Le Conseil d’Etat, dans sa plus haute formation, l’Assemblée du contentieux, a statué sur un recours en annulation portant sur une prise de position de l’Autorité de la concurrence, acte relevant du « droit souple » tels les avis, communiqués ou recommandations et a édicté les conditions selon lesquelles un tel recours peut être exercé devant le Conseil d’Etat. En effet, contrairement aux décisions de l’Autorité emportant sanction, injonction, autorisation ou refus d’autorisation, le « droit souple » est destiné à donner des orientations à ses destinataires sans aucun caractère contraignant. Les positions prises dans ce cadre ne lient que l’Autorité qui les édicte.
Cet arrêt a été rendu concomitamment à une autre affaire portant sur recours en annulation d’un communiqué de presse rendu par l’Autorité des marchés financiers (CE, 21 mars 2016, Société Fairvesta). Dans ces deux arrêts le Conseil d’Etat a fondé sa solution sur le même considérant de principe.
En l’espèce, l’Autorité de la concurrence avait pris position quant à l’exécution de la décision par laquelle elle avait, le 23 juillet 2012, autorisé le rachat de TPS et CanalSatellite par Vivendi et le Groupe Canal Plus (GCP) sous certaines conditions. L’une de ces conditions, dite « injonction 5 (a) », posait des difficultés d’application à la suite de l’évolution du cadre concurrentiel sur le marché des services de télévision, du fait du rachat de SFR par Numericable. GCP avait alors interrogé l’Autorité de la concurrence sur la portée qu’il convenait de donner à cette « injonction 5(a) » et celle-ci a répondu qu’elle estimait que, de fait, une des obligations en résultant était devenue sans objet. C’est cette prise de position de l’Autorité de la concurrence, qui ne modifiait pas par elle-même l’injonction 5(a) présente dans la décision de 2012, qu’a attaquée la société Numericable, qui l’estimait erronée. L’Autorité de la concurrence objecta, de son côté, que la société Numericable n’était pas recevable à former un recours contre la prise de position retenue le 23 juillet 2015 par sa commission permanente.
Le Conseil d’Etat a écarté la fin de non-recevoir, affirmant que les avis, recommandations, mises en garde et prises de position adoptés par les autorités de régulation dans l’exercice des missions dont elles sont investies, sont susceptibles d’un recours pour excès de pouvoir :- soit « lorsqu’ils revêtent le caractère de dispositions générales et impératives, ou encore, s’ils énoncent des prescriptions dont ces autorités pourraient ultérieurement censurer la méconnaissance » ;- soit « lorsqu’ils risquent de produire des effets notables, notamment de nature économique, ou s’ils ont pour objet d’influer de manière significative sur les comportements des personnes auxquelles ils s’adressent ». Encore faut-il, dans cette seconde hypothèse que l’auteur du recours justifie d’un intérêt direct et certain à l’annulation des actes en cause.
Si la première hypothèse ouvrant la contrôlabilité avait déjà été précisée par le Conseil d’Etat concernant les avis rendus par l’Autorité de la concurrence sur le fondement des articles L 462-1 ou L 464-2 du Code de commerce (CE 11-10-2012 n° 346378 et CE 11-10-2012 n° 357193 : RJDA 12/12 n° 1106), la seconde hypothèse marque un revirement de jurisprudence, ouvrant l’appréciation des effets subjectifs du « droit souple » rendu par l’Autorité de régulation.
Faisant application de cette solution, le Conseil d’Etat a estimé que la prise de position adoptée par l’Autorité de la concurrence, qui permettait à GCP de concurrencer Numericable sur sa plateforme, allait provoquer des effets économiques notables, tout en ayant pour objet de modifier le comportement des opérateurs sur le marché de l’acquisition des droits de distribution des chaînes.
Pour autant, le Conseil d’Etat a rejeté le recours en annulation contre la prise de position de l’Autorité dans cette affaire en reconnaissant, notamment, à l’Autorité de la concurrence la faculté de modifier les engagements, injonctions ou prescriptions relatifs à une opération de concentration, si « l’évolution de la situation des marchés pertinents » ou « l’utilité de la poursuite de l’exécution » de ces actes le justifient.
La solution rendue par le Conseil d’Etat ouvre des perspectives de contrôlabilités des avis, recommandation et positions de l’Autorité de la concurrence pour tout opérateur ayant un intérêt direct et certain à l’annulation des actes en cause. En effet, l’Autorité de la concurrence rend pléthore d’avis faisant suite à des enquêtes sectorielles ou analysant des projets de réglementation influençant le comportement des opérateurs ou ayant des effets économiques notables, sans pour autant édicter des règles impératives. Le contentieux de la légalité du « droit souple » devrait se développer, les entreprises pouvant trouver grand intérêt à voir annuler certaines prises de position de l’Autorité de la concurrence.