L’agent commercial peut-il prétendre à une indemnité de fin de contrat lorsque le mandant ne lui a pas versé de commissions pendant la durée des relations contractuelles ? Telle est la question traitée dans l’arrêt sous référence. Suite à la rupture du contrat, qui prévoyait expressément que l’agent était en charge de la représentation et la vente de vins de divers domaines viticoles en Asie, celui-ci saisit les tribunaux afin d’obtenir l’indemnité de fin de contrat. En réponse, l’argument du négociant en vins, mandant, semble imparable : aucune commission n’ayant été versée, aucune indemnité n’est due. Il ne s’agissait donc pas pour le mandant de se placer exclusivement sur le terrain de l’absence d’activité de l’agent, et de l’éventuelle faute grave, mais d’expliciter la spécificité des relations développées avec le seul client sur lequel était intervenu cet agent. Le client en question était en effet l’ancien employeur du représentant légal de cette agence commerciale et lui réglait directement les commissions. Autrement dit l’agence constituait un service d’achat externalisé, aucun autre client n’avait été obtenu et le mandant n’avait aucun droit de regard sur les contreparties financières y afférentes. De son côté, l’agent se fondait sur le contrat conclu avec le mandant et considérait que l’indemnité était due peu important que les commissions aient été réglées directement par ce client. La Cour, confirmant le jugement de première instance, écarte cette demande considérant qu’au sens de l’article L 134–12 du code de commerce l’indemnité est déterminée en prenant en considération «le montant des commissions perçues par l’agent». Or, pour la Cour «ces commissions s’entendent nécessairement comme des sommes versées par le mandant à son cocontractant». Ce faisant, en l’absence de commission effectivement versée par le mandant à l’agent aucune indemnité n’était due. En apparence cette solution ne semble pas poser difficulté. L’indemnité est effectivement déterminée par la jurisprudence en référence aux commissions versées. La Cour de cassation a ainsi cassé un arrêt d’appel retenant l’indemnité au bénéfice de l’agent alors même qu’elle avait préalablement constaté que «le contrat n’avait pu donner lieu au paiement d’aucune commission » (Ch. Com. Cass 4/11/2014, pourvoi n° 13-18. 024). À bien y regarder néanmoins, la solution d’espèce interroge. Il sera tout d’abord relevé que, alors même qu’elle a rejeté dans un premier temps les demandes indemnitaires de l’agent, la Cour d’appel a condamné le mandant, dans un second temps, au paiement d’une commission qui était due à l’agent ! Analysant un contrat de réservation de vin conclu avec ce seul et même client, les magistrats relèvent en effet que les prix nets facturés étaient supérieurs au tarif spécifique du mandant. Or, le contrat prévoyait expressément « qu'en rémunération de son activité effective, l'agent percevait une commission correspondant à la différence entre les prix nets facturés et le tarif … (spécial) communiqué par le mandant ». Et la Cour d’ajouter que cette commission était bien due dès lors que la vente avait été réalisée, ce que le mandant ne contestait plus en appel. Ce faisant, au sens des textes, il s’agissait donc d’une commission acquise qui devait être réglée, dès lors que l’opération contractuelle avait été conclue et exécutée, ou même inexécutée du fait du mandant (combinaison des articles L 134-6, -9 et -10 du code de commerce). Rien ne paraît justifier que cette commission acquise à l’agent, et non réglée par le mandant de son propre fait, ne soit pas prise en compte pour calculer l’indemnité de fin de contrat. Une solution inverse inciterait en effet les mandants à quelques dérives. Il nous semble en conséquence que la Cour aurait dû analyser l’ensemble des commissions réglées, et celles qui auraient dû l’être, avant de déterminer le montant de l’indemnité. Cette solution est par ailleurs discutable quant à la personne à l’origine du versement des commissions. Selon la Cour il s’agirait du seul mandant. Solution qui peut se comprendre au regard du contexte spécifique de ce seul client réglant directement les commissions, du moins en partie. Mais doit-on accorder à cette solution une portée plus large ? Nous ne le pensons pas. Au regard des différents mécanismes de paiement existants, un tiers pourrait en effet parfaitement régler les commissions en lieu et place du mandant débiteur sans affecter l’assiette de l’indemnité (subrogation ; libéralité ; règlement au nom et pour compte, etc). Prenons l’exemple fréquent de la société mère qui, notamment pour des raisons de trésorerie, règle l’agent en lieu et place de sa filiale mandante. Ce seul règlement ne caractérise pas une immixtion de la mère dans relation d’agence susceptible de lui rendre opposable le statut (Cass. Com 12/06/2012 N11-16.109) et ne saurait vider de sa valeur l’indemnité due par la filiale. L’indemnité devrait donc être déterminée sur la base des commissions qui étaient effectivement dues par le mandant (et non par un tiers au titre de ses dettes propres tel le seul client d’espèce); commissions qu’il a réglées, directement ou indirectement, ou qu’il aurait dû régler. Enfin, quant à l’arrêt de cassation précité, il a été relevé (N. Mathey «Indemnité de fin de contrat de l’agent n’ayant perçu aucune indemnité», Contrats, Concu. Conso n°1, janv.2015 comm.4) que loin de trancher définitivement la question, il apportait une réponse « guère plus explicite » à une solution d’appel «obscure et ambiguë » (l’arrêt d’appel précisait que : « l’indemnité peut être évaluée par référence aux opérations au titre desquels le principe d’une commission était acquis»). Ce d’autant que dans cette affaire complexe, les commissions réclamées par l’agent ne semblaient pas véritablement acquises au sens des textes précités (l’agent avait en effet transmis au mandant des appels d’offre restreints que le mandant devait mener à bien pour être définitivement retenu, ce qu’il n’avait pas fait) ; les opérations n’étaient donc pas conclues) de telle sorte qu’il ne pouvait agir pour réparer son préjudice que sur le terrain de l’article 1147 du code civil au titre du gain manqué sur ces commissions potentielles. Rappelons enfin que dans l’hypothèse où l’agent commercial perçoit, comme en l’espèce, des commissions des clients du mandant (ou parfois de ses fournisseurs), en sus de la commission versée par le mandant, et donc un double commissionnement, il doit être totalement transparent vis à vis du mandant. Sans quoi un tel comportement viole l’obligation essentielle de loyauté lui incombant et caractérise une faute grave exclusive de toute indemnité (Ch. Com. Cour Cass.20/09/2016, n°15-12994).
Aymeric Louvet