Ouverture de la « compétition déloyale » : Speed Rabbit 1 – Domino’s Pizza 1
CA Versailles, 18 mars 2014, RG n° 12/07662
La concurrence entre réseaux de franchise de vente de pizzas est pour le moins piquante et se déporte sur le terrain judiciaire à la plus grande joie de la Lettre. A l’affût de toute déloyauté de concurrence, Speed Rabbit, constatant que la société Domino’s Pizza ne publiait pas ses comptes, conformément aux obligations légales lui incombant, l’a assigné en concurrence déloyale. Le raisonnement se fondait sur un courant jurisprudentiel bien établi selon lequel le non-respect d’une obligation légale est constitutif d’un acte de concurrence déloyale. Ainsi, le Figaro a été condamné pour avoir commercialisé « Le Figaro Madame Pocket » qui se présentait comme un supplément hebdomadaire sans avoir respecté les obligations juridiques et fiscales afférentes au « supplément » (CA Paris, 14 sept. 2012, n° 12/00249). En réponse, Domino’s Pizza soutenait que la non publication des comptes du franchiseur n’a aucun impact quant au choix du réseau, ne rompt pas l’égalité des chances entre concurrents et ne fausse pas l’équilibre concurrentiel du marché. Il était en outre opposé que le DIP, et donc les comptes du franchiseur, était communiqué aux candidats désireux d’intégrer le réseau. Enfin, il était rappelé que l’action en concurrence déloyale fondée sur l’article 1382 C. civ. nécessitait que la preuve du préjudice soit rapportée ; preuve défaillante au cas particulier. Pour faire droit aux demandes de Speed Rabbit, la Cour d’appel de Versailles écarte tout d’abord l’argument relatif à la remise du DIP pour pallier à la défaillance relevée, en ces termes : « Ce comportement fausse le jeu de la concurrence loyale avant même que le candidat à la franchise ait arrêté son choix sur l’un des réseaux existants, dès lors que ce candidat potentiel ne peut obtenir des informations sur le réseau de franchise qu’en prenant contact avec la société Domino’s Pizza France, l’empêchant ainsi de comparer préalablement les résultats des franchiseurs et de leurs réseaux, avant d’arrêter son choix sur éventuel réseau ». Ce faisant, la société Domino’s Pizza France a empêché les candidats à la franchise d’apprécier les résultats financiers de son réseau et donc de les comparer avec ceux de la concurrence avant même de prendre contact avec l’un d’eux. Enfin, la question du préjudice est rapidement écartée considérant « qu’il s’infère nécessairement des actes déloyaux constatés l’existence d’un préjudice commercial, il sera alloué à cette dernière la somme de 20.000 euros ». L’inobservation d’une réglementation est donc, semble-t-il, constitutive d’un acte de concurrence déloyale, même si ladite législation n’a pas pour objet de protéger le concurrent (Propriété industrielle, 9/2013, chron. J. Larrier). Rappelons qu’il en va différemment du non-respect des règles déontologiques qui « ne constitue pas nécessairement un acte de concurrence déloyale » (Cass. com., 10 sept. 2013, n°12-19.356 LD octobre 2013). En pratique, cette décision n’est pas sans intérêt pour nombre de franchiseurs, qui pour des raisons internes ou externes au réseau, sont parfois peu enclin à publier leur compte annuellement. Enfin, et pour l’anecdote, si le « Lapin » a obtenu gain de cause sur le terrain de la publication des comptes, celui-ci s’est fait retoquer pour avoir reproduit le visuel publicitaire suivant : « un flyer sur fond à dominante pourpre, la représentation d’une pizza dont une part est en train d’être servie, les dénominations « La 4 fromages » et « La cheese 5 fromages », le terme « reblochon » pareillement écrit sur deux lignes « Reblo-Chon » dans un dégradé orange, la même mention du pris en bas à droite de 6 euros 99 en jaune, le chiffre 6 présentant une trace de morsure ». En définitive : match nul, la compétition judiciaire se poursuit….