Pas d’exclusivité de fait sur le marché des serviettes industrielles réutilisables, la démonstration de la position dominante n’est donc pas requise Paris 28 mai 2015, n°2014/06102 Les obligations d’exclusivité, qu’elles soient expresses ou de fait, ne constituent pas des pratiques anticoncurrentielles par nature. Notamment les accords d’achat exclusif n’ont pas pour objet même de restreindre la concurrence (CJUE, 28 février 1991, C-234/89, Delimitis, rec. P. I-935, point 13). Toutefois, les obligations d’exclusivité peuvent, de par leurs effets, restreindre la concurrence. Ainsi, en l’espèce, la démonstration d’une pratique anticoncurrentielle nécessitait que soit rapportée la preuve d’une exclusivité de fait ayant pour effet actuel ou potentiel de restreindre l’accès des concurrents sur le marché considéré. S’estimant victime de pratiques anticoncurrentielles mises en œuvre par l’un de ses concurrents, la société « RVT » a saisi l’ADLC le 30 mars 2009. Invoquant les dispositions des articles L420-1 et L420-2 C. com., elle dénonce, notamment, une exclusivité de fait de la société M. se manifestant par des pratiques de verrouillage du marché de la location de serviettes industrielles réutilisables rendant impossible l’entrée ou le maintien des concurrents sur le marché en cause. Dans sa décision du 6 avril 2012 (n°12-D-11) confirmée en tout point par la Cour d’appel de Paris le 26 septembre 2013, l’Autorité a conclu que les éléments figurant au dossier ne permettaient pas d’établir la réalité d’une entente ou d’un abus de position dominante. Toutefois, ayant relevé qu’il n’existait pas de clause d’exclusivité expresse dans les contrats de location ou dans les conditions générales de la société M., l’Autorité a formé une demande de complément d’instruction visant à rechercher si l’ensemble des stipulations contractuelles en cause, appréhendées dans leur contexte juridique et économique, ne traduisaient pas une situation d’exclusivité de fait susceptible de restreindre la concurrence. L’ADLC a décidé, le 20 février 2014 (14-D-03, LD mai 2014, N.E), qu’en l’absence d’exclusivité aucune PAC n’a pu être établie à l’encontre de la société M. La Cour d’appel saisie d’un recours par la société RVT a décidé que « c’est à juste titre que l’Autorité de la concurrence, reprenant les principes fixés par la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, a rappelé que si aucune pratique susceptible d’être qualifiée d’abusive n’est mise en évidence par l’instruction d’une plainte, il est inutile de définir le marché et de rechercher s’il existe une position dominante sur celui-ci » et « concernant les pratiques abusives, le fait que deux tiers des clients aient indiqué qu’ils n’utilisaient pas de produits concurrents est suffisant pour conclure que la société ne bénéficie pas d’une exclusivité de fait ». Cette position répond à la définition donnée à l’exclusivité par le Règlement (UE) n° 330/2010 sur les restrictions verticales de concurrence, à savoir toute « obligation directe ou indirecte interdisant à l’acheteur de fabriquer, d’acheter, de vendre ou de revendre des biens ou des services qui sont en concurrence avec les biens ou les services contractuels, ou toute obligation directe ou indirecte imposant à l’acheteur l’obligation d’acquérir auprès du fournisseur ou d’une autre entreprise désignée par le fournisseur plus de 80 % de ses achats annuels […] ». Pour la saisissante, l’exclusivité de fait et son effet restrictif de concurrence résultaient du jeu simultané de deux stipulations. La première, figurant sans les conditions générales du contrat type de la société M. instaurait des objectifs quantitatifs de serviettes louées, dépassant les besoins des utilisateurs : « La quantité louée (…) correspond à 2.5 fois voire à 3 fois la quantité des articles en location souhaitée chez le client par cycle de passage ». Selon la Cour, si le client doit louer le triple des serviettes qu’il souhaite utiliser, cette quantité est justifiée par des considérations logistiques spécifiques au marché concerné, ce nombre permettant une rotation continue des produits. Surtout, pour les clients interrogés, ces dispositions ne sont pas perçues comme une exclusivité de fait, la majorité d’entre eux ayant témoigné en faveur d’une libre négociabilité des prix et d’une adaptabilité de la société M. aux quantités stipulées, y compris à la baisse. La seconde prévoyait, selon la saisissante, une durée excessive et un mécanisme de résiliation trop complexe aboutissant à une reconduction quasi-systématique du contrat. La Cour rejette également l’argument puisque la durée du contrat doit être complétée manuellement par les clients et que ces derniers ont la possibilité de résilier le contrat après une période d’essai. En outre, la résiliation est prévue sous réserve de respecter un préavis de six mois par rapport à l’année civile, sans que les clients interrogés, dans leur majorité (55 clients actuels contre 2), trouvent que ce dispositif ait été jugé trop complexe ou de nature à les empêcher de résilier le contrat. Enfin, 30 % des contrats conclus le sont initialement pour une seule année, ce qui signifie qu’un tiers des entreprises recouvrent leur liberté contractuelle dans un délai réduit. En conséquence, la cour conclut à l’absence de relation d’exclusivité abusive entre la société concurrente et ses clients et, plus largement, l’absence de verrouillage de la clientèle par le jeu simultané de tout ou partie des stipulations contractuelles ou de leur application. Il est intéressant de constater que la Cour semble davantage se fonder sur des éléments subjectifs liés à la perception que les clients ont de leur engagement contractuel plutôt qu’à une analyse purement objective des effets de verrouillage du marché. En revanche, et dans d’autres affaires, certaines clauses avaient donné lieu à la qualification d’une exclusivité de fait ayant eu pour effet de restreindre la concurrence. On pense notamment aux clauses par lesquelles une entreprise en position dominante octroie des remises substantielles sur la base du chiffre d’affaire réalisé par l’enseigne sur un nombre déterminé de produits, y compris sur les produits incontournables (Cons. Conc., 8 avril 2004, 04-D-13 conf. par la Cour de Cassation le 6 décembre 2005). Cette décision a fait l’objet d’un pourvoi devant la Cour de cassation. Karine BIANCONE |