1. MARQUE
1.1 Nullité
1855 : haute couture viticole !
[CA Bordeaux 17/10/2023, n°20/05136]
Une société qui commercialise des chemises de luxe via le site internet art&luxe1855.com dépose la demande de marque semi figurative suivante :
Le Syndicat professionnel « le Conseil des Grands Crus classés 1855 » s’y oppose et met en demeure cette dernière de procéder au retrait de la demande de marque, d’en cesser toute utilisation et d’abandonner le nom de domaine.
N’obtenant pas totalement satisfaction, le Syndicat saisit le tribunal compétent et se prévaut à cet effet d’une protection au titre de la mention traditionnelle « Crus Classés 1855 » et d’une atteinte à une marque de renommée d’un signe notoire protégé 1855.
Rappelons que le classement 1855 des vins bordelais est la première classification officielle des vins de la rive gauche de la Garonne établie lors de l’exposition universelle de 1855.
Echec de la demande en première isntance au motif que le Syndicat ne pouvait se prévaloir :
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de la protection de la mention traditionnelle sur un seul des termes de celle-ci à savoir « 1855 »
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de la protection du signe « 1855 » en l’absence de dépôt de marque.
Modifiant sa stratégie en appel, le Syndicat axe principalement ses demandes sur les marques suivantes :
Marque française n°053385423
Marque française n°9560018
Ce faisant, les termes « MILLESIME 1855 » seraient trompeurs pour les consommateurs qui peuvent croire que les produits vendus émanent des grands crus classés 1855 et que la société serait économiquement liée aux châteaux protégés par la marque « 1855 »
Au contraire, pour la société de prêt à porter, cette année-là présente également une relation avec le monde de la haute couture puisqu'à l'occasion de l'exposition universelle de 1855, la célèbre machine à coudre Singer y avait été présentée.
Donc aucun caractère trompeur.
La Cour rejette cet argument et prononce la nullité de la marque en reconnaissant son caractère trompeur aux motifs que :
-
les chemises commercialisées ne sont pas des produits d’exception ;
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la marque existe seulement depuis 2009 ;
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et elle n’a aucune relation de provenance avec l’univers des vins d’exceptions millésimés ni avec les crus classés 1855.
La Cour relève en outre le cadre de couleur rouge qui évoque pour le consommateur une étiquette de vin ainsi que l’association des termes « 1855 » et « MILLESIME » qui renvoie, elle aussi, à l’univers du vin et non pas à celui de la haute couture.
1.2 Contrefaçon
[CA Paris, ordonnance 05/07/2023, n°23/10904]
Saisie-contrefaçon : avec l’automne, les « premières grives » !
S’estimant victime d’actes de contrefaçon de ses marques « PREMIERES GRIVES » et « DERNIERES GRIVES », la société CHATEAU DU TARIQUET fait procéder à une saisie-contrefaçon au siège social du négociant en vins de Bordeaux, la société MAISON BERTRAND RAVACHE.
En réponse, le saisi contre-attaque et sollicite la rétractation de l’Ordonnance et la libération des pièces placées sous séquestre (conservées par l’huissier).
Sur la rétractation de l’ordonnance
La société MAISON BERTRAND RAVACHE soutenait d’abord que le risque de déperdition des preuves invoquée était inexistant car les pièces recherchées étaient des pièces comptables soumises à une obligation de conservation.
Autrement dit, la procédure de saisie-contrefaçon ne s’imposait pas puisque ces pièces ne pouvaient pas disparaitre.
La Cour ne l’entend pas ainsi et considère, au contraire, que le risque de destruction des preuves est justifié s’agissant notamment de documents dont la conservation n’est pas obligatoire telles par exemple : les contrats, les documents commerciaux, etc.
Le négociant faisait par ailleurs valoir que la saisie de la liste des clients ou prospects était sans rapport avec le litige est donc disproportionnée contrairement à l’affirmation du CHATEAU DU TARIQUET.
Argument cette fois qui convainc la Cour.
Sur l’opposition à la libération des pièces placées sous séquestre
Pour s’opposer à la libération des pièces placées sous séquestre, et éviter que CHATEAU TARIQUET’y ait accès, le saisi objectait que l’intégralité des pièces saisies (éléments comptables et contractuels, contrats, devis…) constituaient des informations confidentielles protégées par le secret des affaires.
