Opérations de visite et saisies de documents couverts par le « legal privilege » et « hors champ » de l’enquête : condamnation de la France par la CEDH
CEDH 2 avril 2015, Requêtes nos 63629 /10 et 60567/10
Les agents de la DGCCRF avaient procédé à des opérations de visite et saisie pour des faits d’entente illicite commis à l’occasion de la passation de marchés publics concernant la rénovation d’hôpitaux après avoir obtenu une autorisation du JLD le 23 octobre 2007. Ils avaient, à cette occasion, procédé à la saisie de nombreux documents et fichiers informatiques, ainsi qu’à la saisie de l’intégralité de certaines messageries électroniques des employés intervenus dans le marché visé.
Le 2 avril 2015, la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après « CEDH ») a rendu un arrêt jugeant que les visites domiciliaires et les saisies effectuées aux domiciles des entreprises concernées étaient disproportionnées par rapport au but visé, et la France se trouve condamnée à verser à chacune des entreprises 15 000 euros pour frais et dépens.
En premier lieu, la Cour confirme la condamnation, déjà prononcée, de la France sur la non-conformité à l’article 6, § 1 de la Convention, garantissant le droit à un procès équitable, des voies de recours contre le déroulement des opérations de visite et saisies devant le JLD ayant autorisé ces opérations. En effet, les faits sont antérieurs à l’ordonnance du 12 mai 2009 qui a instauré un recours non plus devant le JLD, mais devant le premier président de la Cour d’appel.
En second lieu, les requérantes reprochaient aux enquêteurs d’avoir saisi de façon massive et indifférenciée des centaines de milliers de documents informatiques, dont l’intégralité des messageries électroniques de certains employés et responsables comportant des documents sans rapport avec l’enquête en cause et relevant de la vie privée des intéressés, du secret des affaires et surtout de la confidentialité qui s’attache aux relations entre un avocat et son client.
Visant l’article 8 de la Convention (respect du domicile, de la vie privée et des correspondances), la Cour décide de condamner la France car : « pendant le déroulement des opérations en cause, les requérantes n’ont pu ni prendre connaissance du contenu des documents saisis, ni discuter de l’opportunité de leur saisie. Or, […] à défaut de pouvoir prévenir la saisie de documents étrangers à l’objet de l’enquête et a fortiori de ceux relevant de la confidentialité qui s’attache aux relations entre un avocat et son client, les requérantes devaient pouvoir faire apprécier a posteriori et de manière concrète et effective leur régularité. Un recours, tel que celui ouvert par l’article L.450-4 du code de commerce, devait leur permettre d’obtenir, le cas échéant, la restitution des documents concernés ou l’assurance de leur parfait effacement, s’agissant de copies de fichiers informatiques […] À cet effet, […] il appartient au juge, saisi d’allégations motivées selon lesquelles des documents précisément identifiés ont été appréhendés alors qu’ils étaient sans lien avec l’enquête ou qu’ils relevaient de la confidentialité qui s’attache aux relations entre un avocat et son client, de statuer sur leur sort au terme d’un contrôle concret de proportionnalité et d’ordonner, le cas échéant, leur restitution.
Or, […] en l’espèce, si les requérantes ont exercé le recours que la loi leur ménageait devant le JLD, ce dernier, tout en envisageant la présence d’une correspondance émanant d’un avocat parmi les documents retenus par les enquêteurs, s’est contenté d’apprécier la régularité du cadre formel des saisies litigieuses, sans procéder à l’examen concret qui s’imposait ».
La Cour de cassation a, par des arrêts du 24 avril 2013 (dont n° 12-80.331), instauré ce contrôle de proportionnalité par le premier Président de la Cour d’appel des correspondances entre l’avocat et son client et permettant à ce dernier d’annuler la saisie correspondante. Elle a jugé que la violation de ce secret intervenait dès la saisie du document litigieux et non pas après que les enquêteurs en ont pris connaissance.
Pour ces documents, la Cour n’ajoute pas à la jurisprudence de la Cour de cassation puisqu’elle valide la procédure interne de saisie globale des messageries informatiques et leur caractère insécable, et qu’elle ne remet pas en cause l’absence de caractère suspensif des recours contre le déroulement des opérations de visite et saisies.
En effet, les requérantes contestaient l’absence d’effectivité de ces recours non suspensifs puisque les agents pouvaient prendre connaissance des documents avant leur restitution et que l’Autorité dispose du pouvoir de se saisir d’office lui permettant de diligenter des procédures sur la base de ces indices, pour d’autres faits, inconnus avant la prise de connaissance de ces documents (saisies incidentes). Force est de constater que depuis peu, les enquêteurs de l’Autorité de la concurrence pratiquent des scellées fermés pour les pièces couvertes par le secret des correspondances entre avocat et client. En revanche, si la CEDH insiste sur la protection renforcée des correspondances avocat/client, rappelant que le secret professionnel attaché aux correspondances échangées entre un avocat et son client est, notamment, le corollaire du droit qu’à ce dernier de ne pas contribuer à sa propre incrimination (pt. 68), elle ne s’en tient pas à seule protection de ces documents. Aux termes du présent arrêt, l’exigence d’un recours effectif par le biais d’un examen concret de la demande n’est pas circonscrite aux correspondances échangées entre un avocat et son client mais porte tout autant sur les documents qui ont été appréhendés alors qu’ils étaient sans lien avec l’enquête. C’est là l’apport essentiel de l’arrêt qui fait entrer les documents « hors champ » dans le champ de la protection et de leur examen concret de proportionnalité par le juge pour statuer sur une possible annulation de leur saisie.
Karine BIANCONE