies qui minorent l'indemnité au regard des fautes de l'agent. Enfin, et étonnamment, l'indemnité de préavis est écartée dès lors que « chaque partie a contribué de façon égale par son comportement fautif à la rupture du contrat ». En l'absence de faute grave, il semblerait pourtant que le préavis soit dû par le mandant (CA Bordeaux 09/01/2017 – LD 02/2017).
A.L.