Argument écarté par la Cour. Ces pièces sont en effet nécessaires à la démonstration du préjudice allégué et le saisi ne démontre pas que ces dernières sont protégées par le secret des affaires.
La Cour ordonne ainsi la levée du séquestre permettant à la société CHATEAU DU TARIQUET de disposer de l’ensemble des documents saisis, à l’exception du fichier clients.
Documents qui devraient lui permettre d’assigner en contrefaçon.
Affaire à suivre…
Point de vigilance : la procédure de saisie-contrefaçon nécessite pour celui qui l’initie de bien délimiter le périmètre de l’action et de s’assurer que l’Huissier respecte l’Ordonnance.
Quant au saisi, il doit pendant les opérations de saisie et dans les jours qui suivent, user des bons réflexes, notamment :
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s’assurer que l’huissier procède à des opérations dans la limite de l’Ordonnance ;
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ne pas s’auto-accuser sans faire pour autant d’obstruction à l’opération de saisie ;
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analyser et initier les actions qui s’imposent pour faire annuler le PV et obtenir la restitution des pièces saisies.
1.3 Déchéance
[CA Paris, 14/06/2023, n°22/10269]
Poulet Braisé : viande et cocktails au menu !
La société POULET BRAISE est titulaire d’une marque éponyme déposée notamment en classe 43 pour des services de bars.
Prétendant que cette marque ne fait pas l’objet d’un usage sérieux, la société TIKJDA a formé une demande de déchéance de marque devant L’INPI.
Selon elle, le titulaire de la marque tente de s’arroger un monopole sur les termes génériques « POULET BRAISE » et de faire interdire à ses concurrents de les utiliser alors même qu’ils sont nécessaires et génériques pour un service de restauration proposant du poulet braisé à la carte.
Le directeur de l’INPI accueille cette demande de déchéance au motif que le titulaire de la marque n’a pas justifié d’un usage sérieux de sa marque au regard des services d’élaboration de cocktails.
En effet, les pièces fournies démontrant le nombre de couverts servis en moyenne ainsi que le chiffre d’affaires ne comportent aucun élément de détail au regard des services d’élaboration de cocktails ayant permis de générer les chiffres d’affaires fournis.
En conséquence, la société POULET BRAISE est déchue de ses droits de marque pour l’ensemble des produits et services désignés.
Renversement de situation en appel.
L’appelante fait valoir qu’elle propose des boissons apéritives et notamment des cocktail et produit aux débats des pièces démontrant la vente de plus de 50 000 cocktails sur deux années, correspondant à plus de 260 000 euros de chiffre d’affaires, ainsi que plusieurs publications sur les réseaux sociaux relatives à des services de bars.
Prenant en compte ces preuves d’usage, la Cour considère qu’il ne s’agit pas d’« un usage à caractère symbolique ayant pour seul but le maintien des droits conférés par la marque mais répond bien à une réelle justification commerciale permettent de créer ou de conserver un débouché ».
La déchéance de la marque pour les services de bars est donc réformée.
1.3 Opposition
[INPI, décision du 03/07/2023, OPP23-0477]
LA BELLE VIE / UNE BELLE VIE
Soucieux de protéger sa marque, la société GRANDS VINS DE GIRONDE s’oppose une fois de plus au dépôt d’une marque similaire à la sienne (voir lettre du mois de mars 2022).
Cette société est titulaire de la marque verbale « LA BELLE VIE » déposée le 28 octobre 2016 en classe 33 désignant des « Boissons alcoolisées à l’exception de bières ; vins ».
Elle a formé opposition à la demande d’enregistrement de marque verbale LA BELLE VIE déposée par la société CHATEAU MAUPERIER pour désigner des produits en classe 32 et 33.
L’INPI considère que les produits déposés en classe 33 sont identiques ou similaires et que, malgré leur différence, les produits déposés en classe 32 tels que les jus de fruits, les limonades ou les boissons gazeuses sont similaires aux vins et aux boissons alcoolisées car ils constituent tous des boissons, et sont susceptibles d’être consommés aux mêmes moments de la journée ou dans les mêmes circonstances sociales, notamment dans un cadre festif.
En outre, la société opposante soutenait que les signes en cause étaient similaires
Les signes sont tous deux constitués de trois éléments verbaux. Ils ont en commun les éléments distinctifs « BELLE VIE ». L’INPI en conclut à une similarité à un degré élevé des signes en cause en raison des ressemblances visuelles, phonétiques et intellectuelles.
