Cass. Com., 29/06/2022, n° 20-11.952, Signa déco c/ Cofim (1),
Cass. Com., 29/06/2022, n° 20-13.228, Bystronic c/ Repmo (2)
Faits - Les deux décisions en référence s’intéressent à la contractualisation de l’intuitu personae en matière d’agence commerciale. Plus précisément, se posait la question de la possibilité pour le mandant de rompre le contrat pour faute grave, exclusive de toute indemnité de fin de contrat, en se fondant sur une clause stipulant que : « Tout changement conduisant à la perte par [l’agent commercial], soit de la direction effective et permanente de la société, soit du contrôle majoritaire de celle-ci, devra être soumis à l'agrément du mandant au plus tard quatre mois avant la survenance du changement. Le non-respect de cette obligation sera assimilé à une faute grave de l'agent ouvrant droit à la résiliation légitime du mandat. »
Problème - Dans la première affaire, la Cour d’appel de Lyon avait retenu la faute grave de la société d’agence commerciale dès lors que cette dernière n’avait pas informé le mandant de la démission de son gérant. Au soutien de son pourvoi, l’agent considérait au contraire que la clause fondant cette décision et caractérisant la faute grave est contraire à l’ordre public - et est réputée non-écrite - en déterminant à l’avance le comportement qui constitue une faute grave privative de l’indemnité compensatrice du préjudice subi. Autrement dit, la Cour d’appel n’a pas caractérisé la gravité de la faute en se bornant « à qualifier de faute grave un manquement contractuel à une obligation d’information et de demande d’agrément du mandant ». Par un effet miroir, la Cour d’appel de Paris avait, dans la seconde affaire, exclu la faute grave de l’agent. Pour ce faire, après avoir relevé le caractère intuitu personae du contrat, cette dernière relève qu’il n’était pas démontré « qu’une atteinte à la finalité commune du mandat a résulté du changement de direction ou de contrôle de la société Sevmo et qu’il n’est ni établi ni même invoqué que la société Repmo, qui a le contrôle majoritaire de la société Sevmo, exerce une activité concurrence de la société Bystronic. »
Solutions - La Haute Cour consacre par ces deux décisions la contractualisation de l’intuitu personae du contrat, ainsi que ses effets au regard de la violation par l’agent de son obligation de loyauté, constitutive d’une faute grave exclusive de toute indemnité. Ainsi, la Cour de cassation rejette le pourvoi de l’agent au motif que « l'arrêt retient que cette clause d'intuitus personae soumet à l'agrément du mandant le changement de gérant de la société mandataire et que la prétendue gérance de fait exercée par M. [F] n'exonère pas la société Signa déco de son obligation contractuelle. » Ce faisant, « la cour d'appel, qui a fait ressortir que la société Signa déco avait manqué à son obligation de loyauté, essentielle au mandat d'intérêt commun, en a exactement déduit que cette dernière avait commis une faute grave justifiant la rupture des relations commerciales […] » (1). Pour les mêmes raisons, la Haute Cour casse l’arrêt d’appel, au motif que « la société Sevmo [agent] n'avait informé la société Bystronic [mandant] d'un changement de direction au profit de la société Repmo que près d'un mois après celui-ci, ce dont il résulte qu'elle a manqué à son obligation de soumettre à l'agrément préalable de son mandant le changement entraînant la perte de contrôle majoritaire de M. [J], alors que le manquement à l'obligation de loyauté, essentielle au mandat d'intérêt commun, constitue une faute grave. » (2)
Observations - Le contrat d’agent commercial est classiquement considéré comme un contrat intuitu personae (Cass. com., 20/04/1967, Bull. civ. IV, n°156 ; Cass. com. 29/10/2002, n° 01-03.987). L’intuitu personae attaché au mandat exclut ainsi toute intention du mandant, qui contracte avec un agent commercial personne physique, de confier la mission à sa société commerciale dont la forme n’est pas précisée au contrat (CA Rouen, 18/03/2021, n° 18/02974). La contractualisation de cet intuitu personae permet néanmoins d’en sécuriser le périmètre, les personnes physiques concernées ainsi que la procédure à mettre en œuvre notamment lorsque l’agent commercial exerce sous forme de société. Dans cette hypothèse, en effet, sans précision, le choix du mandant est davantage déterminé par la qualité de l’entreprise que par la personne de son dirigeant, raison pour laquelle le contrat se poursuit avec les héritiers de ce dernier (JurisClasseur, « Contrats – Distribution », Fasc. 3510 : Agents Commerciaux, J.-J. Hanine-Rousse). Contractualisation qui permet au mandant, comme dans les décisions en référence, d’être informé du changement envisagé et d’agréer ou non ce dernier (CA Bordeaux, 2e ch. civ., 11 janvier 2011, SAS JCP Construction c/ SARL Grimaldi investissement, n° 09/04270). L’agent (1) et la Cour d’appel de Paris (2) considéraient que la clause litigieuse leur était inopposable en ce qu’elle érige le non-respect d’une obligation contractuelle en faute grave. La jurisprudence constante écarte en effet l’automaticité de cette qualification et la tentative de privation du pouvoir d’appréciation laissé au juge. Certains auteurs ont même pu ainsi affirmer, sur le fondement de la cessibilité du contrat d’agence érigée en principe d’ordre public (combinaison des articles L.134-13 et L.134-16 du Code de commerce), que toute clause de considération de la personne, quel qu’en soit son libellé, devait être réputée non-écrite (« Les agents commerciaux », J.-M. Leloup, éd. Delmas). Enfin, certaines décisions ont retenu, dans l’hypothèse d’une cession de parts malgré l’application de la clause et le refus du mandant, qu’ « il ne peut être sérieusement soutenu que la cession par une société de ses parts constitue pour son cocontractant habituel une faute grave. » (CA Paris, 3e ch., section B, 28/06/2002, n° 1998/86777). Autrement dit, cette situation justifierait la rupture par le mandant du contrat mais l’obligerait à régler l’indemnité (donc une faute simple). Les décisions sous commentaire s’écartent d’une telle approche, et pour cause. La Cour d’appel de Lyon – dont la solution est confirmée en cassation – n’a pas tiré comme conséquence automatique du non-respect du contrat, la gravité de la faute. Au contraire, cette dernière s’est attachée à démontrer que cette obligation d’information et d’agrément caractérisait une obligation essentielle de loyauté et de transparence à la charge de l’agent (et donc la violation de son obligation légale de loyauté, article L.134-4, alinéa 2, du Code de commerce). C’est d’ailleurs sur ce terrain que la Cour de cassation casse l’arrêt de la Cour d’appel de Paris (2). Ces décisions ne permettent donc pas d’aboutir au raccourci critiquable : un manquement contractuel constitue une faute grave. Ces décisions nous paraissent donc conformes aux obligations incombant à l’agent et à la finalité commune du mandat d’intérêt commun. Comment en effet accepter que le mandant, qui a expressément exprimé dès l’origine de ses relations son souhait de collaborer avec une personne clé de la société d’agence, ne soit pas informé de la modification la concernant et ne puisse l’agréer ? Quitte pour l’agent, se voyant refuser cette modification, à en dénoncer le caractère abusif et à en demander réparation.