En raison du risque de confusion dans l’esprit du public, la marque verbale UNE BELLE VIE est rejetée à l’enregistrement par l’INPI.
2.
CONTRATS
Vice du bouchon ? Non, trop de pression !
[CA Montpellier 13/06/2023, n°21/06037]
La société Mas Saint Laurent a acquis auprès de la société Soufflet Vigne 18 000 bouchons de liège.
Elle fait procéder à la mise en bouteille par une société tierce et constate rapidement l’existence de bouteilles « couleuses » et de remontées de bouchons.
L’expert sollicité par la société Mas Saint Laurent conclut au manque d’élasticité des bouchons et à un diamètre inadapté accentuant les phénomènes de manque d’étanchéité.
Préjudice selon l’expert : 35 582,08 € HT.
Sur le fondement de ce rapport, la société Mas Saint Laurent assigne le vendeur.
Mais l’arroseur va être arrosé…
La Cour relève d’abord que les éléments de ce rapport ne permettent pas de retenir la défectuosité des bouchons dès lors que l’analyse d’un lot de bouchons neufs démontre leur conformité à la norme NF 57101.
Ensuite, le rapport de l’expert est tronqué.
Ce rapport renvoie en effet à une analyse réalisée par le Centre de valorisation de la qualité en œnologie (CEVAQOE).
Or, la société n’a communiqué au soutien de ses demandes que quelques extraits de cette analyse.
Extraits néanmoins suffisants pour mettre en évidence une pression élevée dans les bouteilles lors du bouchage.
Ce d’autant que l’expert, interrogé pour savoir si les désordres constatés ne pourraient pas résulter de cette pression excessive, ne répond pas précisément.
Partant, la Cour d’appel rejette les demandes de la société Mas Saint Laurent qui ne rapporte pas la preuve de l’existence de vice cachés affectant les bouchons.
Le rapport d’expertise s’est finalement retourné contre elle.
3.
RUPTURE BRUTALE DES RELATIONS COMMERCIALES
[CA Paris, 25 octobre 2023, n°20/06055]
La société VINOLOGIC achète en gros du vin à la société GUILLAUME LEFEVRE pour les revendre à des détaillants.
Suite à un différend sur le non-paiement de ses factures, le viticulteur informe ses clients par courriel qu’il assurera désormais directement la distribution.
De son côté, la société GUILLAUME LEFEVRE souhaitait obtenir le règlement de factures impayées saisit le tribunal compétent.
Imputabilité de la rupture
Devant la Cour d’appel, et pour s’opposer à toute rupture brutale, le fournisseur soutient qu’il s’agit d’une rupture d’un commun accord comme le démontre la baisse des commandes.
Argument écarté par la Cour.
La seule diminution des commandes entamée en 2016 puis en 2018, et l’absence de commande sur la fin de l’année 2018 ne peuvent en effet établir un accord de principe sur une rupture courant du mois de décembre 2018.
En revanche, elle peut traduire un ralentissement de la relation et atténuer la brutalité de la rupture.
Pour la Cour, la rupture est ainsi intervenue au jour où le viticulteur a adressé à tous ses clients le courriel annonçant l’éviction du distributeur.
La rupture lui est donc imputable.
Absence de faute
Néanmoins, pour le viticulteur, aucun préavis n’était dû au distributeur dès lors que celui-ci n’avait pas payé ses factures et était donc fautif.
Nouvel échec dès lors que cet impayé ne constitue pas à lui seul une faute grave justifiant une rupture sans préavis :
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le distributeur ayant réduit ses encours au cours de l’année 2018 ;
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le retard de paiement étant peu important au jour de la notification.
C’est donc sans motif que le viticulteur a rompu brutalement les relations commerciales.
Durée du préavis
Restait donc à déterminer la durée du préavis raisonnable.
Pour ce faire les magistrats retiennent : la durée des relations de 10 ans, la baisse significative des commandes, l’absence de dépendance économique et d’exclusivité ainsi que les possibilités de reconversion de la victime.
Et fixe une durée de préavis limitée à 4 mois.
Préjudice subi
Le préjudice est déterminé en référence à la perte de marge sur coûts variables du distributeur.
Soit pour 4 mois : 12 667 € (marge sur coûts variables de 35%).